Alexandre Ristorcelli, des images plein la tête

Plutôt discret, Alexandre Ristorcelli n’en demeure pas moins très actif. Le parcours et la créativité de ce quadragénaire et père de famille capcorsin forcent l’admiration. Ses dadas à lui, ce sont le storyboard et la bande dessinée. Des activités qu’ils exercent en télétravail déjà depuis plusieurs années, sans avoir attendu la Covid-19. Immersion dans l’univers d’un artiste éclairant et éclairé… 

Propos recueillis par Petru Altiani

Alexandre Ristorcelli, qu’est-ce qui vous a incité à exercer l’activité de storyboarder ? 

Je me suis depuis toujours destiné à travailler dans la bande dessinée. J’y ai été encouragé par tous les profs d’art que j’ai eu la chance d’avoir. Après un bac d’art plastique, plutôt que de me lancer directement dans la spécialisation que je m’étais choisie, par souci de voir d’autres facettes de l’Art auxquelles je m’étais éveillé, j’ai passé le concours des beaux-arts d’Aix-en-Provence. À l’issue de cette première année basée sur l’art conceptuel, j’ai appris que l’école d’Angoulême ne recrutait plus. Dans l’intervalle qui s’ouvrait malgré moi et dans l’esprit d’avoir une formation complète, j’ai suivi les cours d’un atelier parisien de prépa aux arts déco, plus académique, plus tourné vers les arts appliqués. Enfin, j’ai pu me présenter aux beaux-arts d’Angoulême, j’y ai passé les trois années de bonheur qui ont suivi à apprendre et faire de la bande dessinée, seul ou en collectif, et j’y ai aussi fait des rencontres magiques et déterminantes. J’ai obtenu mon diplôme, décerné avec mention, par un jury de professionnels parmi lequel Jean « Mœbius » Giraud et Marc-Antoine Mathieu sous l’autorité de qui j’ai eu l’occasion de bosser en scénographie, quelques années plus tard. J’aime beaucoup faire ce genre d’écarts dans ma discipline, c’est, je crois, une façon d’aérer un peu ma pratique, de lui donner de nouvelles inspirations. J’ai par exemple travaillé ponctuellement comme décorateur pour le ciné ou même comme régisseur ou assistant électro sur des sitcoms. Quand on me le demande, j’aime passer devant la caméra ou le micro. J’ai appris un peu le théâtre en amateur…

Comment s’est passé votre retour en Corse ?

Après Angoulême donc, je suis revenu en Corse où il m’a semblé opportun de m’inscrire en maîtrise d’arts appliqués. J’avais envie de travailler sur le découpage d’un album de Blueberry Le bout de la piste de Charlier et Giraud, mais je n’étais plus à mes chères études et ce projet a été avorté, alors que je bossais sur un album des aventures d’une héroïne que je développais depuis longtemps déjà, qui ressemblait de façon non fortuite à celle qui allait devenir mon épouse, artiste elle aussi, et qui attendait notre premier enfant. J’ai appris qu’une place était vacante dans une entreprise d’animation angoumoisine où travaillaient déjà mes anciens camarades des beaux-arts et j’ai commencé dans le dessin animé. Je me suis attelé à devenir sérieux avec un « vrai » travail, même si en néophyte, je croyais à tort que ma formation en bande dessinée me permettrait de rapidement accéder au poste de storyboarder. Il m’a fallu apprendre toutes les étapes de ce médium avant d’accéder à ce Graal, qui permettait le télétravail et donc un retour très désiré sur l’île natale. J’ai fait du posing, du layout, de la couleur, du characters design, j’ai animé, doublé, et j’en oublie sans doute. J’ai pu voir ce métier se transformer à l’ère du numérique et en collaboration avec un de mes meilleurs amis, nous avons décroché un Cristal d’Annecy pour une série Internet que nous développions de façon récréative, pendant cette période intense, où j’ai fait encore de l’illustration. C’est un peu le lot de tous les dessinateurs de ponctuer avec ça, le fameux « beurre dans les épinards ».

