Aéroport Marseille-Provence – Les malades corses sous le joug des contrôles excessifs

Les incidents sont récurrents aux départs et arrivées. Des agents de sécurité semblent s’être donné le mot pour ajouter encore aux difficultés de patients devant se rendre dans les hôpitaux de la cité phocéenne. Contrôleurs trop zélés. Propos aigre-doux, aux lisières du racisme. Des élus insulaires veulent que cela cesse et saisissent les autorités concernées.

Par Jean Poletti

U troppu stroppia. Rarement tel adage ne fut plus approprié. Mais cette formule lapidaire résume mieux que longs discours le climat marseillais dont sont victimes maints malades insulaires et leurs accompagnants au sortir de l’avion ou s’apprêtant à embarquer. Vulgairement parlant disons qu’ils semblent être les têtes de turcs pour des personnels de cet aéroport. Plutôt que de faire leur travail, ils sévissent et outrepassent leurs fonctions en confondant volontairement les nécessaires contrôles avec un autoritarisme outrancier qui suscite le courroux. Ces adeptes de la surveillance ne sont certes pas issus des grandes écoles qui confèrent la réflexion. Mais si inculture il y a, elle n’autorise pas, tant s’en faut, à houspiller et contraindre des personnes déjà tourmentées par les thérapies qu’elles subissent. D’autant que de tels excès semblent circonscrits à des passagers venus de Bastia ou Ajaccio, ou repartant pour ces villes. Exagérations sélectives ne visant qu’une communauté ? Certains le pensent n’hésitant pas à évoquer un racisme anti-corse. Assertion dictée par la colère aux confins de l’injustice ? Mais nul ne vaut ce relativisme ou excuse en entendant des injonctions telles « Retournez chez vous », « Ici, c’est nous qui faisons la loi » et autres quolibets de même veine quand il ne s’agit pas d’insultes.

L’algarade de trop

Jusqu’à récemment ces hiatus se limitaient à des échanges peu amènes entre employés et usagers. Mais un incident d’une amplitude plus importante déclencha une onde de choc. Une famille entière, entourant une mère ayant son nourrisson dans les bras, fut prise à partie par plusieurs membre de la sécurité. Les paroles discriminantes et menaçantes s’enchaînèrent. Des matamores à l’accent pagnolesque criaient « Bronchez et je vous débarque. » « Allez faire les fous chez vous. » Devant ces volées de bois verts aussi injustes qu’outrageants des témoins outrés prirent fait et cause pour les agressés. L’épisode de trop eut un écho retentissant dans l’île. Il fut un point de non-retour d’une situation n’ayant que trop duré. En point d’orgue, des questions orales furent posées à l’Assemblée territoriale. Elles émanaient essentiellement de Véronique Pietri et Danielle Antonini, respectivement au nom de Core in Fronte et Fà Populu Inseme. Dans des interventions concises et sériées, les deux édiles flétrirent de tels agissements qui défient l’élémentaire civilité se voulant reflets d’un mélange d’agressivité gratuite et d’imbécilité crasse. Et Véronique Pieri d’ajouter qu’ils sont puisés dans « un racisme larvé et de différences comportementales humaines et culturelles qui nous opposent à la France ». Danielle Antonini, particulièrement sensibilisée puisqu’elle est médecin de profession, ajoutera sans euphémisme « Cet épisode n’est malheureusement pas un fait isolé. Il traduit un profond malaise dans la manière dont sont parfois considérés des passagers corses sur certains aéroports. Celui de Marseille en particulier. » En substance, elle rappela qu’une grande partie des insulaires qui empruntent les aéroports de Nice, Paris ou Marseille le font contraints et forcés pour raisons médicales. À brûle-pourpoint, elle regretta que la Corse soit encore la seule et unique région de l’Hexagone et d’outre-mer à ne pas disposer d’un centre hospitalier universitaire. Une lacune, faut-il le souligner en contradiction avec la loi qui commande que chaque entité régionale possède un tel établissement.

Descartes, réveille-toi !

Il n’empêche, chacun dans l’hémicycle s’accordait à dire que sans occulter les contingences liées à la sécurité, rien n’interdisait ceux qui en ont la charge de faire preuve de bon sens qui, contrairement à ce que pense Descartes, n’est pas la chose du monde la mieux partagée. Nous en avons la preuve par l’exemple. En l’occurrence, elle a disparu du côté de Marignane. Tout comme s’est envolé le brin d’humanité au vent mauvais d’une autorité méprisante se croyant tout permis car elle porte uniforme et insigne.

