Ange ou démon ?

La candidature de Volotea pour la prochaine DSP aérienne suscite de vives réactions depuis plusieurs semaines. Comment peut-on expliquer un tel déferlement de critiques envers une compagnie qui programme un million de sièges en Corse et qui a choisi de répondre tout simplement à un appel d’offres de la manière la plus légale qui soit ?

Par Jean-André Miniconi 

En effet, Volotea n’est pas inconnue en Corse. Elle assure des liaisons aériennes depuis 2012, date de la création de la compagnie et n’a cessé de tisser sa toile depuis, en dehors des grands aéroports parisiens. Je me souviens avoir rencontré Carlos Munoz à Barcelone en 2016, où il me confirmait déjà son attrait pour les lignes françaises et pour la Corse en particulier. À cette époque, la compagnie avait une vingtaine d’appareils et prévoyait de transporter plus de 4 millions de passagers en 2017 sur l’ensemble de ses lignes. En 2023, Volotea a renforcé son offre vers la Corse en programmant 900 000 sièges, soit 12% de plus qu’en 2019 et 29 destinations. L’ambition de la compagnie est d’atteindre rapidement 1,5 million de sièges offerts et d’ouvrir 10 nouvelles routes dans les trois prochaines années. Le fondateur de Volotea affichait ses ambitions en déclarant « Grâce aux partenaires qui nous font confiance et nos bons résultats, nous voulons continuer à renforcer notre ancrage local au service du dynamisme économique de la région en dépassant très prochainement la barre symbolique de 1 million de sièges disponibles dans tous les aéroports corses » (Source Air Journal 11/07/2023). Comme on le voit, Volotea a pris une part importante dans le développement de l’aérien en Corse transportant depuis 2012 plus de 6 millions de passagers. C’est d’ailleurs la compagnie qui progresse le plus, suppléant même le désengagement de certains acteurs.

Griefs récurrents 

Alors que reprocher à Volotea. Le mauvais service ? Fâcheusement comme dans beaucoup de compagnies low costs, les retards sont fréquents et parfois les vols annulés. Il ne faut toutefois pas oublier que Volotea est passée en 2023 premier opérateur aérien pour les lignes domestiques en France en desservant 61 villes, devant le groupe Air France et prévoit de transporter 6 millions de passagers. Il est évident que le maillage complexe des lignes dans tout l’Hexagone rend l’exploitation difficile. Cependant, organiser des lignes dans le cadre d’une DSP avec des créneaux réservés est beaucoup plus facile à mettre en œuvre, de sorte que la ponctualité devrait être au rendez-vous. Le non-respect des obligations de temps de travail ? Volotea a bien été condamnée car le temps de vol des pilotes dépassait les 90 heures mensuels. Depuis elle assure respecter la réglementation française. 

Mais alors où se situe le problème ? Dans l’écart de prix abyssal entre les deux offres, celle d’Air Corsica et d’Air France avec une proposition à 96 millions d’euros et celle de Volotea qui s’élève à 50 millions d’euros. On savait depuis des lustres, qu’il serait difficile à Air Corsica de s’aligner en cas de concurrence. Une compagnie bâtie à l’époque sur le modèle d’Air France n’a que peu de chance d’être performante en termes de prix avec des compagnies low costs. D’ailleurs si Air France a créé Transavia, ce n’est pas pour rien. La compagnie à une surcharge pondérale au niveau salarial qui peut être morbide. Si l’on ajoute le coût de l’escale Air France en Corse, on arrive à des niveaux de charges très élevés qui interdisent toute forme de compétitivité en matière tarifaire. Pour être plus clair et dit d’une autre manière, sans la DSP Air Corsica meurt et sans la DSP l’escale d’Air France ferme. 

Choc social

Le niveau de dépendance est tel que l’on ne doit plus raisonner en termes de compétitivité, mais en termes de choc social et de continuité d’exploitation pour Air Corsica en tout cas. D’un côté une économie annuelle de 46 millions d’euros qui pourrait être utilisée à rénover les infrastructures publiques et donc profiter au plus grand nombre, de l’autre 1 000 emplois dont une grande partie menacée à terme. 

Que faire ? Protéger Air Corsica, l’outil industriel et ses employés, bien évidemment. Cependant une réflexion est à mener et très rapidement pour rendre cette compagnie compétitive. Il y aura des réformes à mener en matière de personnel notamment, des réflexions à porter sur les lignes à développer dans l’intérêt de la Corse, sur les possibilités de devenir LA Compagnie de la Méditerranée. Bruxelles regarde d’un œil attentif ce qui se passe et on ne peut pas se prétendre européen et ne pas en accepter les règles. Le juste service au juste prix, voilà ce qui doit être. Quant à Air France, qui se désengage des vols domestiques, elle devra clarifier sa politique en Corse. Là aussi, l’argent public n’est pas fait pour absorber les surcoûts à tout crin. Enfin, il est juste de se rapprocher de Volotea pour renforcer un partenariat vieux de plus de 10 ans et peut-être leur accorder l’escale demandée depuis 3 ans. 

Du possible au souhaitable

Tout ceci n’est possible que si que le consortium Air Corsica/Air France revoit son offre sensiblement à la baisse afin que la CdC puisse valablement attribuer la DSP sans risque d’être retoquée et que Volotea se sente confortée dans son développement en Corse. Et pour finir, je me demande ce qui se passerait la saison prochaine si Volotea vexée par le traitement qu’on lui inflige décidait brusquement de redéployer ses avions ailleurs ?

Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.