Autonomie alimentaire en Corse : une urgence territoriale au cœur des Routes des Transitions

Dans un contexte de dérèglement climatique, de dépendance aux importations et de besoin de souveraineté locale, la Corse se retrouve à un tournant. L’agriculture durable, enracinée dans le territoire et respectueuse de l’environnement, apparaît plus que jamais comme une réponse concrète à ces défis. C’est dans cette dynamique que s’inscrit l’initiative Les Routes des Transitions, portée par le Crédit Agricole, dont une étape clé s’est tenue en Corse autour d’un débat engagé sur l’avenir de l’agriculture insulaire.

Une odyssée nationale, une problématique locale

Lancée en juillet 2024, l’initiative des Routes des Transitions parcourt 29 régions françaises pour explorer, sur le terrain, les grands défis de notre époque : urgence écologique, mutations économiques, transitions agricoles et bouleversements sociaux. En Corse, le sujet choisi s’est imposé de lui-même : l’autonomie alimentaire. Pour Éric Campos, en charge du projet au niveau national, « il s’agit de comprendre comment les acteurs économiques, les agriculteurs, les élus locaux s’adaptent aux grands chocs en cours, qu’ils soient climatiques, géopolitiques ou technologiques » . Et en Corse, la réponse passe nécessairement par une réappropriation de la production agricole locale.

Un état des lieux sans appel

Jean-Baptiste Arena, nouveau président de la chambre régionale d’agriculture, ne mâche pas ses mots : « Aujourd’hui, nous ne couvrons même pas 4% de nos besoins alimentaires. C’est une situation catastrophique. » Face à cette réalité, l’objectif fixé à moyen terme est d’atteindre 25 à 30% d’autosuffisance d’ici 25 à 30 ans. Parmi les obstacles identifiés : la pression foncière, due à la poussée de l’urbanisation et au tourisme, et une complexité administrative freinant l’installation des jeunes agriculteurs. Une simplification des démarches est attendue de pied ferme.

Le climat, un défi structurel

Patrick Rébillout, spécialiste du climat insulaire, dresse un tableau précis de l’évolution climatique : +2°C en moyenne sur les dernières décennies, multiplication des canicules, extension des sécheresses à l’ensemble de l’île, événements extrêmes plus fréquents (inondations, tempêtes). Les conséquences pour l’agriculture sont directes : raréfaction de l’eau disponible, évaporation accrue, sols fragilisés. Il insiste sur l’importance de repenser la gestion de l’eau, de couvrir les sols et de restaurer des pratiques d’irrigation intelligentes et économes.

Des pratiques à réinventer… en s’inspirant du passé

Jacques Abbatucci, éleveur à Porto-Pollo, mise sur un modèle inspiré des traditions agricoles corses, remis au goût du jour avec les outils du xxie siècle. « Il faut revenir à une gestion autonome, locale, de la chaîne de production. On l’a déjà fait, on peut le refaire. Il faut moderniser ces pratiques avec les technologies actuelles. » Pour lui, l’enjeu majeur est aussi la transmission de compétences : l’agriculture insulaire manque aujourd’hui d’ingénierie et de formation technique avancée pour évoluer rapidement.

 

L’agriculture raisonnée, une voie d’avenir

Radia Lourkisti, professeure en agronomie, rappelle les fondamentaux de l’agriculture raisonnée : réduction des intrants, gestion optimisée de l’eau, agroforesterie, biocontrôle, etc. Elle insiste sur son adaptabilité aux différentes filières insulaires, de la viticulture à l’élevage, en passant par les cultures végétales. Selon elle, ces pratiques permettent à la fois de s’adapter au changement climatique et d’améliorer les rendements, tout en respectant les ressources naturelles du territoire.

Le rôle des banques : soutien et accompagnement stratégique

Jean-Pierre Guillou, directeur du Crédit Agricole de la Corse, souligne le rôle historique de la banque auprès des agriculteurs corses. « Nous avons mis en place une équipe d’experts agricoles pour accompagner la transition vers une agriculture plus durable, résiliente et responsable. » Le Crédit Agricole s’appuie aussi sur des structures nationales comme Crédit Agricole Transitions & Énergies, ainsi que sur des partenariats spécialisés pour adapter les cultures aux réalités climatiques méditerranéennes.

Une transition déjà en marche

Ce débat, à la fois pragmatique et porteur d’espoir, montre que les solutions existent : elles reposent sur la coopération entre agriculteurs, scientifiques, institutions publiques et partenaires économiques. Mais pour être efficaces, ces solutions doivent être coordonnées, accompagnées et partagées à l’échelle du territoire.

La Corse a les ressources, le savoir-faire et la volonté. Reste désormais à transformer ces atouts en autonomie durable.

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