Jean Biancucci renonce à son mandat territorial
Le nationalisme du cœur et de la raison

Place aux jeunes. Le souci de la transmission. Il avait le plus long règne dans l’hémicycle de l’Assemblée de Corse. Des interventions aux accents de conviction parfois coupantes comme les couteaux qu’il façonnait et que le temps n’altérait pas. Un adieu régional salué par tous ses collègues symbolisant le respect de celui qui demeure maire de Cuttoli.
Par Jean Poletti
L’éternelle moustache à la Lech Walesa. Le militantisme qui transcendait ses diverses fonctions électives. La dialectique sériée qu’il avait forgée au long de son parcours d’engagement. Tel peut être défini à grands traits Jean Biancucci. Lui n’avait que faire des simagrées et autres illusoires connivences avec les représentants étatiques. Son combat démocratique était de veine et d’amplitude différentes. Alliant la force de persuasion à l’ambition d’une Corse nouvelle. Celle qui en son for intérieur était synonyme d’essor collectif au service d’un peuple qu’il jugeait par trop entravée par des normes édictées sur les bords de la Seine. L’autonomie. Tel était son credo. La corsitude renvoyant au riaquistu sa vision. Une démarche complémentaire qu’il porta avec panache, talent et sincérité. Le président du groupe Fà Populu Inseme aura occupé durant plus de vingt-cinq ans un fauteuil territorial. C’est dire s’il connut des alternances majoritaires de l’institution. Sans parler des coups de théâtres et délibérations houleuses. Reflétant son personnage, sa déclaration officielle de retrait fut à tous égards dénuée de grandiloquence. Nul bilan triomphant. Pas l’once d’un satisfecit. Simplement une phrase dont la sobriété même grandissait celui qui la prononçait. « J’ai pris la décision, à ce moment de ma vie, de rendre mon mandat. »
Inlassable militant
Mais nul ne s’y trompait cela n’était nullement le signe d’un repli sur un Aventin. Ou celui d’emprunter le chemin du simple témoin et observateur passif de la situation insulaire. Sa réalité et ses perspectives. D’ailleurs pour bannir, si besoin, cette hypothèse d’école il répétait en substance qu’il est et demeure ancré dans le militantisme. Portant en bandoulière la certitude que le panel d’idées initiées avec lui et d’autres dans les années soixante palpitent encore dans l’inconscient collectif. Elles n’attendent pour faire société qu’à être encore plus largement partagées. Et ainsi prendre rang de référence aux lisières du consensus irriguant l’ensemble d’une communauté.
« La gloire n’est rien, l’action est tout », professait Confucius. Sans risque d’erreur ceux qui connaissent Jean Biancucci attestent qu’il ne renierait pas un tel précepte. Lui qui s’ouvrit à la mobilisation politique sur les bancs de l’université de Nice, et revendiqua avec maints étudiants qu’elle s’ouvrit à Corte. De retour sur ses terres, il embrassa l’idée nationaliste à l’heure où nombreux ici et dans l’Hexagone la jugeaient au mieux utopique et parfois devant être terrassée. L’eau coula sous les ponts, le temps a poli les aspérités. L’idée aux atours de spécificités infusa du Cap à Bonifacio, du littoral à l’intérieur. Et c’est sans doute avec le sentiment d’avoir apporté sa pierre à l’édifice que Jean Biancucci savoura l’accession aux responsabilités de Gilles Simeoni.
Le dogme de l’émancipation
D’ailleurs sans idolâtrie mais avec le cœur et la raison, il continuera à le soutenir, tant il croit que le président du conseil exécutif incarne le chemin émancipateur. Certes, l’unité de la mouvance nationaliste s’est fissurée. Bien sûr des oppositions se firent jour. Il n’empêche, rien n’interdit de penser que celui qui tire sa révérence territoriale caresse en secret une plausible réunion de ce qui est aujourd’hui épars. Chimère ? Peut-être. Mais lui dit et martèle que si le concept nationaliste peut engendrer courants et rupture, un socle commun existe désormais, forgé dans le droit à la différence que nul ne conteste plus.
Homme d’action ? Nul n’en disconvient. Ne courbant pas le dos lors des tempêtes ? Assurément. Un idéal d’airain ? vraisemblablement. Sans doute se souvient-il de manière anecdotique de son village encerclé par les forces de l’ordre dans le but de l’appréhender. Une opération diligentée par le magistrat antiterroriste Jean-Louis Bruguière qui s’était rendu sur place accompagné de médias nationaux ayant fait le voyage avec lui en avion. À l’issue de sa garde à vue, Jean Biancucci fut remis en liberté sans qu’aucune charge ne soit retenue. Le Provençal-Corse titra en une « Le cinéma du juge » et Edmond Simeoni de s’insurger « On tire à la canonnière ! »
Aiguisé comme une lame
D’un mandat, l’autre, l’édile indique à toutes fins utiles qu’il conservera celui de maire de sa commune, qu’il détient depuis quatorze ans, et briguera une nouvelle fois les suffrages des électeurs. Il succéda à l’époque au radical de gauche Paul Scarbonchi, dans un passage de témoin et le goût de la transmission chère aux deux hommes.
Un long chapitre se ferme dans la vie de l’Assemblée de Corse. Jean Biancucci en ouvrira un autre, différemment mais sans renier ce qu’il fut et demeure. Un personnage public qui à l’image des lames qu’il façonne avec art est trempé dans la solidité et reflète l’authenticité. Des qualités qui forcent l’estime unanime. Et dans son camp la reconnaissance pour son riche et bénéfique apport.
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