Blowin’in the Wind
Ode à la Paix

Par Jean-Pierre Nucci
Un parfait inconnu, le film biographique sur Bob Dylan réalisé par James Mangold – en salles depuis janvier 2024 – prend le pari de narrer l’ascension d’un génie tout en feignant d’ignorer ses origines. Deux scènes elliptiques révèlent en tout et pour tout sa véritable identité. Voilà pour le passé. On serait en droit d’imaginer que le metteur en scène manœuvre ainsi afin de convaincre le spectateur que son talent relève du divin. Dépouillées de la moindre influence antérieure, ses œuvres découleraient ainsi de Dieu.
Dans ce film remarquable à tous points de vue le jeune prodige est neuf, sa vie commence à l’âge adulte, à l’image de Jésus dans l’Évangile selon Marc où le chapitre de la nativité n’est pas évoqué. Le premier texte sacré relate son ministère, point final. Cela en rajoute au mystère : qui est-il ? D’où venait-il ? Cet oubli ou cette volonté crédite l’hypothèse qu’il est bien le fils de Dieu, qui d’autre aurait le moyen de lui octroyer le don de réaliser des miracles ? On se le demande. La même question se pose pour Bob Dylan.
Imaginons que ses parents soient musiciens, que l’un et l’autre l’aient initié à la musique, qu’ils l’aient éduqué au maniement des instruments, à l’écoute des notes, à la compréhension du solfège, depuis le berceau jusqu’à l’âge adulte, quelle image garderait-on de lui ? Celle « d’un filsde »peut-être, bien qu’il ne soit pas assuré que ce commentaire dégraderait son succès, à tout le moins l’écornerait sûrement. Cela nous renvoie à notre propre existence : « connais-toi, toi-même », Socrate.
Le parti pris du réalisateur est étonnant car Robert Allen Zimmerman alias Bob Dylan n’est pas inconnu ; juif, ses grands-parents ont fui l’Europe pour échapper aux pogroms, un chemin tracé par la souffrance et l’espérance, on comprend mieux pourquoi le petit-fils écrit et chante des textes d’une profondeur vertigineuse. Ils sondent nos âmes et nous initie au bien, à l’amour. D’où le parallèle avec Jésus qui, soit dit en passant, était juif lui aussi.
Cette réflexion sur la question du bien et du mal s’impose en force dans nos consciences. Quel que soit le côté où l’on se tourne de nos jours, on ne peut qu’observer la progression du second. La guerre, le terrorisme sévissent dans bien des continents, en Europe surtout où les principes fondateurs de nos sociétés démocratiques sont bafoués comme jamais. L’inversion des valeurs si chères à nos cœurs altère les esprits et trouble la pensée. Les cartes sont rebattues, les moins inspirés ignorent de quel côté se tourner et confondent tout. Pourtant le cheminement de l’Humanité est parsemé d’un grand nombre de poètes qui ont loué la sagesse afin de prémunir les sociétés de leurs propres turpitudes, mais l’oubli vide la mémoire. Voilà qu’on exalte la force et qu’on minimise ses dangers. Les incendiaires devraient pourtant savoir que le feu brûle tout sur son passage jusqu’à ceux qui l’ont allumé. En 1939, l’incendie partit de l’Allemagne et revint en force vers elle en 1945. Les inconscients qui réclament les flammes ou les utilisent à dessein devraient se méfier de l’échéance, l’Enfer leur est promis.
Qu’attendre des incendiaires à part la souffrance, la désolation et la mort ? Rien. Après l’apocalypse des années quarante, les peuples vécurent dans la crainte d’un retour de la guerre, puis ils s’endormirent et devinrent aveugles. Alors sortirent des bois des hommes perfides, des loups, qui en appelèrent au retour de la haine et à la vengeance ; ils réclamèrent justice, exigèrent la sécurité et les châtiments : « Allah Akbar ! Allah Akbar ! Allah Akbar ! L’écho leur répondit « Remigration », justice ! Justice ! Blancheur ! Blancheur ! Les plus déterminés se laissèrent convaincre d’endosser la peau du serpent, d’agir avec ruse, de frapper dans l’ombre et utilisèrent le feu à dessein : « Je ne connais rien de plus méprisable qu’un terroriste. » S’était écrié Chateaubriand après l’attentat de la rue Saint-Nicaise1. Qu’aurait-il dit en observant les actes odieux commis de nos jours ?
- Que faire contre l’irrédentisme religieux ? Lutter contre ce fléau sans tomber dans l’injustice, bien qu’on se désole de voir les arguments les plus vils issus de la mouvance islamiste se répandre auprès des jeunes embrigadés par des influenceurs nauséabonds.
- Que faire contre les dérives d’un dictateur à part souhaiter qu’il disparaisse ? Pas grand-chose. On est démuni, pauvre insecte, à tout le moins pourrions-nous nous rassembler et crier haut et fort notre désapprobation.
- Que peut-on tirer de profitable à se compromettre avec le Diable ? Rien à part s’exposer à la déception. Si Chateaubriand ne connaît rien de plus misérable qu’un terroriste, comment définirait-il un traitre ? Trump a lâché l’Ukraine, l’a accusée d’être l’agresseur, a donné quitus à Poutine et a trahi ses alliés.
Cette inversion de posture, ces mensonges déçoivent et suscitent l’indignation. Il n’est pourtant pas inutile de rappeler que c’est au moment où tout semble perdu que l’espoir renaît. Chacun doit avoir conscience que le malheur frappera ceux qui se fourvoieront et se laisseront séduire par Satan, l’avenir leur sera incertain, car le bien finira par triompher. Le tyran perdra, mais pendant son règne les peuples souffriront. C’est le prix de la forfaiture. Les paroles de Bob Dylan auraient pu nous en préserver, laissons-nous à tout le moins nous bercer par ses mots :
Combien de fois les boulets de canon doivent-ils voler
Avant qu’ils ne soient interdits ?
Et combien de fois un homme peut-il tourner la tête
Et faire comme s’il ne voyait rien ?
Combien d’oreilles un homme doit-il avoir
Avant qu’il puisse entendre les gens pleurer ?
Oui, et combien de morts faudra-t-il jusqu’à ce qu’il sache
Que trop de gens sont morts ?
La réponse mon ami est dans le vent
La réponse souffle dans le vent.
1. Attentat meurtrier perpétré contre Bonaparte, alors Premier consul, par les royalistes. La bombe fit plusieurs morts et de nombreux blessés.
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