LA CROIX DE LA DISCORDE

Il ne me serait pas venu à l’esprit que le petit village de mon grand-père maternel, Quasquara, puisse un jour déchaîner la chronique jusqu’au continent.

Par Michel Barat, ancien recteur de l’Académie de Corse

Quasquara est maintenant célèbre pour sa croix de la discorde. Il n’est pas question de refaire l’historique de cette querelle de village mais son écho politique et médiatique illustre bien le retour de l’identitarisme partout. Le cardinal Bustillo ne s’y est pas trompé en déclarant : « La croix, on la sert, on ne s’en sert pas », dénonçant ainsi une instrumentalisation de la foi chrétienne.

Cette instrumentalisation de la foi n’est pas une anecdote corse, elle est un phénomène non seulement généralisé en France mais mondialisé. La foi des croyants sincères est utilisée à des fins idéologiques par des politiques qui bien souvent n’en ont rien à faire. On se croirait revenu aux temps de Charles Maurras. Il ne croyait pas en Dieu mais promouvait une France catholique usant de l’Église et de sa tradition comme d’une ossature de pouvoir.

L’Église n’en fut pas dupe, le pape Pie XI qui affirmera plus tard : « à Rome il n’y a pas de place pour deux croix » (celle du Christ et celle de Hitler), le mit à l’index en 1926. Ce que le pape dénonce ainsi c’est non seulement le fait de confondre la foi avec une idéologie politique, mais encore celui d’en user comme un moyen idéologique.

Négation de luniversalisme

Intellectuellement cette analyse semble quasi évidente. On pourrait d’ailleurs considérer cette instrumentalisation comme blasphématoire. Ses partisans alors qu’ils haïssent la laïcité, devraient au contraire la louer : elle ne condamne pas le blasphème car pour elle il ne saurait y en avoir. Il faut cependant se demander pourquoi cette instrumentalisation se propage si bien, surtout pendant les périodes troublées ou de rupture de civilisation.

« Il faut se demander pourquoi cette instrumentalisation se propage si bien en période de troubles ou de ruptures de civilisations. »

Ce n’est pas qu’une querelle politique et médiatique, elle traverse toute la société française et toutes les sociétés occidentales. Les manifestations publiques de christianisme de Donald Trump relèvent du même ressort en plus caricatural. Comme le disent les médias, le monde a changé.

Ce changement du monde rend les consciences solitaires et démunies, il nie tout universalisme. Tout est épars et tous sont en perdition, prêts à s’accrocher pour se sauver à toute image ancienne, toute tradition plus imaginée que réelle sans vraiment y croire. Perdus dans les temps contemporains, ils errent dans la nuit à la lumière d’une lanterne comme l’insensé du « Gai Savoir » en constatant que « Dieu est mort » pour en glorifier le fantôme et non pas comme l’authentique chrétien pour en vivre la passion et célébrer la résurrection. Cet assaut de fidéisme et de traditionalisme confirme plutôt le cri de l’insensé de Nietzsche.

Cris de perdition

Le cardinal de Corse a raison : la foi chrétienne comme toute foi est beaucoup plus sérieuse que ces manifestations de foule qui ne font pas église. La nouveauté du christianisme, c’est celle de l’universalisme, de la fraternité et de l’altérité. Dans un petit mais très important livre, « Saint Paul : le fondement de l’universalisme », Alain Badiou, philosophe à la fois marxiste et heideggérien, en fait d’une manière surprenante la démonstration.

« Ce n’est pas qu’une querelle politique et médiatique, elle traverse toutes les couches de la société française. »

La foi chrétienne est l’incarnation de l’universel dans le sujet singulier. Saint Paul le déclare avec force : « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus-Christ » (Galates 3,28). Il fonde ainsi l’amour universel au-delà des nations, des ethnies et même des croyances particulières. Il affirme vivement : « … s’il me manque l’amour tout cela ne sert à rien… Ce qui demeure aujourd’hui, c’est la foi, l’espérance et la charité ; mais la plus grande des trois c’est la charité » (Corinthiens I, 13,1-13).

Les vociférations contemporaines sont en fait des cris de perdition sans la boussole des trois vertus théologales.

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