Alexia Caamano – Une artiste engagée

Portrait

Par Karine Casalta

Que ce soit avec ses dessins de femmes plantes, « peuplade sauvage, née de la volonté d’une révolution pacifiste, en réaction à l’hypersexualisation, les diktats du genre, l’individualisation et la servitude », qu’au travers de vidéos qui leur donnent vie, Alexia Caamano exprime au travers des images un engagement militant affirmé. Son travail chargé de sens, témoigne d’un féminisme farouche, et plus encore, d’un questionnement nécessaire sur l’humanité.

Très tôt, après un parcours jonché de détours, c’est par le dessin que la jeune artiste va s’exprimer « Le dessin a été un point de départ pour la naissance de ma démarche, c’est une pratique transversale qui m’aide à rendre matérielles les idées que je peux avoir en tête. »

Née en 1997 à Ajaccio, Alexia a grandi dans une famille qui dès sa jeunesse l’a éveillée à l’art « Mes parents ont toujours fait en sorte pour mon frère et moi-même, d’attiser notre curiosité pour le monde artistique et culturel. On allait souvent au musée, au théâtre, notre bibliothèque se renouvelait sans cesse… » Mais c’est à travers le théâtre, qu’elle pratique au collège et au lycée, que son envie de s’engager dans une formation artistique va naître. « Le fait de créer un monde, à travers des personnages, un décor, des costumes, des lumières, de la musique parfois. Quand j’ai dû choisir ma voie en terminale je n’ai pas trop réfléchi et j’ai sauté dans le vide. Je crois qu’il ne faut pas trop réfléchir dans ces cas-là, vouloir devenir artiste, c’est une pulsion. »À 18 ans, elle quitte ainsi Ajaccio pour s’inscrire en classe préparatoire aux grandes écoles d’arts à Sartène, où elle étudie les arts plastiques et teste toute sorte de supports, notamment la vidéo, avant d’intégrer les beaux-arts de Toulouse en 2016 où elle redécouvre la pratique du dessin. Elle quittera l’école la même année pour rentrer en Corse où elle continue à dessiner seule chez elle, à Ajaccio. Après cet intermède qui durera près de 2 ans, elle s’envole au Québec pour suivre une formation de graphisme.

Durant ces années, les femmes plantes commencent progressivement à apparaître.

S’interroger sur le rôle de la femme

Très vite, l’artiste a intégré le corps féminin dans sa pratique artistique. Attirée par la performance et la vidéo durant sa classe préparatoire, les corps féminins étaient alors pour elle inconsciemment, ou pas, liés à la violence : « celle de la douleur physique des menstruations par exemple, de l’accouchement, ou même dans un aspect plus général celle des stéréotypes liés à ce qui s’impose comme étant les canons de beauté ».C’est en réaction à cet imaginaire de la femme que sont nées les femmes plantes en 2016. Alexia a eu l’envie de représenter le nu féminin sans violence, dénué de toute connotation sexuelle ou érotique. « J’avais envie de poésie et de repos. » Le choix du dessin s’est alors imposé pour créer une femme hybride beaucoup plus douce. Une femme plante au visage feuillu et aux membres coupés. Le nu a été une manière de revenir à un état plus primaire, un nu flottant, sans contexte spatial alentour, sans mise en scène pour axer sur l’étude des femmes plantes en tant que telles. « Je désirais un corps nu extirpé de tous préjugés sociaux, sans statut, sans couleur de peau : seuls les contours étant dessinés, les corps étaient de la couleur du papier utilisé. Ajouter de la végétation a été une évidence et m’a permis de les ancrer dans un contexte d’évolution permanent, sans doute parce que j’ai grandi en Corse, entourée de végétation, ce qui m’a certainement influencé. »

Un corps féminin qui s’est naturellement imposé à l’artiste. « Je me sens profondément femme mais je suis en permanence en train de remettre en question ma place et mon rôle en tant que tels, mes droits et devoirs, j’essaie d’être constamment dans l’analyse des représentations possibles des femmes et filles de mon entourage. Néanmoins, les hommes, à travers leurs différentes manières de nous percevoir et nous considérer, occupent également une place importante dans mes questionnements. Les femmes plantes sont un peu – je n’aime pas dire “réponse”, car je n’ai aucune réponse – mes sortes de guide à travers ces différentes approches “existentielles”. »

L’artiste ne se prive d’aucune source d’inspiration. Sensiblement attirée par des artistes tels Amadeo Modigliani, Alberto Giacometti, Egon Schiele ou encore Lucian Freud pour ses peintures de nus, elle puise tout autant dans la Renaissance italienne, l’iconographie religieuse ou mythologique, que dans les études de Mircea Eliade sur les peuples chamaniques, ou encore chez Virginie Despentes. Sans compter la Corse qui l’inspire aussi fortement « une sorte de puits à problématiques et notions diverses dans lequel je pioche. La Corse tient une immense place dans mon travail ». Tout comme les rencontres, les interactions, les échanges avec ceux qu’elle côtoie, qui nourrissent son travail.

Un champ de réflexion qui s’élargit

Aujourd’hui quatre ans après, les femmes plantes ont muté. Elles se sont levées, elles se mêlent les unes aux autres. « Mon souhait est de créer un être hybride végétal complètement androgyne, pour avoir une portée plus humaniste que féministe. Nous sommes dans une période où diviser les luttes et les causes sociales n’est plus possible, on ne doit plus être simplement écologiste, simplement féministe, les luttes convergent, donc laisser mes femmes plantes végéter n’est plus percutant. À travers la vidéo, j’expérimente une manière de créer des femmes plantes collectives, qui formeraient une masse, une seule unité. J’ai une approche toujours plastique de mes projets et le médium doit servir mon propos. Aujourd’hui, le dessin me sert à expérimenter et présenter mes idées plus facilement, mais depuis quelques mois, je suis retournée vers mon premier amour : la vidéo. La vidéo est légitime, j’ai besoin de mouvements, besoin de travailler en collectif. Et les personnages hybrides que j’ai longuement étudiés sur le papier s’animent. Ils prennent une autre forme. Je les redécouvre à travers la caméra. Et puis au-delà de ces personnages, le projet prend un aspect collectif qui je crois est nécessaire en ces temps. Le dessin est une pratique très individuelle, nous sommes seuls avec notre tête, notre main et notre papier. Dans la vidéo il y a déjà tout un décor qui doit rentrer en compte, dans mon cas il y a les danseurs avec qui je collabore (Deborah Lombardo, Mathéa Rafini, Kevin Naran), une créatrice de masques végétaux (Lou-Saveria Scipioni), puis des amis qui ont participé aux images, ou encore à la partie sonore, Hugo Manuelli, Téo Sorbara, etc. »

Engagée tant dans sa vie artistique que personnelle, les questionnements de l’artiste ont eux aussi évolué « Je suis féministe avant tout, mais il m’apparaît qu’on ne doit plus diviser les luttes, on doit être humain avant tout, protéger notre humanité, nos libertés individuelles. Je pense aujourd’hui que mon combat peut se résumer dans le terme d’autonomie. C’est ce que j’essaye de représenter dans l’univers des femmes plantes. Et plus largement au niveau de l’éducation. L’éducation est notre seule arme ! » 

Le travail d’Alexia Caamano est à retrouver sur Instagram @lesfemmesplantes et Vimeo 

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