L’arrêt au coup de pompe

Dans l’île, le carburant mérite bien le qualificatif d’or noir. Dans la nébuleuse de la formation des prix les trois distributeurs locaux firent le plein de bénéfices en optant pour l’entente illicite pénalisant davantage encore l’automobiliste. Une super amende leur est infligée par l’autorité de la concurrence qui met ainsi un terme à ces sociétés qui roulaient carrosse sur le dos des usagers.

Par Jean Poletti

La sanction fait partout grand bruit. Tels médias nationaux évoquent un scandale, d’autres un racket commercial. En parodiant la formule humoristique du communiste Fabien Roussel « Ici aussi chacun peut dire que la station d’essence est le seul endroit où celui qui tient le pistolet se fait braquer ! » Les coupables n’en avaient cure. Tapis derrière leur opaque procédé, ils ignoraient superbement les jérémiades des victimes qui se faisaient… rouler dans la farine. Elles étaient contraintes de bourse délier plus que de raison pour remplir les réservoirs. Au rebus les élémentaires règles de la concurrence. Par-dessus les moulins les axiomes du libéralisme dont se targuent par ailleurs tous les intermédiaires de l’offre pétrolière. Le client se trouva contraint et forcé de subir cette loi d’airain, reflet des outrances monopolistiques qui sont un déni du droit des consommateurs.

L’exaction en col blanc est cette fois révélée. Elle n’avait que trop duré, alimentant le courroux des professionnels et particuliers ayant la certitude qu’utiliser leurs véhicules s’apparentait à se faire voler comme au coin d’un bois. Ils percevaient aisément que les tarifs du gasoil ou super, malgré les fluctuations du baril à l’international, campaient du Cap à Bonifacio sur des sommets inégalés. Bon gré mal gré, ils devaient passer à la caisse.

Dépenses captives

Au-delà de cet aspect bassement mercantile de ceux qui pompaient allègrement l’argent de l’automobiliste, il convient de rappeler en incidence que chez nous se déplacer en voiture est essentiel. Les transports collectifs étant par essence et définition absents dans la ruralité, et qu’ils ne sont l’apanage que des deux grandes villes. Par ailleurs, sans qu’il faille mettre les chemins de fer sur une voie de garage, ce n’est pas livrer un secret que se rendre de Bastia à Ajaccio en Micheline n’est pas synonyme de célérité. La route étant l’alternative. Mais à cet égard, un aller-retour de quelque trois cents kilomètres impliquait de débourser en carburant la modique somme oscillant entre quarante et cinquante euros. Cela ne se trouve pas sous les sabots d’un cheval fut-il à moteur. Cette simple digression suffit à démontrer que le coût des transports revêt dans notre île une importance majeure. Aussi, rajouter des frais par des stratagèmes illégaux conjugue le délit patent avec une entorse flagrante aux dépenses raisonnables des transports des personnes et des marchandises. Sans qu’elles soient abondées par des méthodes occultes. Là est sans doute la dimension morale et sociétale d’une faute qui ne doit pas être uniquement vue par le prisme de l’appât du gain auquel céda le trio complice.

L’empire d’essence

La réparation financière réclamée s’élève à plus de cent quatre-vingt-sept millions d’euros qui devraient acquitter conjointement et au prorata de leurs responsabilités. Sans verser dans le détail technique, rappelons pour fixer les esprits qu’il s’agit de Total, Rubis et EG RETAIL. Le stratagème ? Ce trio par le truchement d’une société est détenteur exclusif des deux centres de stockage des produits pétroliers de l’île. Aussi avaient-ils par un accord secret un accès prioritaire et pour tout dire exclusif, excluant de fait d’autres enseignes telles Vito ou Ferrandi. Ce dernier déposa d’ailleurs plainte voilà quatre ans, accélérant d’autant les investigations judiciaires débutées l’année d’avant.

Est-ce pour autant que le consommateur ne sera plus le dindon d’une farce enracinée dans le temps ? Acceptons-en l’augure. Certes la fin de ce cartel prédateur sera bénéfique. Pour autant la problématique des prix à la pompe en Corse recèle d’autres facettes. Ainsi comment expliquer que malgré un différentiel de TVA de sept points, le produit soit ici plus onéreux que sur le continent ? Ici, le prix moyen du litre est supérieur de treize centimes d’euros, atteignant parfois vingt pour le gasoil.

Coup d’épée dans l’eau ?

Sans vouloir l’esquisse de l’ombre d’un instant dédouaner ceux qui fautèrent les rendre responsables de tous les maux dénoterait une vision parcellaire. L’antidote pourrait être celle qui s’approcherait au plus près d’un prix coûtant que préconise à l’envi le député Paul-André Colombani. L’initiative aurait l’insigne mérite de réguler le marché. Comme en écho les pompistes indépendants et ceux affiliés au groupe Ferrandi espèrent que cet épisode ne sera pas un coup d’épée dans l’eau et que dorénavant les dépôts pétroliers seront ouverts à tous sans préférence mais a contrario de manière équitable.