En quoi consiste le métier de storyboarder ?

Il s’agit de travailler étroitement avec le réalisateur. À partir du script et des designs, on fabrique une maquette complète de ce qui va devenir un film, tout ce qui est à l’écran doit apparaître dans ce travail très technique, aussi bien les mouvements de caméra que le jeu des personnages ou la mise en place des étapes de l’animation. Seules la couleur et la musique ne sont pas systématiquement abordées, en fait, tant qu’elles n’influent pas sur le déroulement de l’histoire. Le tout se présente comme une BD, mais la comparaison s’arrête à la forme.

Comment conciliez-vous le storyboard et la bande dessinée ?

Je ne suis revenu à la BD que de façon épisodique. J’ai été publié dans les derniers numéros de L’Écho des Savanes, fait des apparitions dans diverses publications de collectifs indés, comme le collectif Café Creed dont les membres m’ont honoré au rang de président d’honneur, et j’ai publié un album de commande aux éditions Narratives sur un scénario du regretté Jean-Louis Fonteneau. Entre-temps, j’ai commencé à m’installer dans le métier de storyboarder, quand le téléphone s’est mis à sonner tout seul, et parfois même, bien sûr, lorsque j’étais sous la douche. Nous avons revendu notre maison charentaise et j’ai enfin pu revenir en Corse. Dans ce même temps était publié mon premier album de La traînée jaune de Comicswood qui sera suivi d’un second tome, une série qui a eu son petit succès et où j’ai pu exploiter à fond ma passion forcenée pour le comics. Depuis la Corse, j’ai continué à exercer le storyboard d’animation, et j’ai collaboré à la revue AAARG, au collectif indé Freakshow Comix, par ailleurs plusieurs fois nommé au festival d’Angoulême. J’ai illustré beaucoup de couvertures de livres et parfois garni quelques pages intérieures. Aujourd’hui, j’ai décidé de lever le pied sur l’animation et travaille sur un projet de double-album qui sera publié chez Les Humanoïdes associés.

Peut-on parler peut-être d’un état d’esprit plus que d’un métier ?

Le storyboard, c’est du télétravail et on attend après votre rendu pour passer de l’étape de la pré-production à la production. Il faut beaucoup de discipline, car on est seul dans son bureau et ne pas rechigner à exploser les 35 heures par semaine conventionnelles en débordant sur le lundi suivant. Ce qui n’est pas forcément agréable lorsque l’on est intermittent du spectacle et que personne ne comptabilise ce sacerdoce, mise à part votre famille ! Pour ce qui est de la BD, c’est ce que certains appellent « un métier passion », c’est ce que l’on dit généralement lorsque ça ne rapporte pas beaucoup d’argent, et que le feu qui vous anime doit être entretenu avec autre chose que de la reconnaissance sociale, mais NON, ce sont des métiers, puisqu’ils nécessitent tous deux un véritable apprentissage, peut-être toutefois, que l’art se pratique avec un certain état d’esprit, mais n’en est-il pas de même pour tous les métiers ? Ce que je veux dire c’est que dès qu’une pratique professionnelle ressemble à une vocation, il me semble qu’il y a forcément un état d’esprit dans ses rouages.

Comment mettez-vous en œuvre votre travail créatif ? Avec quels outils ?

Le travail sur papier a quasiment disparu. Je travaille avec un logiciel dédié à ma discipline, sur mon propre matériel informatique, utilise une « cintiq », qui me permet de dessiner directement sur l’écran. Rester attentif aux avancées et aux changements techniques est à la fois indispensable et très compliqué avec le travail à distance. Me retrouver dépassé sur ces problèmes techniques est ma plus grande hantise.

À l’heure de la Covid-19, votre activité a-t-elle été perturbée ?

