A SANTA SEMPRE VIVA

Elle est la doyenne et la plus courue des foires de l’île. À Casamaccioli, sous l’ombre tutélaire du Cintu, elle allie en cette première semaine de septembre et trois jours durant aspects religieux et profanes. Au fil du temps, elle risqua de perdre son âme sous une fausse modernité. Mais fort heureusement une association lui redonna son originalité initiale et ainsi ses lettres de noblesse.
Par Jean Poletti
Chaque année, dans un rituel immuable de nombreux insulaires, mais aussi des continentaux venus spécialement, empruntent la route opportunément nommée A Scala di Santa Regina pour se rendre in campu di fiera. Là sur un vaste terre-plein, buvettes et stands d’artisans s’offrent aux visiteurs. Cette fois encore le point d’orgue sera la grande messe suivie de la procession de fidèles suivant la statue de la Vierge portée à dos d’hommes. Chants traditionnels et l’incontournable Diu vi salvi Regina résonneront le long d’un parcours entrecoupé de haltes et de bénédictions. En cela se perpétue la légende qui veut qu’en ce village niché au cœur du Niolu c’è fallatu u signore è a lasciatu une santa per pruva u so amore. D’autres récits affirment que le capitaine d’un navire pris dans une énorme tempête implora le ciel d’éviter le naufrage. Un vœu exaucé. En guise de remerciement, il offrit l’icône qui depuis trône dans l’église paroissiale. Passé sans cesse renouvelé aussi avec a Granitula venue du fond des âges. Les confrères effectuant une spirale qui se réduit et s’élargit. Au-delà du visuel esthétique, elle symbolise la ronde cyclique de la nature et aussi de la vie. Les saisons, la naissance, l’existence et la mort sont ainsi déroulées sous le regard du spectateur conquis par la beauté du spectacle. En paraphrasant Aragon, chacun pourrait dire que celui qui croyait au ciel, celui qui n’y croyait pas, tous étaient captivés par une telle prestation conjuguant tant de messages dans une authentique sobriété.
IL ÉTAIT UNE FOIS
Naguère A Santa faisait aussi la part belle à la ruralité. Chevaux, mulets, ânes et accessoirement bétail étaient proposés à la vente. Les exposants présentaient aussi
maints objets dévolus au travail de la terre ou simplement à usage domestique. En corollaire, plusieurs maisons abritaient des tripots où se déroulaient des parties de « chemin de fer » ce jeu de cartes qui souriait à certains, en laissant d’autres sans le sou. Et puis les anciens se souviennent du Pipaghju d’Orezza, vendant des articles de fumeurs, façonnés à la main, qui rencontraient un large succès. L’eau coula dans le Golu emportant avec lui cette originalité que certains pensaient à jamais révolue. Auto- tamponneuses et barbe à papa côtoyaient une coutellerie continentale, sans parler des colifichets importés de Chine. A Fiera présentait un visage mercantile faisant ployer la tradition sous l’agression d’une fausse modernité. Disparus les chjama è rispondi, joutes poétiques orales où s’opposaient des improvisateurs souvent des heures durant. Parmi eux trônaient Minellu d’Asco, Pampasciolu ou U Majurellu. Cette dérive fut stoppée par l’Associu per a Santa. Davantage qu’un pari, il s’agissait d’un enjeu. Redonner son visage d’antan à une manifestation quelque peu défigurée par une spirale néfaste.
SÉDUISANTE RENAISSANCE
Le groupe de bénévoles s’attela à la tâche et progressivement réussit à élaguer tous ces artifices qui dénaturaient sans rehausser, se multipliaient en affaiblissant. Les vrais artisans sont depuis trois ans de retour. E Baracche résonnent à nouveau di canti nustali et des jeunes improvisateurs reprennent le flambeau laissé par leurs aînés. Ce n’est donc pas fruit du hasard,
ou osons dire d’une bienveillance céleste, si une sorte de résurrection se traduit par une affluence retrouvée dans cette commune montagnarde qui trois jours durant est le rendez-vous de milliers de personnes. Elles peuvent à loisir se replonger, l’espace d’un moment, dans une histoire sociétale qui rythmait en un raccourci saisissant hier et aujourd’hui. Sans nostalgie, mais avec la diffuse impression de renouer avec des racines communes. Celles que traduit l’adage un ti scurda di a filetta. Ainsi, par la ténacité et le volontarisme d’une petite équipe, un évènement retrouve une atmosphère de particularisme qui n’aurait jamais dû s’estomper. Voilà qui démontre à l’évidence que le riaquistu n’est pas vue de l’esprit ou propos surfait par ceux qui dissertent doctement en se limitant aux belles théories. Il est un lieu de haute solitude où sans idéologie ni ostentation, une équipe remit en quelque sorte l’église au centre du village. Cela ne doit pas nous entraîner sur les chemins du « c’était mieux avant». Toutefois faire rejaillir la source d’un patrimoine qui risquait de se tarir ne renvoie nullement au passéisme.
ESTRU NUSTRALE
La démarche à l’épilogue heureux veille à réactualiser une page d’un vécu non pour le reproduire à l’identique, mais afin de redonner force et vigueur à ce terreau qui façonna une île. Apportant ainsi sa pierre à l’édifice permettant une continuité entre cio ch’è no eramu et cio ch’è no simu. Un pont unissant les rives de l’intemporalité qui fonde l’estru nustrale.
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