À la croisée des mots et des mondes,avec Marie-France Bereni Canazzi

Par Laura Benedetti

Elle est programmatrice et coordinatrice de l’association Musanostra ; elle mène aussi des conférences dans toute la Corse sur les figures effrayantes des récits mythiques et ses personnages de prédilection tels que i mazzeri, u fulletu, u ghjattu mammò. Cette passionnée de recherche, d’étude et lecture, est une personnalité corse dynamique, altruiste, reconnue pour son engagement au profit de la culture. Bastiaise de Castagniccia, Marie-France Bereni Canazzi a cette immense qualité de savoir re-lier, avec une simplicité qui lui appartient, les auteurs, les œuvres, les éditeurs, les âmes, et les cœurs en lien commun, tout comme elle sait fidéliser un public autour de rencontres littéraires et ce, depuis la création de l’association Musanostra en 2008.

Ancienne enseignante, Marie-France est avant tout une militante de la lecture dans ses divers registres et genres littéraires. Amoureuse de la philosophie, de la poésie et des romans japonais de Shimazaki, ou encore ceux de l’Europe de l’Est, la lecture occupe une place quotidienne et en dimension. Elle peut lire à la fois Pierre Jourde, Pete Fromm comme le dernier ouvrage de Francis Beretti. Pour elle, « On peut aimer des genres différents, un moment d’un dialogue de Platon, un poème de Natale Sarocchi et le dernier livre de Camille Laurens. Pourquoi pas ? » Lorsqu’on questionne son regard sur lecture, Marie-France rebondit : « La lecture est importante dans notre société, moins sans doute qu’elle a pu l’être il y a quelques décennies où on avait une culture plus livresque. De nos jours avec le cinéma et tout ce qu’apporte l’image, on a d’autres voies pour partager. Mais en Corse les lecteurs sont encore nombreux, ils sont ouverts à des littératures d’ailleurs aussi, ils suivent l’actualité littéraire, les moments qui scandent l’année culturelle. Un prix Goncourt attire toujours autant comme nous l’avons constaté au festival de Lumio cet été où la salle, pourtant immense, paraissait presque trop petite. En Corse, on a parfois l’impression qu’il y a plus de personnes qui écrivent que de lecteurs. Je me dis parfois qu’un auteur a toujours intérêt à lire, cela l’enrichit beaucoup. »

Porte-voix de toutes les littératures

Musanostra découle, à l’origine, d’un besoin de partager ce qu’on aime en termes de lectures et de livres. Comme d’autres peuvent le faire au sujet du cinéma, de cigares ou du foot, s’amuse à comparer Marie-France, sa fondatrice. « L’idée s’est imposée, on était 5 au début, puis 8, puis le cercle a grandi et le succès a vite été là. C’était il y a près de 20 ans, on avait besoin de littérature aussi et les occasions de parler de ce qu’on aimait ou détestait n’étaient pas nombreuses. »

Anne-Marie Sammarcelli est, aujourd’hui, la présidente de l’association. Autour d’elle, une équipe de 10 personnes travaille à l’organisation des évènements, en lien avec les partenaires et les bénévoles : « Tous apportent une aide capitale, car l’association est toujours en plein essor », nous confie Marie-France, aux manettes de la programmation et de l’animation. La passion et la curiosité sont au cœur de l’association, qui les unit. Si l’équipe accorde une place importante aux publications corses, toutes les littératures sont convoquées : « Dans une association, les goûts diffèrent et c’est une force. Certains lisent des polars, et il y a bien des différences entre un roman policier chinois et un polar norvégien, américain ou encore avec les intrigues de détectives anglais… On lit aussi des essais, de politique et histoire, de la poésie –on fête chaque année avec une grande manifestation à Bastia, Le printemps en poésie, des romans classiques, alors que certains lecteurs apprécient davantage la nouveauté et les prix littéraires. » Il ressort tout de même des auteurs favoris, souvent lus et présentés lors des cafés littéraires ou évoqués en recension sur le site et les réseaux de l’association : Laurent Gaudé, Sylvain Prudhomme, Jonathan Coe ou encore Milena Agus.

