VOUS HÂLEZ BIEN?

Edito

Par Jean Poletti

Chaud devant! Les préoccupations semblent sécher au grand soleil. L’instant canicule met les corps en mode short et déshabille l’esprit des lancinantes réalités. Oublis de saison. Vision sans nuages. Horizon dégagé. Dans cette parenthèse que d’aucuns qualifient d’enchantée, la dure réalité se noie dans un ciel azur. Le scénario carte postale s’impose. Martelé par maints clichés convenus. Alimenté par une sorte d’obligation intellectuelle et morale de mettre la quiétude au-dessus des vagues du malaise. E la nave va! Elle semble drainer dans son sillage l’impérieux besoin d’un éphémère sentiment de plénitude, qui confine à une plage de bonheur. Réalité occultée? Pas entièrement.

Dans une folle sarabande, les villages s’extirpent de leur longue léthargie hivernale. La diaspora fait revivre, l’espace d’un instant, les maisons aux volets clos durant les frimas. Maintes ruelles résonnent de rires d’enfants, tandis que les bars brisent le relatif silence qui sied aux cathédrales. Au diapason de la ruralité, le littoral connaît l’affluence. Vaste cour de récréation touristique qui allie deniers et nuisances, sans que rien ni personne ne semble pouvoir départager. Bref, l’île change de visage. L’invasion pacifique que certains qualifient de mal nécessaire met du beurre dans les épinards d’une économie exsangue. Les professionnels se dérident, tandis qu’au sein de la population nombreux sont ceux qui en déclinent les méfaits. Éternel antagonisme qui alimente les conversations, détournant momentanément les problématiques récurrentes. Elles reprendront force et vigueur quand tomberont les premières châtaignes. Avec cette fois une acuité sans pareil tant la situation, déjà précaire, est prise dans une maléfique spirale qui l’aggrave davantage encore. Aussi dans une sorte de tourbillon, bien compréhensible, l’immense majorité de la population aspire à mettre sous le boisseau la grande peur du lendemain. Tout en sachant pertinemment qu’elle se rappellera à son triste souvenir dès les premiers jours, qu’en terme générique on nomme la rentrée. Elle sera chaude à n’en point douter. L’incendie couve sous les cendres de l’accalmie estivale. Conférence sociale initiée par Gilles Simeoni, processus de rencontres incarnées par le ministre de l’Intérieur. Mesures ponctuelles ou plus ambitieuses. Quelle que soit la méthode retenue par le gouvernement, elle ne pourra se limiter au volet institutionnel, aussi important soit-il. La réforme devra impérativement poser sans fards l’équation d’une Corse tout à la fois région la plus pauvre mais où le coût de la vie est le plus élevé. Une dichotomie qui secrète son cortège de précarité, chômage, jeunesse angoissée, logements inaccessibles. Avec en toile de fond une inflation galopante qui frappe au cœur une communauté déjà affaiblie. Sommes-nous éloignés et pour tout dire hors sujet des préceptes qui devraient couronner les deux mois d’été ? Juillet et août cadenassent- ils à double tour le principe de réalité? Le croire s’apparenterait à limiter uniquement son regard vers l’astre brillant de mille feux, au risque d’être ébloui et perdre toute vision réaliste. Refusons toutefois la réaction manichéenne, ou celle de jouer les empêcheurs de bronzer en rond. Nul ne contestera que le peuple dans sa diversité ait aussi un impérieux besoin de se prélasser. Toutefois conférer à une période synonyme de farniente un parfum d’éternité n’est que chimère. Et chronique annoncée d’illusions perdues. Aussi, sans se muer en Cassandre, rien n’interdit de savourer l’instant. Sans pour autant oublier qu’il s’agit d’une halte bénéfique mais limitée qui sera inexorablement balayée avec les premiers nuages charriés par les vents de l’automne. D’ailleurs, cet épilogue ne peut être totalement chassé de la mémoire. Il est davantage prégnant cette fois qu’il ne le fut naguère. Entachant l’actuel épisode d’un avant-goût de pessimisme, tant l’échéance redoutée se profile à bas bruit. Certes, il serait vain de bouder le présent, même si on le sait fugace. Tout autant serait inutile de laisser la bénéfique proie saisonnière pour l’ombre qui se devine. Comme dit l’adage, chaque chose en son temps. Pour l’heure tentons de nous délecter de ce beau moment. Et saluons-nous d’un amical comment hâlez-vous ? Nul ne disconvient qu’il soit de saison.

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