Pas du tout, mon problème est resté le même ; couper ma journée en deux par une promenade de santé et passer ensuite ma soirée à essayer de rattraper cette heure de batifolage !


Comment tissez-vous vos relations professionnelles en Corse et ailleurs ?

J’ai beaucoup travaillé en entreprise. Ce qui m’a permis d’avoir un réseau et une petite réputation, mais à partir du moment où j’ai travaillé au storyboard, j’ai cessé de voir physiquement les personnes avec qui je collabore, même lorsque j’étais installé en Charente. En général, ce sont les réalisateurs ou leurs assistants qui me contactent, et j’ai noué de véritables relations d’amitié avec certains et nous nous voyons « analogiquement » que pour le plaisir de boire un verre au gré des déplacements de chacun.

Quelles sont les influences ou références artistiques qui inspirent votre travail ?

Je regarde très peu d’animations ; même si j’adore les vieux Disney et Miyazaki. Beaucoup moins qu’avant d’avoir les mains dans le moteur en tous cas. Je préfère largement m’inspirer de films ; le langage technique déployé est sensiblement le même. Pour ce qui est du storyboard, mon inspiration importe peu, c’est celle du réalisateur qui prévaut. Dans certains pays, cette tâche est considérée comme du travail d’auteur, c’est réjouissant sous beaucoup d’aspects, mais je crois que c’est un leurre. L’auteur, c’est celui qui va au feu pour défendre un résultat, fusse-t-il celui de toute une équipe. Pour la BD, par contre, je suis un grand consommateur. Je ne lis quasi exclusivement que du comics, et les génies qui le font ou l’ont fait, Jack Kirby, Richard Corben, Alan Moore, Neil Gaiman, les frères Hernandez, le duo Morrison/Quitely et j’en passe, me passionnent. Je me permets quelques incartades vers le Français Mœbius, auquel je suis revenu depuis peu, puisque j’essaye de lui rendre une forme d’hommage dans mes prochains albums. Je coupe court car j’aimerais déjà rallonger la liste que je vous donne, et il faudrait une autre interview pour caser toutes les références que je voudrais évoquer. J’ai l’habitude de dire que je suis avant tout un fanatique qui fait de la BD, le lecteur que je suis m’est plus précieux que l’auteur. Il y a des œuvres complètes dont la relecture tous les trois mois m’est vitale, c’est vous dire !

« Le storyboard, c’est du télétravail et on attend après votre rendu pour passer de l’étape de la préproduction à la production. Il faut beaucoup de discipline, car on est seul dans son bureau et ne pas rechigner à exploser les 35 heures par semaine conventionnelles en débordant sur le lundi suivant. »

Alexandre Ristorcelli, storyboarder et créateur de bandes dessinées


Quelles œuvres et réalisations comptez-vous à votre actif aujourd’hui, dans le domaine du dessin animé et de la bande dessinée ?

Pour l’animation, au rythme d’une, deux, voire trois prods par an, ce serait ardu de tout mentionner sur les plus de vingt années que j’y ai consacré. J’aimerais quand même citer Adibou, puisque j’y ai officié à plusieurs postes à la fois et que je m’y suis donc plus impliqué que de coutume. Dans les dernières séries, c’est-à-dire celles qui sont en cours de diffusion, il y a : « Les mystérieuses cités d’or », « Drôles de p’tites bêtes » et « Arthur et les enfants de la table ronde ».

Quels sont vos prochains projets ?

Beaucoup de BD pour une histoire que j’adapte librement d’un roman de science-fiction contemporain, sur fond d’écologie avec une structure scénaristique originale, encore un peu de storyboard et la réalisation d’un vidéo-clip qui va allier l’animation avec une petite dose d’images réelles, mais pardonnez-moi si je préfère ne pas trop parler de ce qui est en cours…


Savoir +

Facebook : Lisà/Alex Ristorcelli

Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.