A la une – Février 2015

Parti pris

Les  coupables  dérives  de l’information 

Par Vincent de Bernardi

 

Médias et déontologie. Des termes récurrents qui  sont fréquemment  sources de débats théoriques  et policés. Il n’empêche, les bonnes résolutions et la doctrine journalistique sont parfois sacrifiés sur l’autel de la sacro sainte concurrence. 

Comme beaucoup d’entre nous, je me souviendrais longtemps de ce je faisais le 7 janvier 2015, jour tragique du massacre dans les locaux de Charlie Hebdo. Le 9 janvier où la France entière a suivi en direct l’assaut des forces de l’ordre mettant fin à l’action des terroristes.

Le 11 janvier, comme des millions de gens lorsque j’ai parcouru en silence les rues de Paris en pensant aux victimes des frères Kouachy et d’Ameydi Coulibaly, pour défendre la liberté d’expression.

Durant ces jours sombres, j’ai aussi beaucoup repensé à Ibn Ziaten, à Abel Chenouf, à Mohammed Legouad, à Jonathan, Gabriel et Aryeh Sandler, à Myriam Monsonégo, tous tombés sous les balles de Mohammed Merah en mars 2012.

J’ai vécu ces deux évènements très différemment alors que l’horreur et l’effroi les réuni.  En mars 2012, j’étais à Toulouse, alors conseiller auprès du ministre de l’Intérieur. En janvier 2015, j’étais, comme des millions de gens, les yeux rivés à la télévision suivant les évènements minute par minute.

Il y a près de trois ans, au côté du ministre de l’Intérieur, j’étais responsable de la communication et de la presse et à ce titre, au cœur d’un tourbillon médiatique inédit avec des centaines de journalistes sur place et les rédactions des chaînes d’information en continu à l’affût du moindre mouvement, prêtes à diffuser des faits non vérifiés et sans chercher à obtenir de ma part, ou des services habilités, confirmation ou infirmation.

 

Priorité au spectacle

Certains medias ont choisi de diffuser ces informations, pour l’audience, au mépris de la déontologie.Elles ont reconnu plus tard leurs erreurs à l’antenne,  soulignant qu’en pareilles circonstances beaucoup d’informations circulent et que certaines d’entre elles peuvent s’avérer erronées. Mais qu’importe, priorité au direct, priorité au spectacle !  Comme celui  qui tint en haleine des  millions de téléspectateurs pendant près les 168 du siège de Merah,  permettant d’engranger d’importants gains de part de marché.  Cela peut paraître choquant, pourtant rares sont ceux qui s’en sont émus. Pour ma part, je le fus d’autant plus lorsque des patrons de chaînes ont balayés mes « récriminations » et rappels à la déontologie  d’un simple argument économique : « La réalité, c’est qu’on a mis trois points d’audience dans la vue de nos concurrents ».

Avec les évènements de janvier 2015, un autre cap a été franchi. Desinformations dévoilées en direct ont mis l’enquête en péril, ont exposé au danger les forces de l’ordre, les otages et les personnes cachées dans l’imprimerie de Dammartin ou les sous-sols de l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes.

La ligne rouge

A tel point que le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel a examiné, dans le cadre de ces pouvoirs de contrôle, les manquements commis par certains media.  Ont-ils franchi la ligne rouge ? Incontestablement oui.  D’abord, la reprise d’informations fournies par des internautes a provoqué des effets désastreux. Ensuite, la recherche absolue de l’exclusivité s’est faite sur le dos d’un traitement réfléchi et raisonné de l’information. Enfin, la concurrence exacerbée entre les media et la course absolue à l’audience a conduit certains à donner des informations sensibles ou fausses.

Ce qui s’est passé doit impérativement susciter une réflexion approfondie. Professionnels des media, responsables politiques, autorités policières et judiciaires et citoyens, nous sommestous concernés. C’est d’abord une question de responsabilité pour les journalistes soumis à la pression de l’actualité, confrontés à la multiplication des vecteurs d’information.

En aucun cas l’urgence ne peut être une excuse et exonérer les journalistesdu respect des principes déontologiques qui fondentleur pratique professionnelle.

Ainsi dans la charte d’éthique des journalistes adoptée par le SNJ en mars 2011, n’est-il pas indiqué que « la notion d’urgence dans la diffusion d’une information ou d’exclusivité ne doit pas l’emporter sur le sérieux de l’enquête et la vérification des sources » ? C’est aussi une question de formation pour les plus jeunes d’entre euxAux écoles de faire décrypter ces cas par leurs étudiants afin d’éviter de telle dérives.

 

Le bon grain de  l’ivraie

C’est aussi aux autorités publiques de  travailler plus étroitement avec les medias pour garantir la protection des enquêtes dans ce type de circonstances exceptionnelles.

C’est enfin à nous tous de porter un jugement critique et lucide sur l’information que nous « consommons »  comme on regarde des séries américaines les unes à la suite des autres. Sait-on encore distinguer le vrai du faux, l’important de l’accessoire lorsque l’on passe d’un écran à un autre, cherchant la dernière information sur twitter sans véritablement savoir d’ou elle vient,  tout en gardant un œil sur l’écran de BFMTV  ou d’I télé de peur de rater l’assaut du GIGN ou du RAID ?

L’information  ne doit pas avoir  la recherche du buzz comme  ligne éditoriale.   Opter pour le sensationnel,   faire du bruit comme l’on dit dans certaines salles de rédaction  est synonyme  d’un abaissement coupable  d’un métier a nul autre pareil.  Alors du sérieux à la Une ?  Voilà le titre d’un papier que chacun devrait signer des deux mains !

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