A Murza – Cap Emploi Corse : trente ans d’engagement au service de l’inclusion
Rencontre avec François Venturi, jeune directeur régional adjoint, qui incarne une nouvelle génération d’acteurs de l’insertion professionnelle

Lorsqu’il prend ses fonctions en mai 2025 au sein d’A Murza, l’association qui porte Cap Emploi en Corse, François Venturi découvre une structure riche de trente années d’histoire, façonnée par des femmes et des hommes engagés dans un combat souvent discret mais absolument essentiel : permettre aux personnes en situation de handicap d’accéder à l’emploi et d’y rester. À seulement 25 ans, celui qui fut auparavant directeur général du MEDEF de Corse apporte à l’association un regard neuf, nourri à la fois par une solide culture du service public et par une connaissance fine des besoins des entreprises.
Par Anne-Catherine Mendez
Rien ne destinait pourtant immédiatement ce jeune Ajaccien à évoluer dans le secteur du handicap. Passionné d’histoire et de politique, il entame ses études universitaires par une première année de licence en histoire et journalisme à Paris-Saclay. Rapidement, il s’interroge sur la façon de concilier ses aspirations intellectuelles avec un projet professionnel compatible avec un retour sur l’île. C’est cette réflexion qui le conduit à se réorienter vers le droit public et le droit administratif à l’université d’Aix-Marseille, avant de poursuivre par un master spécialisé dans la direction des établissements publics et des collectivités.
« J’ai terminé major de ma promotion », confie-t-il, presque surpris de le dire. Mais ce parcours très structuré, pensé pour entrer dans la fonction publique d’État, va prendre un tournant inattendu. Sa première affectation porte sur la gestion des fonds européens FEDER et FSE à la Direction régionale des finances publiques. Le poste est passionnant, mais la compétence doit être transférée à la Collectivité de Corse. À 23 ans, il se retrouve face à un choix : poursuivre dans la voie classique de l’administration ou tenter une expérience dans un autre univers.
C’est à ce moment précis qu’une opportunité se présente au MEDEF. Il y postule presque par curiosité et devient coordinateur régional pour la Corse, mis à disposition par le MEDEF national. Cinq mois plus tard, le directeur général quitte ses fonctions et le bureau lui propose de prendre la direction. Il accepte. Cette expérience constitue pour lui un véritable tremplin. Au contact direct des entreprises, il découvre les réalités du terrain, les pénuries de compétences, les besoins d’adaptation, les freins très concrets auxquels sont confrontés les employeurs.
Pourtant, malgré son intérêt pour le monde économique, il ressent le besoin de retrouver une forme de mission d’intérêt général. « Je me suis rendu compte que dans le monde politique, lorsqu’on exerce un rôle technique, le politique intervient toujours. Et quand on est jeune et qu’on a envie de mener un projet de A à Z, cela peut être frustrant », explique-t-il. C’est alors qu’une relation de son réseau professionnel lui suggère de postuler au poste de directeur régional adjoint de Cap Emploi.
L’idée prend rapidement forme. Il rencontre la directrice régionale, Marie-Ange Belluso, échange longuement avec elle, découvre l’histoire de l’association et surtout l’étendue de ses missions. « J’ai su que c’était ici que je voulais m’investir », confie-t-il. En mai 2025, il arrive officiellement à Cap Emploi, bien décidé à poser ses valises dans une structure qui lui permettrait d’allier sens, utilité sociale et responsabilités.
Une association pionnière, dans le monde du handicap et de l’emploi
A Murza voit le jour il y a trente ans, à une époque où l’accompagnement des personnes en situation de handicap vers l’emploi est encore balbutiant. L’association naît d’une volonté simple : créer un espace d’aide et de médiation pour permettre aux personnes concernées de trouver une place sur le marché du travail.
Dominique Silvani et Guy Pancrazi font partie des figures fondatrices, bientôt rejoints par d’autres professionnels qui bâtiront pierre après pierre une organisation solide, agile et profondément ancrée dans le territoire. Lucien Barbolosi, aujourd’hui président, accompagne lui aussi l’association depuis presque ses débuts. Cap Emploi n’existe pas encore au niveau national ; il se structurera bien plus tard. En Corse pourtant, les pratiques d’A Murza existaient déjà et préfiguraient ce que deviendrait le réseau national.
Au fil des années, l’association se professionnalise, élargit ses missions, développe de nouveaux services : accompagnement à l’insertion, maintien dans l’emploi, soutien aux apprentis en situation de handicap, aide à la reconversion, ingénierie d’adaptation des postes, accompagnement des organismes de formation. Elle devient progressivement un acteur incontournable, tant auprès des bénéficiaires que des entreprises.
