Anthony Gosselin : « L’art de fer »

Le compteur de son camion augmente d’environ 50 000 kilomètres par an. Il sillonne les routes de Corse à bord de son camion entièrement équipé pour parer et ferrer les sabots des chevaux. Suivez le temps d’une journée, ce maréchal-ferrant également ferronnier d’art, professionnel dévoué au service des équidés et de leurs propriétaires. Anthony est l’un des 1 700 maréchaux que l’on dénombre au niveau national, sur l’île ils sont à peine une quinzaine… 

Ci sò i cavalli, i cavallieri è po tuttu u mondu sanu di prufessiunali ingiru. Oghje, si scopre un stazzunariu chì cunnosce più ch’è bè u so mistieru fattu d’amore per l’animali è di sapè fà. 

Par Diana Salicetti

Passer sous les chevaux 

Un immense et classieux couloir de box, une toiture laissant passer esthétiquement la lumière du jour, le bruit de la pluie sur cette imposante structure, un hennissement qui résonne dans le matin calme… Nous voici dans un domaine oléicole doté de magnifiques écuries pour propriétaires, un lieu privilégié dédié aux soins des chevaux et au saut d’obstacle. Il est 9 heures aux écuries de l’Arcusa, commune de Cognocoli-Montichji et on entend la voix d’Anthony Gosselin. Pour apercevoir son visage, il faut se baisser et se mettre au niveau des jambes de Dumbledore, un magnifique selle français dont les ferrures sont changées ce matin. Une heure est nécessaire à ce maréchal basé à Ajaccio pour changer les quatre fers : le temps d’observer la bête, de la faire marcher et trotter, de sortir les vieilles ferrures, de parer et enfin de lui trouver fer à son pied. Une ferrure que le cheval pourra garder environ six semaines. « Je ne suis pas né dans les chevaux, confesse le professionnel enregistré à la Chambre des métiers. Au départ, je cherchais juste un métier où je pouvais emmener mon chien avec moi. Dans les années 2000, une dame me propose de travailler dans des écuries. Je deviens donc palefrenier, groom et je découvre les corps de métiers du monde du cheval tout en apprenant à monter. » C’est alors que la maréchalerie attire l’attention d’Anthony, un ancien formateur de l’École de maréchalerie va le convaincre de suivre cette voie. « Les inscriptions avaient lieu lorsqu’il m’en a parlé, j’ai postulé aussitôt. » Débute ainsi un apprentissage pour le moins physique et ardu. « Les futurs maréchaux doivent passer d’innombrables heures sur leur forge avant de pouvoir passer sous les chevaux »,raconte Anthony. Deux ans et demi de formation seront nécessaires pour saisir les clefs de ce métier très physique, vieux de plus de deux millénaires et qui était vraiment tombé en désuétude dans les années 2000. 

« Tous les chevaux sont des athlètes » 

En 2003, son sésame en poche, Anthony Gosselin débute sa carrière de maréchal-ferrant. « C’était tellement un métier qui se perdait qu’on ne savait même pas me dire de quel code APE je devais dépendre, se souvient-il. Alors, dans le doute, je cotisais à la MSA et à la Chambre des métiers. » Si les années ont certes passé depuis les premières ferrures, on voit dans le regard qu’il pose sur les sabots, une passion et une rigueur qui ne semblent pas s’être érodées avec le temps. « Tous les chevaux sont des athlètes, qu’il s’agisse d’un cheval de saut comme d’un cheval de randonnée », confie le micro-entrepreneur qui est en train de parer, c’est-à-dire de tailler et d’entretenir la boîte cornée du sabot du cheval. La nouvelle ferrure ne peut être posée sans cette étape primordiale. Certains propriétaires préfèrent, quant à eux, laisser leur chevaux pieds nus en s’arrêtant à l’étape du parage.

Contrairement à l’aspect rigide et obtus du fer, la maréchalerie est un vrai travail de précision et de soin, de l’orfèvrerie à même le sabot ! En parlant de travail artistique, Anthony n’y est pas étranger, il a eu par le passé une société de ferronnerie d’art en association avec un autre maréchal rencontré pendant ses classes marseillaises : Dumè Tenneroni. Ensemble, ils ont pendant quatre années proposé des créations en fer forgé allant du portail à la pièce d’art en passant par les commandes personnelles avant de décider de reprendre à 100% leur activité de maréchalerie. 