Cafés littéraires et ateliers d’écriture

L’automne est marqué chaque année par la reprise des cafés littéraires qui se renouvellent de manière mensuelle, après la trêve estivale au cœur de la ville. L’année est aussi ponctuée par les résidences d’écrivains. Marie-France accorde une attention très forte à la dynamique culturelle à l’échelle territoriale et tient au déploiement des activités de l’association sur l’ensemble du territoire : « Nous continuons à nous rendre dans le rural où nous avons de nombreuses attaches. Dans les villages, le public est aussi au rendez-vous, chaleureux et intéressé par l’offre. Nous sommes prêts à nous déplacer et étudions les propositions des mairies et autres partenaires. » Les cafés littéraires et les ateliers sont ouverts à tous ; les Corses participent mais toute une communauté d’ailleurs, corse ou étrangère à la Corse : « Nous essayons de parler de toutes les littératures et pour tous ceux qui veulent nous entendre. En un an, on a reçu R. J. Ellory, Simonetta Greggio, René Frégni, Jean-François Roseau, J.-N. Pancrazi, Franck Thilliez, D. Memmi et tant d’autres… les ateliers d’écriture réguliers, les moments lecture, les conférences, et bien sûr, au sein des festivals, l’un à Bastia, Cinémusa, qui existe depuis 17 ans et amène 1 500 élèves de lycée au cinéma voir des films en lien avec la littérature, et deux autres en Balagne, à Montegrossu et à Lumio, E Culturale et E Statinate. Les derniers rendez-vous, aux salles combles, à Lumio ont été la preuve que le travail de l’année, de toutes ces années passées, rigoureux porte ses fruits. Les auteurs les plus demandés sont venus à Musanostra, pour notre plus grand plaisir. » Musanostra est aussi un maillage culturel chaque année plus fort avec des partenaires qui ont souhaité soutenir la culture.Les grands succès des rencontres « Vin et Littérature » initiées il y a 13 ans, grâce au soutien d’Étienne Suzzoni, viticulteur balanin ou encore les responsables et personnels d’établissements bastiais qui ouvrent leurs portes à l’association. Marie-France ajoute : « Par ailleurs, Musanostra est liée à d’autres associations et festivals et dès qu’on le peut, on collabore. Pour n’en citer que quelques-uns, on peut évoquer le Festival du film italien de Bastia, le festival de Lama, le festival A Torra Nera de Porticcio et bien d’autres, on essaie de travailler dans l’harmonie pour donner, tous, le meilleur. »

La revue

La revue Musanostra est née en 2016. Aujourd’hui, ce sont 40 numéros édités qui comprennent des articles variés réalisés par des scientifiques ou des amateurs, issus de la création et de la critique. Ses abonnés sont nombreux ; ils résident en Corse mais aussi ailleurs : « Musanostra compte de nombreux abonnés qui vivent parfois bien loin, qui nous suivent sur le net, envoient des contributions… L’un de nos plus grands succès sur le site, pourtant, reste une lecture par une jeune Bastiaise de 16 ans d’un livre de new romance ! Nos abonnés se manifestent par un abondant courrier. On y répond chaque jour, des demandes de conseils de lecture, des besoins d’information sur les parutions corses, sur notre agenda, des encouragements, des demandes de corrections de manuscrits ou de participation aux concours de lecture et d’écriture que nous organisons. C’est un travail constant pour gérer une telle machine et nous y sommes bénévoles. On travaille à proposer aussi des numéros hors-série (Dante, Cioran) qui ont conquis un vaste public. Toutes nos publications se retrouvent dans la boutique en ligne du site Musanostra. Avec le soutien espéré du service lecture de la CDC, on devrait pouvoir publier les deux numéros préparés pour 2025 qui attendent, prêts dans des tiroirs. ». Un travail de passion mais sans relâche pour Marie-France et toute l’équipe. Enfin, il y a le site internet qui leur permet de présenter les publications, notamment celles en Corse qui ont retenu leur attention sans oublier, un concours qui décerne un Prix Musanostra pour un livre en français ou traduit et le Premiu Musanostra pour un ouvrage édité en Corse. Un Prix déjà bien convoité depuis sa création en 2018.

Par le biais de son association, Marie-France ouvre l’horizon à de nouvelles expériences de lectures et de rencontres qui en découlent. Il s’en dégage souvent de nouveaux chemins pour se réconcilier à toutes sortes de réalités. On se souvient encore de quelques mots sensibles de Maria Pourchet, lors de sa première participation aux rencontres d’été E Statinate, à Lumio : « On renaît de tout. Vraiment ». Et la lecture, incontestablement, y contribue.

musanostra.com

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