Une mission d’intérêt général au quotidien
Pour François Venturi, l’activité de Cap Emploi est un travail d’orfèvre. Il n’existe aucune solution standard, aucune procédure applicable à tous. Chaque personne accompagnée vit une histoire particulière ; chaque parcours impose d’écouter, d’analyser, d’adapter. « Nous faisons véritablement de la haute couture sociale », résume-t-il.
L’insertion professionnelle, d’abord, représente une part importante du travail. Cap Emploi accueille, oriente, rassure parfois, accompagne toujours. Les situations sont diversifiées : jeunes en recherche d’avenir, adultes en reconversion, salariés fragilisés par un accident, une maladie, une usure professionnelle. L’objectif est de trouver un poste adapté, d’identifier les compétences transférables, de construire un projet réaliste.
Vient ensuite le maintien dans l’emploi, une mission aussi essentielle que délicate. Dans 80% des cas, le handicap apparaît au cours de la vie. Pour les employeurs, perdre un salarié expérimenté représente un bouleversement considérable. « On pense souvent qu’on pourra remplacer facilement une personne, mais remplacer quelqu’un qui a vingt ans d’expérience est une illusion », insiste François Venturi. L’enjeu n’est donc pas seulement humain ; il est aussi économique, stratégique, organisationnel.
Dans ces situations, Cap Emploi devient le coordinateur d’une véritable chaîne d’expertise : médecine du travail, ergonome, intervenants spécialisés comme Operata, psychologues du travail, responsables RH, conseillers en reconversion. Ensemble, ils redéfinissent un poste, réorganisent un service, adaptent une machine, créent parfois même une nouvelle fonction en collaboration étroite et en accord avec l’employeur.
Depuis peu, l’association intervient également en amont des licenciements pour inaptitude. Cette mission vise à éviter les ruptures brutales et à accompagner les personnes vers une nouvelle voie professionnelle. « Une inaptitude dans un domaine ne signifie jamais une incapacité à travailler », rappelle-t-il.
Une Corse qui change de regard
L’observation est claire : les entreprises corses évoluent. Elles ont longtemps perçu le handicap comme une contrainte ou un risque. Aujourd’hui, elles y voient une opportunité de fidéliser des salariés, d’attirer des profils différents, de préserver des compétences rares.
La pénurie de main-d’œuvre, dans quasiment tous les secteurs, joue un rôle clé dans cette transformation. Les employeurs cherchent désormais des compétences avant de chercher un profil type. Ils comprennent que la performance peut se trouver chez des personnes qu’ils n’auraient peut-être pas envisagées auparavant.
Les témoignages d’employeurs qui ont réussi un maintien dans l’emploi ou une intégration sont d’ailleurs de véritables leviers. « Un employeur convainc toujours mieux qu’un discours théorique », explique le directeur adjoint. Les exemples locaux abondent : artisans, PME, structures touristiques, entreprises industrielles… Tous constatent que l’adaptation peut être bénéfique, parfois même au-delà de ce qu’ils imaginaient.
Vers une Corse plus inclusive
A Murza ne se contente pas d’accompagner : l’association innove, rassemble et sensibilise. Elle organise des portes ouvertes, participe à la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées, collabore avec l’ESAT d’Ajaccio, lance des projets comme Cap Handi’Cook, un concours de cuisine national dédié aux travailleurs en situation de handicap. Autant d’événements qui montrent les compétences plutôt que les limites, les réussites plutôt que les obstacles.
Pour François Venturi, ces initiatives sont essentielles. Elles illustrent ce qu’il défend depuis son arrivée : une société où chacun peut trouver sa place, où l’on cesse de réduire les personnes à leur handicap, où l’on valorise les talents, les parcours, les expériences.
Trente ans d’histoire, l’avenir devant eux
Au terme de trois décennies de travail, Cap emploi est devenue une structure majeure de l’inclusion en Corse. Elle dispose d’une expertise reconnue, d’un réseau solide et d’une proximité rare avec les acteurs locaux.
Pour son jeune directeur adjoint, cette nouvelle étape professionnelle est un engagement sur la durée. « J’avais besoin de trouver un lieu où m’installer durablement, où contribuer à un projet collectif, où voir les effets de notre action sur plusieurs années », explique-t-il.
L’inclusion n’est pas un slogan, ni une tendance. C’est une construction lente, patiente, profondément humaine. C’est ce que l’association réalise depuis trente ans. C’est aussi ce que François Venturi s’apprête à poursuivre, avec conviction et détermination.
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