Voilà donc Anthony reparti sur les routes en solitaire avec pas moins de 1 000 km parcourus chaque semaine pour aller ferrer aux quatre coins de l’île. « Si au niveau national, il existe une Union française des maréchaux, entre maréchaux insulaires, on essaye de s’épauler et de communiquer entre nous. Cela permet par exemple si on est du côté de Bastia d’éviter à un collègue ajaccien de monter spécialement et d’aller remettre un fer d’un de ses clients qui serait tombé à sa place. »

Le maréchal, qui est en fin de parage, râpe méticuleusement le pied de la bête. « Ce que j’aime dans ce métier, c’est le contact au cheval. Je leur parle beaucoup plus qu’à la plupart des gens… je ne suis pas un grand bavard », confie Anthony le sourire en coin. La pose du fer est loin d’être un acte anodin : « on agit sur l’aplomb du cheval, on peut donc le rectifier si problème il y a. Cependant en cas d’erreur d’appréciation, ça peut être terrible et on peut facilement créer une pathologie ! Sur ce cheval par exemple, je dois limiter les bras de levier car il y a eu un étirement ligamentaire, cela le limite donc dans sa locomotion ». Sensibilité et finesse sont donc de mise de finesse dans l’appréciation et dans le geste.

« S’il y a un problème en haut du cheval, il se répercute sur le bas »

Chaque cheval passant entre les mains du maréchal doit donc être bien observé ainsi que sa biomécanique : « il faut adapter le fer aux besoins, ça doit vraiment être du sur-mesure. Il s’agit avant tout de respecter l’identité du pied du cheval ». C’est dans cette optique qu’Anthony travaille de concert avec vétérinaire et ostéopathe dans le suivi d’un équidé. 

« S’il y a un problème en haut du cheval, il se répercute sur le bas », rappelle Anthony Gosselin qui se dirige vers son camion de prêt pour utiliser sa meuleuse afin de travailler les fers. Ces derniers temps, une panne sur son camion équipé lui vaut des conditions de travail plus compliquées car il a fallu s’adapter en urgence avec un autre véhicule moins pratique. Aussi, est-il impossible pour Anthony, pour quelques jours encore, de ferrer à chaud, une technique permettant de forger le fer au pied. « Cela permet d’être beaucoup plus précis, c’est plus facile à ajuster », explique le forgeron. Il arrive également au maréchal de réaliser des fers orthopédiques, « je pars alors d’une barre droite cela permet de vraiment retrouver le côté forge ». Si on peut réparer un cheval en le ferrant, les maréchaux, eux, peuvent facilement se blesser, voire « se casser ». Il faut alors imaginer la force nécessaire pour contrer la jambe d’un cheval peu coopératif, voire rétif, imaginer le poids du cheval qui parfois considère le maréchal comme une béquille sur laquelle il peut s’appuyer à loisir ! « J’ai un bras beaucoup plus musclé que l’autre, cette asymétrie du corps joue beaucoup et j’ai tendance à me faire mal toujours au même endroit. » Un métier cassant et exigeant pour lequel il existe des compétitions pour déterminer les meilleurs maréchaux, Anthony en a fait plus d’une lorsqu’il habitait sur le continent.

« Antho, ça s’est bien passé avec Dumbledore ? », demande Nathalie qui est responsable des Écuries de l’Arcusa, un établissement qui se destine à l’avenir à recevoir une clientèle avec ses chevaux pour des vacances ou alors du perfectionnement équestre. « Parfait ! Il donne beaucoup mieux les pieds qu’avant »,répond le maréchal qui utilise patience et douceur pour faire collaborer même les chevaux les plus récalcitrants. « Anthony fait un travail fantastique », poursuit celle qui est aussi monitrice d’équitation et soigneuse. Il est très ouvert, soucieux de ce qu’il peut faire au niveau des ferrures et il se remet toujours en question. » Encore un cheval à parer et il est temps de quitter cette écurie bâtie au cœur d’une oliveraie de plus de 10 000 arbres. 

« No foot, no horse ! »

Direction la région d’Ajaccio, pour aller visiter deux juments appartenant à José, un mordu des courses et du cheval ! 