Une autre idée qui fait son chemin consiste en un partenariat de la Collectivité territoriale dans la société distributrice. Ainsi les élus auraient pleinement voix au chapitre et pourraient au nom de l’intérêt général prévenir tout excès ou prébendes. En clair que l’histoire ne se répète pas sous des méandres souterraines différentes.

En tout cas, et cela est compréhensible, l’affaire a une réelle dimension économique. Mais elle ploie également sous la symbolique. Les citoyens ont, dans ce cas comme dans d’autres, pleinement conscience que si la vie est si chère il faut aussi en chercher les raisons dans les marges bénéficiaires excessives pratiquées dans maints secteurs. Une sensation d’autant plus accentuée qu’elle se trame dans une région la plus pauvre de l’Hexagone.

Rendez l’argent

Ce différentiel que dénoncent à cors et à cris associations et sphère politique n’a pour l’heure enregistré que peu de réponses structurées et probantes.

Une sourde oreille que les représentants bastiais du Parti communiste dénoncent une nouvelle fois sans euphémismes ni atermoiements. Partant de l’actualité récente, Michel Stefani, secrétaire régional, et ses camarades demandent instamment que les lourdes amendes infligées aux opérateurs pétroliers de l’île soient converties en chèques carburant au bénéfice de chaque foyer. Une juste compensation des automobilistes lésés et qui ont un légitime droit à réparation. Dans le droit fil, les communistes ont lancé une pétition en ligne afin que leur revendication soit pleinement prise en considération. Inutile de verser dans la dialectique marxiste pour admettre sans réticence que le bon sens voudrait qu’il en soit ainsi. Il serait sans conteste étrange que ces imposantes pénalités pécuniaires aillent abonder les caisses de la puissance publique, laissant ceux qui en firent les frais privés de dédommagement. Fut-il partiel. Voilà somme toute, un aspect de l’État-providence qui serait apprécié. Non que ces subsides soient assimilés à une opulente manne céleste, mais ils auraient à tout le moins le mérite de démontrer que parfois Bercy et le gouvernement peuvent partiellement réparer des errements qu’ils ne surent briser dans l’œuf.

Lurel, réveille-toi !

Dans une réflexion plus stratégique, les communistes aspirent à insérer leur action dans une bataille globale contre la vie chère. Cette implication appelle que soit appliqué ici et maintenant le décret Lurel en vigueur dans les Outre-mer, utilisé pour le blocage et la baisse des prix à la pompe. Ombre au tableau le ministre Serge Papin, qui n’a vraisemblablement aucune parenté avec son ancien homonyme qui inventa le moteur à explosion, eut des réponses fuyantes et dilatoires concernant une telle requête. Il éluda employant des éléments de langage usés jusqu’à la corde. Citons pêle-mêle des surcoûts liés à la géographie. L’absence de stations qui abritent des grandes surfaces qui freinent la concurrence. Motus et bouche cousue sur les dispositifs qui existent et à même de garantir aux consommateurs des prix similaires à ceux qui sont pratiqués sur le continent. Ils furent justement créer pour aplanir le handicap de l’insularité.

Une fois n’est pas coutume L’Unione di i patriotti est en harmonie avec les disciples d’Engels. Pour cette coalition identitaire réunissant Mossa Paladina, Rassemblement national, et l’UDR un seul credo « Il faut stopper le racket ». Ou encore « L’amende n’est que justice car toutes les règles européennes de la concurrence ont été bafouées ». Eux aussi réclament avec force et vigueur que l’argent indument perçu par les pétroliers de l’île soit rendu aux Corses. En péroraison, ils exigent la création d’un fonds de compensation et l’ouverture d’une action pénale.

Tache d’huile

On le voit l’opération indélicate des vendeurs d’or noir fait tache d’huile. Des voix s’élèvent au sein de la société civile et d’un bord à l’autre de l’échiquier politique. Il serait non seulement infiniment souhaitable mais absolument nécessaire que le gouvernement actuel ou le suivant se saisissent enfin de cette question. Elle porte en elle le germe d’un abcès de fixation qui pourrait être le point de convergence de plausibles luttes sociales. Elles fédèreraient alors l’ensemble d’un cahier de doléances aux récriminations longues comme un jour sans pain. Et chez nous nul n’ignore que battre le pavé n’est pas exempt de débordements sous l’étendard de la violence extrême et incontrôlée. Dans les palais lambrissés en ont-ils une claire conscience ? En douter ne relève pas de l’exagération, malgré les démarches réitérées de nos parlementaires et les inlassables alertes de Gilles Simeoni. Et plus globalement les diverses motions de l’Assemblée de Corse.

Le coup de Molotov

Mais en haut lieu aussi il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Alors une bonne fois pour toutes que ces augustes personnages, qui roulent gratis dans des berlines de fonction, fassent œuvre de volontarisme. Et mettent comme le disait une publicité un tigre dans leur moteur. La réelle implication permettrait tel le bon mécanicien de remédier à ces ratés qui sont une insulte à l’équité. Et qui accumulent rancœurs et défiance de ceux qui en ont assez de ronger leur frein. Ils risquent de répliquer, ce qu’à Dieu ne plaise, par des cocktails Molotov. E gira e volta, il s’agit toujours d’essence.

Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.