Nouvelles législations trop contraignantes: La mutinerie des professionnels de la mer

Les pêcheurs insulaires ne décolèrent pas. En cause notamment la limitation drastique dans les aires marines protégées qu’ils avaient eux-mêmes créées. Une restriction qui s’ajoute à nombre d’autres, faisant dire que la coupe du courroux est pleine et qu’elle déborde.

Par Jean Poletti

Ils étaient venus de toute l’île pour bloquer le détroit de Bonifacio. L’action rassemblait sous un même pavillon du refus l’annonce présidentielle à Nice dans le cadre de la conférence des Nations Unies sur l’Océan. « Basta aux règlementations abusives. » Ce slogan indique mieux que longs discours les inquiétudes qui traversent l’ensemble d’une corporation qui craint de disparaître. Protéger les ressources halieutiques est chez elle une nécessité. Mais ici ce que l’on nomme la grande pêche qui ratisse sans discernement n’a pas cours. Pas de grands chalutiers, véritables usines flottantes, ni de moyens sophistiqués pour dénicher et ramener d’énormes bancs de poissons. Nulle stratégie hauturière comme en maints lieux de l’Atlantique, mais une pêche côtière à l’évidence peu prédatrice et qui respecte la faune et la flore.

Aussi la profession insulaire voit dans ces nouvelles mesures un amalgame fâcheux entre les « gros » qui sont ailleurs et les « petits » qui sillonnent nos côtes. Dans ce droit fil, l’un des griefs majeurs réside dans l’absence de distinction entre deux procédés qui risquent d’emporter à jamais ceux qui œuvrent chez nous de manière artisanale. La colère et la détermination est unanime. Joseph Sanna s’en fait l’écho. Pour le secrétaire du Sindicatu Corsu pa a difesa di i piscadoril’absence de différentiation pourrait être un point de non-retour. Le véto venu d’en haut est qualifié non seulement d’injuste mais aussi d’une ignorance des réalités. « Nous allons prendre un nouveau coup sur la tête, aussi injustifié que pénalisant. » Et tel manifestant de maugréer « Si on veut notre mort qu’on le dise clairement. »Puis d’ajouter que le rassemblement bonifacien n’est qu’un prélude. Et de déplorer « Nous sommes dos au mur. U troppu stroppia. À force d’ajouter des restrictions qui ne tiennent pas compte des réalités, certains sont en train de nous couler. » Un autre d’enfoncer le clou : « Qu’ils sachent qu’on ne se laissera pas faire car c’est notre métier, celui qui nous fait vivre humblement qui est l’enjeu. »

Néfaste globalisation

Le pavillon de la révolte est hissé du Cap à l’extrême-sud. Il ne sera pas ramené de sitôt tant pour les responsables de la modeste flottille insulaire il s’agit d’un combat légitime proche des rivages de la survie.

La réalité en effet est éloquente. Cent-soixante pêcheurs sur de frêles embarcations ou le « capitaine » est souvent seul à bord. Dans ce décompte, seulement cinq chalutiers. Or par une curieuse globalisation tous sont concernés. Nul besoin d’être un loup de mer pour noter aisément qu’alors le sur-mesure s’imposait, ce fut le prêt à porter qui l’emporta. Mais élément cocasse s’il en est, ce furent les pêcheurs eux-mêmes qui mirent en place ces aires marines protégées, voilà près d’un demi-siècle alors que personne ou presque ne parlait d’écologie marine. Dans un acte volontariste, la finalité consistait à préserver l’environnement. Mais aussi et peut-être surtout d’initier des espaces s’apparentant à de véritables sanctuaires pour les poissons pouvant croître et se multiplier en toute liberté. Ce pacte fut respecté au fil du temps, et même salué comme un exemple en maintes instances. Quelles soient étatiques ou associatives. Pourtant le couperet est tombé, sans nuances ni dérogations. Et ceux qui se disent acculés illégitimement de clamer en chœur que les mesures aveugles et indissociées ne concernent pas exclusivement les chalutiers mais une interdiction totale et systématique. D’où le cri de détresse au demeurant recevable « C’est la fin de la pêche. Une interdiction pure et simple de continuer à travailler. »

La bonne élève au piquet

Comme en écho, Nanette Maupertuis s’inscrit dans ce sillage d’appel à la différenciation. En ouvrant le colloque dédié à la Méditerranée, celle qui est aussi membre du Comité européen des régions et présidente de la commission des îles sut dégager à grands traits constats et perspectives de notre île. Le leitmotiv qu’elle prononça dans le cadre de cette troisième conférence des Nations Unies sur l’Océan ne souffre nulle ambiguïté. « Le pacte doit nécessairement prendre en compte les territoires insulaires. » Et d’affirmer en substance que chez nous le type de pêche est par essence et définition respectueuse des écosystèmes. Est-ce le cas ailleurs ? Nullement. La Méditerranée est victime d’une surexploitation essentiellement due à la pression humaine, de procédés agressifs mis en œuvre par des grands armateurs espagnols ou italiens. À ces véritables prédateurs des fonds marins se greffent et se superposent des espèces invasives à l’image du crabe bleu qui lui n’épargne plus nos rivages. Il est omniprésent du sud de Bastia à la baie de Sant’Amanza, poursuivant inexorablement sa prolifération. Mais ces éléments exogènes ne sont nullement dus aux excès des professionnels locaux. Cela va sans dire mais encore mieux en le disant afin de prévenir l’éventuel amalgame des esprits friands de jugement partiel sinon partial.

