Taxe Zucman

« Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ! »

Alfred de Musset (1832)

Par Sébastien Ristori, analyste financier, directeur de BARNES Corse, maître de conférences associé à l’IAE de Corse et auteur aux Éditions Ellipses.

Compétent, formé auprès d’un prix Nobel et doté d’un réel talent, Gabriel Zucman n’a pas résisté à l’envie d’occuper chaque plateau et chaque tribune pour revendiquer la paternité de la taxe qui porte désormais son nom. L’exercice médiatique est devenu son terrain de jeu privilégié. Mais, manque de chance, afficher une conviction très marquée et hausser le ton, même avec brio, ne suffit jamais à imposer une vérité unique dans l’opinion publique. Comme si le débat devait se réduire à une opposition caricaturale entre « gentils » et « méchants riches », ces fameux 0,01% des plus aisés brandis comme un symbole commode.

Imaginons la société InterParf, dérivée simplifiée d’une société non cotée spécialisée dans la distribution de parfum. Son actif économique comptable s’élève à 300M€, financé par 200M€ de capitaux propres et 100M€ de dette nette. InterParf dégage de belles rentabilités (14%) et de beaux profits : le résultat courant avant impôt est de 50,3M€, le résultat net est de 37,7M€. L’entreprise paie donc un impôt sur les sociétés de 12,6M€. La politique d’allocation des flux est stable : 15M€ de dividendes (taux de distribution de 40%, ce qui est très honorable !), 15M€ d’investissements bruts, 7,7M€ en report à nouveau.

Les capitaux propres sont valorisés 800M€. La famille fondatrice détient 51%, soit 408M€ de valeur. Avec une taxe Zucman de 2%, la famille devrait verser chaque année : 408M€ × 2% = 8,16M€.

Dans un élan de médiocrité intellectuelle et financière, la presse économique nationale française s’est même félicitée de pouvoir proposer aux actionnaires si riches d’utiliser les dividendes annuels reçus pour payer cette taxe.

Démontons tout de suite cette idée : en percevant 15M€, la famille majoritaire peut prétendre à 15M€ x 51% x 70% (après flat tax), soit 5,35M€ de liquidités. Soit un total inférieur à 8,16M€ puisqu’il manque 2,81M€ pour payer la totalité de la taxe Zucman. Et comme l’économie est financée en grande partie par des actionnaires qui récupèrent du cash pour le réinvestir, cette première démonstration montre le caractère confiscatoire de cette taxe calculée « sur la valeur », soumise à une forte volatilité, mais surtout une valeur qui ne correspond pas à un résultat et encore moins à une rémunération.

Deux solutions permettent donc de financer cette taxe :

  • Première option : vendre des actions. Céder 8,16M€ de titres équivaut à 2% de la participation familiale, soit 1,02% du capital total. La famille passe de 51% à 49,98% : la perte de majorité s’opère sur un simple mécanisme fiscal. Aucun actionnaire majoritaire ne choisirait, à priori, cette option.
  • Deuxième option : augmenter les dividendes. Pour obtenir 8,16M€ nets après flat tax à 30%, il faut 11,7M€ bruts pour la famille. Comme elle détient 51%, cela impose une distribution totale de 23M€ pour tous les actionnaires. La dette nette bondirait alors à 123M€, au détriment des investissements prévus, fixés à 15M€ dans la politique courante.

L’État récupère alors : 12,6M€ d’IS, 8,16M€ de taxe Zucman, 6,9M€ de flat tax additionnelle. Soit 27,66M€ prélevés, l’équivalent de 55% du résultat courant.

Au-delà du montant, la mécanique impose un choix défavorable dans tous les cas : soit céder du capital, ce qui revient de fait à une forme de confiscation progressive, soit réduire les capitaux propres par une distribution forcée, soit augmenter l’endettement au détriment de l’investissement.

À croissance nulle, la base taxable N+1 est simplement la base N amputée chaque année de 2%, comme un amortissement du capital. Il ne faut surtout pas confondre « valeur et « liquidité » : la taxe vise la valeur patrimoniale, alors que seule la liquidité permet de la payer. Or cette liquidité est déjà taxée, avec pour conséquence d’augmenter encore la pression sur le capital et d’enclencher une érosion mécanique et cumulative du patrimoine.

Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.