A la une – Juin 2016

Méfions-nous des bienveillants

La société française se complait dans la bienveillance, élevée par le pouvoir en place, au rang de valeur.  Après les drames des attentats de janvier et novembre 2015, la fermeté réaffirmée, la bienveillance a pris une dimension politique nouvelle. Elle est devenue un contrepoids à ce qui aurait pu apparaître comme le retour de l’autorité face au terrorisme.

 Par Vincent de Bernardi

Elle est aussi un succédané de l’angélisme de la gauche sur la sécurité. Elle s’immisce de plus en plus dans le discours politique et tend à devenir un nouveau concept, voire une promesse. Emmanuel Macron affirmait, il y a quelques semaines : « j’ai une règle de vie, la bienveillance », façon habile de résumer l’esprit dans lequel s’inscrit son mouvement « En marche ». Un an plus tôt, c’était Manuel Valls qui appelait à une « République ferme mais aussi bienveillante. »

Indéniablement, c’est le nouveau terme à la mode. Il a ceux qui l’utilisent sans arrêt comme s’ils avaient inventé la poudre et ceux qui le suggèrent par leur attitude mais tous font d’un sentiment régissant les rapports humains dans la sphère privée une nouvelle promesse politique. Il est d’ailleurs intéressant d’analyser cette irruption de la bienveillance dans la vie politique,  où la violence, certes symbolique, en fait un espace de combat permanent pour affirmer un leadership.

Cautère sur jambe de bois

Utilisée comme marqueur politique, la bienveillance est sensée agir comme un cataplasme posé sur les  blessures économiques et sociales. A défaut de pouvoir lutter efficacement contre le chômage, contre les inégalités, la bienveillance  viendra apaiser une société fracturée par l’anxiété,   soumise  aux tensions communautaires.

Les esprits tolérants verront dans l’inaction face au mouvement « Nuit Debout » et aux débordements en marge des manifestations, une forme de bienveillance gouvernementale sur une jeunesse qui doit pouvoir s’exprimer, évacuer son inquiétude. Position impossible à justifier après les agressions répétées et choquantes des forces de l’ordre. La bienveillance devient  alors l’aveu d’une faiblesse sinon d’une impuissance.

On pourrait aussi  voir une traduction de la bienveillance dans le désormais fameux « ça va mieux » présidentiel, qui est sensé redonner du baume au cœur à une opinion défiante et désabusée.  Elle est, dans ce cas particulier le témoignage d’une manipulation grossière dont l’objet est de rassurer les plus crédules et de préparer une reconquête que tous les sondages jugent hasardeuse.

La tendance est belle et bien à la construction d’une politique de la bienveillance pour mieux contrebalancer le développement d’une société de la surveillance, épiant les citoyens dans tous leurs faits et gestes, comprimant l’espace dédié aux libertés individuelles.

De l’éthique à la morale

Contre l’oppression, le philosophe François de Bernard défend cette politique de la bienveillance qu’il considère comme une éthique durable et exigeante, seule capable de redonner confiance dans les gouvernants. Pour lui, la « realpolitik » a éradiqué la bienveillance de la sphère publique. Pour éviter le chaos, il en appelle à son retour, en premier lieu dans la politique, entre les communautés, en faveur d’une discussion collective et apaisée des projets écologiques, économiques, éducatifs, culturels, sociaux… Au fond, il plaide pour une éthique de la bienveillance en lieu et place d’une morale sommaire de la surveillance.

A l’inverse, Yves Michaud dénonce radicalement l’illusion dans laquelle les responsables politiques des pays démocratiques promeuvent, sur fond de promesses bienveillantes une vision renouvelée du vivre ensemble. Dans son dernier livre intitulé explicitement « Contre la bienveillance » il dénonce une tyrannie qui veut faire croire que toutes les idées sont acceptables, que les différences enrichissent et s’enrichissent mutuellement, que les conflits « ne sont  jamais irréductibles » et que les bonnes volontés finissent toujours par triompher.  On touche ici à la dimension relativiste qu’affectionne une gauche en déshérence. Pour lui, ce n’est pas à coup de bienveillance, de bons sentiments et de compassions que l’on peut (re)construire une communauté politique fracturée par la montée des populismes, des fondamentalismes religieux, des désordres identitaires.

Nouveau contrat social

Dans une récente, interview au journal Le Monde, Yves Michaud, intellectuel étiqueté « libéral de gauche, au sens du XIXème siècle, c’est à dire « partisan de la liberté » appelle « à rallumer les Lumières » (celles du siècle) contre l’aveuglement de la bien-pensance. Il prône le retour à une autorité juste et à l’établissement d’un nouveau contrat social dans lequel l’identité se résume au respect des règles républicaines. Perturbé par les thèses qu’il développe dans son livre, il avoue avoir hésité à l’écrire tant il peut apparaître comme « réactionnaire ».

A la veille de l’élection présidentielle, entre les postures et les promesses, la bienveillance devient un nouveau totem programmatique mais méfions nous des bons sentiments…

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