A la une – Juil/Août 2015

Vivre ensemble ou sombrer seul ?

Par Vincent de Bernardi

L’affaire de l’école  de Prunelli di Fiumorbu m’a fait honte et pourtant ne m’a pas vraiment surpris. Elle est la manifestation épisodique d’un mal qui ronge la société française depuis longtemps.

Pourquoi la Corse échapperait-elle a à cette réalité qu’est l’intolérance, voire le racisme ? Au-delà de son histoire, de son particularisme insulaire, la Corse s’inscrit, comme le continent, dans un contexte bouleversé où la peur de l’autre suscite le rejet.  J’aurais aimé que la Corse soit aux avants poste de la Compagnie des vigilants, selon la belle formule de Robert Badinter pour désigner les militants des droits de l’homme. J’aurais aimé que cette kermesse et cette hymne à la paix chanté en cinq langues fasse la Une des medias comme témoignage d’un multiculturalisme épanoui et non pas comme un phénomène que l’on a vite fait d’interpréter comme l’illustration du racisme ordinaire. Dans une société française traversée par les difficultés et les doutes, le racismese propage, l’intolérance s’immisce dans les rapports sociaux. Ces phénomènes sont analysés régulièrement dans le baromètre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme. La dernière livraison réalisée après les attentats contre Charlie Hebdo et l’hyper Cacher nous apprend notamment que pendant le seul mois de janvier les actes antimusulmans recensés ont été plus nombreux que sur toute l’année 2014. Cette situation a pu laisser penser que l’indice longitudinal de tolérance continuait de se dégrader. Or, entre novembre 2014 et mars 2015, contrairement à ce que l’on aurait pu intuitivement penser,  il s’est redressé.

La persistance des préjugés

L’opinion n’a pas donc pas cédé à l’amalgame et les attentats n’ont pas provoqué de crispation raciste ou antisémite. Les chercheurs qui analysent cette enquête, parmi lesquels Nonna Mayer, et Guy Michelat rappellent qu’il n’existe pas de rapport de symétrie entre les opinions et les actes racistes, les deux obéissant à des logiques distinctes. D’abord, un préjugé ne se traduit pas, fort heureusement, de manière systématique par un passage à l’acte. Ensuite, l’évolution de l’opinion ne peut se réduire à la seule évolution des actes racistes enregistrés.   Toutefois, les résultats du sondage font  ressortir une  persistance  des préjugés,  un  rejet  des  pratiques  liées  à  l’islam  dans  leurs manifestations tant dans l’espace public que dans la sphère privée, et chez certains, une acception nouvelle de la laïcité comme devant faire rempart à l’islam (cf. Paroles de Corse du mois d’avril – l’extrême droite et la laïcité). La même enquête souligne que les crispations à l’encontre de la minorité musulmane perdurent. Si l’approbation  de l’idée que les musulmans  forment un  groupe  à  part en France a reculé en 2014, le rejet des pratiques liées à l’islam se confirme cette année encore, et s’intensifie, tant pour celles visibles dans l’espace public que pour celles qui s’exercent dans la sphère privée. Par  ailleurs,  la  religion musulmane  concentre  un haut niveau d’opinions négatives, près  de  45%.

 

Une médiatisation démesurée

Les évènements de l’école de Prunelli du Fiumorbu s’inscrivent dans ce climat de tension, de tentation du rejet d’une minorité, de sa langue, et comme peut le suggérer l’analyse de l’enquête de la CNCDH, de sa religion. C’est la langue arabe qui a été visée, pas l’anglaise ou l’espagnole. C’est ce que souligne Pascal Ottavi, professeur à l’Université Pascal Paoli dans un article publié sur le site animé par Laurent Muchielli. «Ce qui est stigmatisé ici c’est la langue du faible, de celui qui, parfois, n’a même pas les mots pour défendre ses droits en Français » écrit-il avant de rappeler que les enseignants de Prunelli ont voulu, avec modestie et intelligence, faire partager, à travers les langues, la fraternité entre les peuples.  L’école, les enseignants, les enfants, leurs parents, le village et même la Corse toute entière ont été pris dans une véritable déferlante médiatique. Sur fond de tensions liées à une réforme qui passe mal dans la communauté éducative, et d’une actualité sur l’incapacité de l’Europe en général et de la France en particulier à accueillir et intégrer des immigrés,  tous les ingrédients de la médiatisation démesurée sinon outrancière étaient réunis. Et tant mieux. Avec cette affaire, se pose une question fondamentale, celles des valeurs qui doivent nous unir et même nous réunir. Il s’agit du vivre ensemble.  Ce vivre ensemble s’apprend à l’école, dans les familles, dans tous les lieux de vies en communauté. Ce qui s’est passé à Prunelli n’est sans doute pas une exception. Cela arrive certainement ailleurs, dans d’autres circonstances, sans faire autant de bruit mais en faisant tout aussi mal à ceux qui sont stigmatisés, rejetés et à ceux qui défendent des valeurs de tolérance et d’humanisme. Est-on encore capable de vivre ensemble ? C’est je crois l’une des questions centrales à laquelle nous devons urgemment répondre.

Exergue « Ce qui s’est passé a Prunelli di Fiumobu n’est pas une exception. Cela arrive  aussi ailleurs sans faire autant de bruit »

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