Cherche bombardiers d’eau désespérément

Rituel de saison, l’été et les incendies font malheureusement bon ménage dans l’île. Cette fois la lutte aérienne sera amputée d’une part significative de sa traditionnelle logistique. Les fameux Tracker sont définitivement cloués au sol et leurs successeurs tardent à prendre leur envol. Chez les soldats du feu, l’inquiétude est réelle.

Par Jean Poletti

L’an dernier, en Balagne et en d’autres points, les flammes ravagèrent de nombreux hectares. Dans le ciel, la noria des Tracker permit une nouvelle fois de combattre efficacement le sinistre. Ces appareils à l’importante capacité d’emport pouvaient larguer à chaque passage plus de trois mille litres d’eau ou de produit retardant. Mais voilà, ils sont en bout de course et définitivement retiré du service. Un rapport du Sénat préconisait déjà voilà une quinzaine d’années leur remplacement, mais d’un rapport à l’autre, ils continuèrent leurs missions jusqu’au mois dernier.

Cette fois, le couperet est tombé. Définitivement. Les voilà remisés dans le hangar de l’oubli. Ces bombardiers d’eau avaient fait leur temps. Utilisés tout à la fois dans la lutte et la surveillance, leur vétusté impliquait selon les spécialistes une maintenance particulièrement onéreuse. Tandis que d’autres déploraient des incidents de vols. À l’image de ce dramatique crash à Nîmes qui coûta la vie de l’équipage. Moderniser la flotte ? Cela est logique. À condition que la mutation se fasse sans secousses. Ni dysfonctionnement dans la chaîne logistique. Est-ce le cas ? Nullement. Pas de Tracker dans le ciel insulaire. Et son successeur le Dash tarde à montrer le bout de son nez. En toute hypothèse, il n’élira pas domicile sur le tarmac de Campo dell’Oro. D’ailleurs, il ne semble pas faire l’unanimité au sein des soldats du feu. Certes tous conviennent qu’il est plus rapide. Bien sûr chacun convient que ses vastes soutes ont une contenance d’une dizaine de tonnes. Mais revers de la médaille, leur taille et envergure les rendent par définition peu et mal adaptés aux reliefs particulièrement accidentés.

Le rouge est mis

Voilà à tout moins le sentiment des pilotes repris en écho par les équipes du sol. Sans jouer les pleureuses ni attiser les flammes de la colère, tous affirment qu’au-delà de cette maniabilité relative cette évolution de la flotte signe la fin d’une doctrine qui avait largement fait ses preuves.

En effet, par jour de grand vent, lorsque le risque rouge est maximal, les fameux Tracker pouvaient malgré tout prendre l’air. Ils patrouillaient inlassablement dans le ciel, effectuant des missions de guet et intervenant sitôt qu’un foyer se déclarait. Permettant ainsi de tuer dans l’œuf un incendie qui aurait pu se développer rapidement. Une tâche que ne pouvaient pas effectuer les Canadair. Et à l’évidence qui sera interdite aux Dash.

Mais au-delà de ces réflexions sur l’avenir, l’immédiat laisse peu de place aux conjectures. Cet été, les sapeurs-pompiers devront affronter les risques avec une escadrille singulièrement appauvrie. Nul ne doute qu’ils feront contre mauvaise fortune bon cœur. Il n’empêche l’inquiétude légitime parcourt leurs rangs. Qu’il s’agisse de la situation actuelle, ou de celle qui prévaudra ultérieurement. Pour l’heure, et sans présager d’une modification de dernière minute, le dispositif pour cet été tel que défini par le ministère de l’Intérieur et les autorités nationales de la Sécurité civile peut être aisément décliné. Deux Canadair, un hélicoptère bombardier d’eau, et un appareil de reconnaissance seront basés sur l’île. Il est précisé par ailleurs qu’il pourra être fait appel aux Dach si des renforts s’avèrent nécessaires.

L’heure de vérité

À un détail près, qui risque de faire toute la différence, ces appareils sont stationnés à Nîmes. Temps de trajet après l’alerte : une bonne heure. Le temps pour les éventuels foyers de prendre une ampleur insoupçonnée. Surtout si la sécheresse transforme, comme cela est souvent le cas, la végétation en tapis d’amadou.

Sans verser dans le catastrophisme, ni alimenter le chapitre de la polémique, nul n’infirmera que régulièrement la question des moyens aériens, telles des braises couvant sous les cendres de l’hiver, rejaillit à l’orée de chaque été. Mais cette fois, le coup paraît rude. Un élément essentiel sera aux abonnés absents. Tandis que son remplaçant qui ne suscite pas un enthousiasme débordant sur le front des troupes sera un palliatif quelque peu éloigné de son plausible lieu d’intervention. Car comme le disait avec lucidité un ancien pilote : « soixante minutes, c’est le délai qui fréquemment transforme un simple foyer aisément éteint en vaste mur de flammes qu’il devient difficile à circonscrire ».

Éternel débat

Voilà sans doute verdict valant mieux que toutes les explications techniques ou stratégiques, dans cette bataille sans cesse recommencée contre le fléau qui laisse sur son passage des paysages lunaires. Quand il ne détruit pas des habitations ou met en péril des vies.

Éternel recommencement, histoire sans cesse répétée d’une année l’autre. Avec en filigrane, la sempiternelle question qui tient en peu de mots : les moyens sont-ils suffisants, et parfaitement adaptés aux particularités du relief et de l’insularité ? Si le prochain bilan devait s’avérer lourd, nul doute qu’un tel débat reprendrait force et vigueur. Une nouvelle fois…

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