Les écuries se situent en bas de la maison familiale. Ici aussi, les chevaux ont la belle vie. Un box pour les nuits froides, un grand paddock au soleil pour les jours où l’hiver est clément. « Anthony, ça fait quatre ou cinq ans que je travaille avec lui et je l’apprécie beaucoup car tout d’abord c’est un garçon qui travaille son planning », explique José. Et puis, il y a un dialogue entre le vétérinaire et lui, c’est important car le dicton le dit : No foot, no horse*.»

Ici, les fers diffèrent du CSO, pour les courses c’est le fer alu, plus léger, qui est de rigueur. Dream Pontadour et Google, les deux juments Anglo de José, se laissent manipuler docilement par Anthony. 

« On s’y attache à ces chevaux, même si certains sont des bêtes à chagrin », regrette José en regardant avec tendresse ses deux championnes. Des athlètes sans challenge en 2020 tant la Covid a également été synonyme d’heures assez noires pour le monde des courses. Les meetings ayant encore lieu à huis clos, les paris se font sur Internet mais les hippodromes perdent assurément un peu de leur charme et de leur tension si palpable lorsque les chevaux s’élancent sur la piste. 

« Heureusement que nous avons le président du comité corse des courses, monsieur Andreani, pour défendre ce monde, maintenir les courses et les allocations », rajoute José. Mais je reste très positif pour 2021, ça ne peut être que mieux et puis la France ne peut pas nier que 150 000 personnes mangent grâce aux chevaux ! » La passion comme excellent remède contre la morosité ambiante ? « Il faut une passion dévorante, assure José, sans passion tu n’as rien… tu n’es rien ! » Ce serait bien le mot de la fin si Anthony n’était pas à présent attendu aux écuries de Capitoro. 

Entre 400 et 800 kilos 

Troisième et dernière adresse de la journée avec une ferrure et un parage à réaliser. C’est Pascale, gérante de l’écurie et Caroline qui nous accueillent. Ici, si la Covid a empêché les licenciés de venir en mars dernier, depuis il a renforcé les cavaliers dans leur envie de pratiquer. Un café au soleil et le travail redémarre. Anthony procède toujours au même cérémonial informel : un salut au cheval, une caresse, comme la demande tacite d’un laisser-passer pour s’inviter sans encombre sous les pieds de cette bête pesant entre 400 et 800 kilos… jusqu’à une tonne pour les chevaux de trait ! 

Les deux femmes font la paire à la tête de ce centre à l’ambiance très familiale et décontractée qui compte une centaine de licenciés. On rigole, on plaisante pendant l’entretien des chevaux et des paddocks par la jeune palefrenière Orlane. « Ici, c’est champêtre et sans fanfreluche », plaisante à moitié Caroline, la monitrice ultra-dynamique du centre. « Souriant, accessible, professionnel, méticuleux, … » : les adjectifs positifs ne manquent pas pour qualifier le maréchal-ferrant qui est en train de déferrer à l’aide de sa tricoise, Gipsie, une ponette de concours. « J’ai entièrement confiance en lui », poursuit Caroline. Il est observateur, capable de voir un problème avant qu’on lui en parle, il se questionne, il cherche… Que le cheval soit à 300 euros ou à 30 000, il s’en occupe exactement de la même manière ! Pour moi, c’est pas rien ! » Après avoir déferré et paré, pied par pied la jeune jument, Anthony passe maintenant au modelage du fer en le tapant énergiquement sur son enclume. Les clous sont ensuite mis, rabattus, coupés et rivés : le fer est posé. C’est au tour de Jexcelle d’Elbe, une jeune pouliche de deux ans, d’être parée. Le téléphone du maréchal sonne, il prend l’appel sur sa montre : « Vous voulez changer l’heure de notre rendez-vous ? Je suis sous un cheval, je ne peux pas vous dire tout de suite mais je vous rappelle tout à l’heure. » Les futures journées s’invitent déjà à l’esprit d’Anthony qui garde, malgré tout, le rythme calme de ses gestes assurés. 

Son chien et son matériel une fois installés dans sa voiture, le maréchal repart, sa journée est terminée. Reviennent en tête les mots de José, le propriétaire de chevaux de course « Il faut une passion dévorante, sans passion tu n’as rien… tu n’es rien ! »

Anthony est. Assurément. 

* Pas de pied, pas de cheval 

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