La santé au féminin : une priorité partagée en Corse

Quand la parole des femmes devient un enjeu de santé publique
Le 2 octobre dernier, l’Université de Corse, sa Fondation et le laboratoire LISA ont organisé, dans le cadre du projet Europe Plurale Feminine, un débat consacré à un thème aussi essentiel qu’actuel : « La santé au féminin ». Une matinée d’échanges nourris autour d’un constat commun – la santé des femmes reste encore trop souvent abordée à travers le prisme masculin – et d’une ambition : replacer les femmes au cœur des politiques de prévention, de recherche et de travail.
Égalité, justice, qualité des soins : une même exigence
« Parler de la santé des femmes, c’est parler d’égalité, de justice et de qualité des soins pour toutes et tous », a rappelé en introduction Frédéric Mortini, directeur général de l’ARACT de Corse (Agence régionale pour l’amélioration des conditions de travail). Pour lui, la santé au travail est un angle d’approche incontournable. « La question des inégalités demeure forte, notamment sur la place des femmes dans le monde professionnel. Leurs conditions de travail, leur exposition à certaines contraintes physiques ou psychiques, ou encore leur accès à la prévention sont encore trop peu pris en compte. » L’ARACT, outil du ministère du Travail, s’attache à intégrer la perspective du genre dans l’analyse des situations professionnelles : « Rechausser les lunettes du genre, c’est regarder autrement le travail, afin d’adapter les conditions d’exercice aux femmes comme aux hommes. » L’agence a récemment publié des guides à destination des entreprises sur la prévention des violences sexuelles et sexistes au travail, et promeut un dialogue social actif comme moteur du changement. Mais le directeur le reconnaît : « Nous manquons encore de données régionales fiables sur la santé au travail des femmes. L’absence d’un plan régional santé-travail freine notre capacité à objectiver les situations. »
Promotion Santé Corse : agir sur les territoires
Autre intervenante de cette matinée, Livia Cosimi, chargée de projet pour Promotion Santé Corse, a rappelé combien les inégalités de santé ne se limitent pas au monde du travail. « La promotion de la santé, ce n’est pas seulement la santé pure : c’est aussi l’égalité dans l’accès aux soins, aux droits, et dans la vie quotidienne. » À travers les contrats locaux de santé, Promotion Santé Corse agit concrètement, en lien avec les élus, l’ARS, la CPAM et la Collectivité de Corse. « Dans certains territoires, comme à Bastia, un axe entier du contrat est consacré à la santé des femmes : prévention, dépistage, lutte contre les inégalités. »
Si la participation du public aux conférences reste parfois timide, Livia Cosimi y voit un signe de la persistance d’un certain tabou autour du corps féminin : « Les échanges les plus riches viennent souvent des témoignages personnels. Mais il faut oser prendre la parole. » Optimiste, elle souligne que la Corse possède un fort héritage matriarcal : « On dit souvent que les femmes vivaient derrière les hommes, mais en réalité, elles ont toujours tenu la société. Le défi, c’est de maintenir ce rôle central et d’encourager les jeunes filles à s’affirmer dans tous les domaines. »
La CAB de Bastia : un engagement institutionnel durable
La Communauté d’agglomération de Bastia (CAB) s’inscrit pleinement dans cette dynamique. Sa directrice de la prévention, de l’inclusion et de la citoyenneté, Mathilde Setti, a présenté les initiatives locales en faveur d’une meilleure prise en compte de la santé des femmes. « Les femmes représentent 51% de la population corse. Il nous paraissait essentiel de leur dédier une thématique entière dans notre contrat intercommunal de santé, signé en octobre. » Ce contrat aborde notamment des sujets longtemps occultés, comme l’endométriose, la ménopause ou la santé sexuelle. « On a trop longtemps entendu que c’était “normal de souffrir pendant les règles”. Ce n’est pas acceptable. Ces douleurs doivent être reconnues comme de vraies pathologies », insiste Mathilde Setti. La CAB travaille de concert avec l’ARS, la Maison de santé des femmes, le CIDFF, mais aussi avec les établissements scolaires. « Nous voulons sensibiliser dès le collège et le lycée, car la prévention commence là. » En parallèle, l’agglomération prépare la prochaine édition du Festival CINE DONNE, dédié aux droits des femmes, qui aura pour thème central la santé en mai 2026. Au programme : projections, tables rondes et rencontres avec des professionnels, dans une démarche d’éducation populaire et de dialogue citoyen. « En Corse, il existe une multitude d’initiatives. Notre rôle, c’est de les coordonner et de les rendre visibles », résume la directrice.
Quand les praticiennes de terrain s’engagent
Pour Stella Ferrandez, ostéopathe, la santé au féminin se vit au quotidien, dans la relation de soin. « Dans ma pratique, je rencontre chaque jour des femmes confrontées à des douleurs ou à des difficultés qu’elles vivent dans le silence : douleurs post-partum, troubles du cycle, ménopause… Ces sujets restent tabous alors qu’ils affectent profondément la qualité de vie. » L’ostéopathe milite pour une prise en charge globale et bienveillante, où le corps et l’esprit ne sont pas dissociés : « Le corps ne distingue pas entre douleur physique et émotionnelle. Harcèlement, burn-out, accouchement traumatique laissent tous des traces. » Consciente des obstacles économiques et culturels, elle s’efforce de rendre les soins plus accessibles, notamment via des dispositifs solidaires. « Une femme sans couverture santé a très peu de chances d’accéder à une consultation d’ostéopathie. Il faut inventer des solutions. » Son message est clair : dé-normaliser la souffrance féminine. « Trop souvent, on dit aux femmes que c’est normal d’avoir mal. Non, ce n’est pas normal. On doit écouter, croire, et adapter nos pratiques. » Elle plaide aussi pour le développement de structures pluridisciplinaires : « Quand plusieurs spécialités cohabitent, les patientes ne sont plus isolées. Elles trouvent des réponses cohérentes et adaptées, au même endroit. C’est un levier majeur contre l’errance médicale. »
Un enjeu collectif, une responsabilité partagée
De la parole institutionnelle à la pratique de terrain, tous s’accordent sur un point : la santé des femmes n’est plus une cause secondaire. Elle exige une approche intégrée, où prévention, égalité et écoute deviennent les piliers d’une véritable politique publique. En conclusion, Stella Ferrandez résume peut-être le mieux l’esprit de cette journée :
« Accompagner les femmes à chaque étape de leur vie n’est pas seulement une mission de santé. C’est une responsabilité collective. »
Des perspectives concrètes pour 2026
- Déploiement du contrat intercommunal de santé de la CAB avec des actions ciblées sur la santé des femmes (endométriose, ménopause, santé sexuelle, santé mentale).
- Renforcement du dialogue social autour de la mixité et de la prévention des risques professionnels à l’initiative de l’ARACT.
- Actions locales de prévention via les contrats de santé territoriaux pilotés par Promotion Santé Corse.
- Festival CINE DONNE : du 5 au 7 mai 2026. Projections, débats et tables rondes sur la santé des femmes.

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