Sans qu’il faille les énumérer nombre de témoignages indiquent que le fait pour certains énergumènes de tancer et houspiller injustement des passagers soit au fil du temps une sorte de procédure non écrite. Presque normale. Et foulant aux pieds les élémentaires règles non seulement de la législation mais également de l’empathie à l’égard d’êtres en souffrance physique et affaiblis moralement. Tel fut encore le cas voilà peu d’un patient et son accompagnatrice devant se rendre à la Timone. Un kapo de circonstance leur reprocha vertement de ne pas presser suffisamment le pas et selon ses dires de « créer un embouteillage ». Il ignorait que la lenteur était due à une pathologie douloureuse à la jambe. Mais pour ce hâbleur l’imaginer eut été sans doute un seuil inaccessible à son intelligence.

Lève-toi et marche

Ubu roi ! Il nous souvient à cet égard d’un épisode personnellement vécu. Mon père qui avait subi une lourde opération, devait regagner Bastia. Il avait besoin d’un fauteuil roulant. On le lui fournit, mais il s’avéra qu’il était trop large pour passer sous le portique de contrôle. Un sbire, borné jusqu’à la caricature n’en démordit pas. Aucune dérogation pour faire un détour et éventuellement une fouille au corps. « Il n’a qu’à se lever et passer sous le portique. » ; « Mais il ne peut pas ! » ; « Débrouillez-vous. C’est comme ça et pas autrement. » Comme aurait dit Coluche, son cerveau ne lui servait qu’à avoir des rhumes ! Sans l’énervement, proche de la foire d’empoigne, l’échange eut été digne de Courteline. Finalement, un chef d’escale à l’évidence plus judicieux fit droit à notre légitime requête et permit le contournement de la sacro-sainte potence métallique.

Désormais ces dysfonctionnements ne resteront pas au stade de jérémiades stériles. Bianca Fazi l’a affirmé sans fards ni atermoiements. Pour la conseillère exécutive en charge de la santé, il est intolérable que se perpétuent des contrôles nourris de propos vexatoires, discriminants voire racistes.

L’édile, par ailleurs également praticienne, élargissait son intervention, et mettait en exergue l’absence de plateau technique ou d’infrastructures dans l’île qui se résument en une formule lapidaire « l’avion est le meilleur médecin ».

La double peine

Et Bianca Fazi de souligner que malgré les efforts et sollicitations auprès des ministres successifs concernés, le dossier du centre hospitalier universitaire joue l’Arlésienne tandis que le PET-scan, méthode d’imagerie de suivi des cancers, tarde à être opérationnel. Toute polémique exclue et au risque de se répéter disons que la Corse est la seule et unique région privée de ces deux dispositifs. Elle a bon dos l’égalité à l’accès aux soins ! La réalité est cruellement différente. Elle tient en un seul chiffre. Chaque année vingt-six mille personnes franchissent la mer pour subir examens ou interventions que nécessitent leurs état de santé. Derrière ce bilan en forme de froide statistique, Bianca Fazi évoque la double peine fondant dans un même creuset contraintes de transports, temps d’attente longs, fatigue et stress. Avec en corollaire des coûts supplémentaires. Face à de tels obstacles certains renoncent aux soins parfois vitaux. Aussi à bas bruit se met aussi en place une médecine à deux vitesses, pénalisant davantage encore ceux qui ont peu de moyens.

L’entendement chancelle et l’esprit se révolte devant une telle iniquité. Aussi ceux et celles qui se déplacent n’ont pas en plus à passer sous les fourches caudines de personnels imbus de leur pouvoir et agissant sans l’esquisse de l’ombre de l’élémentaire discernement.

L’ébauche du dialogue

Pour étouffer les débordements intempestifs, Bianca Fazi initia une rencontre avec le responsable de l’aéroport de Marseille et le directeur de la sécurité. Cette réunion de travail vit l’implication volontaire et spontanée de Gilles Albertini, directeur d’exploitation d’Air Corsica et de Pierre-François Novella, directeur des aéroports de Corse. Cette discussion permettra-t-elle que jaillisse la lumière de la normalité ? Acceptons-en l’augure. En tout cas, il a été convenu que des formations soient dispensées aux agents de sécurité. La finalité ? « Les sensibiliser aux situations spécifiques. » En corollaire, une campagne d’information s’adressera aux voyageurs afin d’anticiper et dans ce droit fil de fluidifier les procédures de contrôles pour les passagers prioritaires.

En toute hypothèse, « la Collectivité de Corse s’associera systématiquement aux plaintes déposées par des victimes ». Désormais la vigilance et l’éventuelle riposte sont de mise. Plus rien ne sera toléré. Lueur d’espoir cependant. Bianca Fazi annonça que « les participants à cette table ronde ont émis la volonté de travailler ensemble afin que de telles situations ne se reproduisent plus ».

 Pidocchi rivati basta

Sans adhérer à l’utopie pourrait dès lors se briser un cycle de flagrantes anomalies. Elles n’ont que trop duré à cause du bon plaisir de ceux qui dénaturent leur profession par des vétos et ukases. Des procédés aux lisières du despotisme dont se croient investis les petits chefs sans relief ni humanisme. Et comme on dit chez nous i pidocchi rivati !

Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.