BUDGET OU PAS ?
Le vote du budget de la nation est un des actes majeurs de l’Assemblée nationale. Or, on est souvent consterné par la tonalité et par la qualité des débats qui ont lieu actuellement parmi les députés.
Par Michel Barat, ancien recteur de l’Académie de Corse
« Le débat entre Rousseau et Voltaire prend aujourd’hui tout son sens. »
Cela peut paraître parfois affligeant. Et pourtant l’enjeu est de première importance : derrière tous les excès, toutes les polémiques politiciennes, se cache un choix fondamental qui détermine non seulement le quotidien des gens mais le type de société où nous souhaitons vivre. Malgré la difficulté qu’il y a pour prendre au sérieux les criailleries des députés, pour ne pas trouver irresponsables voire ridicules les polémiques partisanes, malgré tout cela il y a plus qu’un choix politique, il y a un choix philosophique essentiel.
Les uns avec quelque raison considèrent que la dette française est insupportable et que les déficits accumulés finiront par mettre en danger l’État et la Nation et en conséquence proposent de réduire sévèrement les dépenses et plus particulièrement la dépense sociale. Les autres sans nier la situation des finances publiques estiment à juste titre qu’il faut sauvegarder coûte que coûte le système de protection sociale hérité du Conseil de la Résistance qui fait de la France le pays le plus redistributif du monde, du moins des démocraties libérales.
Politique et économie
La première question à se poser est la suivante : est-ce que l’économie et les finances sont la finalité politique ou constituent-elles le moyen d’assurer le bien-être des citoyens et la souveraineté du pays ? Selon la réponse que l’on fait à cette question, les politiques économiques et financières sont différentes même si dans les deux cas elles doivent être rigoureuses. Bien évidemment la richesse d’un pays est liée à son produit intérieur brut et à sa croissance. Encore faut-il s’entendre sur ce qu’on entend par produit intérieur brut et par croissance. Leur définition classique est peut-être obsolète, ce qui pourrait en partie expliquer le fait que les démocraties libérales sont un peu partout dans le monde en crise et pas seulement en France.
Le produit intérieur brut annuel est la valeur monétaire des biens et services créés par le secteur privé, valeur qui a été étendue aux productions de certaines administrations publiques. L’augmentation de cet indice, le PIB, constitue la croissance. Il est clair qu’une société qui ne progresse pas non seulement stagne mais régresse. Mais son progrès aujourd’hui peut-il se réduire à la croissance telle qu’on l’entend classiquement.
Croissance durable
Même si la définition de la croissance par Simon Kuznets en 1934 s’est élargie de la pure production marchande à certaines activités de l’administration publique, elle n’implique toujours pas certaines données comme l’environnement ou le bien-être de la population. Peut-on en rester à une idéologie productiviste uniquement marchande du « toujours plus»ou faut-il plutôt transformer l’idée de croissance en celle de croissance durable ? Ce qui signifie que la production de la valeur ne se limite pas aux biens et aux services produits mais qu’elle doit comprendre les progrès du bien-être social de la population ainsi que l’environnement.
Que pourrait être une simple croissance marchande quand les richesses et les activités économiques d’un pays seront en diminution du fait du dérèglement climatique, quand l’approvisionnement en eau deviendra problématique et que se répéteront les catastrophes naturelles ? La croissance au sens classique sera alors une inexorable décroissance et nos efforts ne serviront qu’à freiner les pertes intérieures brutes.
Une philosophie du progrès pour qu’elle soit toujours possible appelle à une évolution voire une transformation de l’idée même de progrès. Le progrès ne pourra plus se définir comme l’accroissement des richesses grâce à l’industrie et la technologie : le débat entre Voltaire et Rousseau perd aujourd’hui tout son sens.
Révolution copernicienne
Nous aurons alors besoin de voltairiens rousseauistes et de rousseauistes voltairiens. Si nous refusons le déclin et la décadence mais voulons le progrès, il faut que la philosophie des Lumières après avoir mené à la Révolution accomplisse maintenant sa propre révolution copernicienne.

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