Consulter et moduler

Au-delà de ces digressions, il convient de sérier au mieux la polémique sur l’ukase dans les zones protégées. Là aussi la présidente de l’Assemblée de Corse, fidèle à son habitude, ne fait pas dans l’euphémisme. Dans un propos recueilli par nos confrères de CNI, elle persiste et signe sans ambages. « La Corse ce n’est ni la Bretagne, ni la Sicile. On ne peut pas traiter quelques chalutiers modestes comme ceux qui étrangers, imposants et sophistiqués opèrent dans les eaux territoriales entre notre île et la Sardaigne alors que c’est une zone marine protégée. » Certes là où les potentialités s’avèrent critiques, il convient de prohiber afin de permettre la régénération. Mais cela ne doit pas se faire à l’aveuglette de manière systématique et globale. « Il faut consulter et moduler. » Bref, ne pas asséner une double peine aux pêcheurs corses qui en définitive seraient les innocentes victimes expiatoires des dégâts produits par d’autres.

Voilà le nœud gordien. Confronté à des problématiques n’étant pas uniformes, la réponse est unique. Et tant pis si elle cloue au pilori une corporation nullement coupable de ces dérèglements climatiques ou humains.

« On ne nous écoute pas, on ne nous entend pas. » Tel est le sentiment largement partagé chez les adhérents du Sindicatu ou du comité local. La preuve ? Chaque année une spirale inexorable : quatre ou cinq pêcheurs replient définitivement leurs cirés. Un effondrement que déplorait voilà peu encore Daniel Defusco.

Le mirage des aides

Les raisons administratives s’enchevêtrent comme autant d’obstacles qui découragent parfois jusqu’au renoncement. Parmi eux, hormis le réchauffement les quotas nationaux conjugués aux directives européennes. Mais le responsable va encore plus loin dans la dénonciation. Dans un jugement pétri de lucidité, il souligne que la pêche exploite une richesse naturelle mais ne la produit pas. Une différence fondamentale par exemple avec l’agriculture qui ouvre la porte aux critiques aisée un reflet de l’air du temps. Les pêcheurs sont allègrement accusés de toutes les maladies des mers. D’où son cri de colère : « Il faut en finir avec cette mise au pilori. » Et d’argumenter que si la corporation insulaire puise dans le domaine maritime elle le défend tout autant. « En Corse, on pêche peu et bien. » D’autres dans des formules à l’emporte-pièce flétrissent les aides illusoires, et pour tout dire proches de la perfidie. Ainsi à la demande de subventions pour des filets ou des cannes, la réponse est négative au prétexte que de tels éléments accentueraient l’importance des prises. Même scénario concernant l’aide à l’installation des jeunes. Les plausibles subsides sont conditionnés à l’achat d’un bateau usagé mis à flots entre cinq et trente ans ! Si l’embarcation est neuve, comme cela est préférable à celui qui veut embrasser cette carrière, aucun espoir de bénéficier du moindre euro. Idem pour des moteurs moins polluants ou des éléments de sécurité dont doivent être équipés les navires. À cet égard l’investissement est tellement lourd qu’il contribue à nourrir les causes de l’abdication. Fatalisme ? Nullement. Mais au gré des interlocuteurs sollicités, on perçoit parfois que le cœur n’y est plus.

Ultimes espoirs

La situation de blocage pétrie de vétos se fonde dans une méconnaissance qui frise l’incompétence chez les décideurs. Telle est l’accusation majeure qui prévaut dans les rangs de ceux qui luttent pour garder la tête hors de l’eau. Mêlant actions de sensibilisation auprès des instances décisionnaires et opérations paralysantes, ils tentent de recouvrer « l’équité que les technocrates rayent d’un trait de plume ». Leur ultime espérance réside dans la création d’une convention entre l’État, la région et le comité des pêches afin que soit sinon entièrement terrassée à tout le moins largement amoindrie cette logique de cécité qui devient insupportable. S’agissant de Bruxelles, un seul mot d’ordre prévaut : Faire admettre le particularisme d’une pêche nustrale « bonne élève » et qui paie les errements d’autres. « Nous n’avons pas les mêmes fonds, ni des conditions de travail similaires. Et surtout les unités ne sont pas identiques. » Ces plaidoyers pour retrouver un semblant de dynamisme seront-ils entendus ? Dans le cas contraire, c’est l’ensemble d’une filière qui est vouée à plus ou moins brève échéance à la disparition.

Triste paradoxe

Voilà paradoxe supplémentaire pour une région qui possède quelque mille kilomètres de côtes. Gageons que le fameux U pescadore di l’onda ne soit pas une ritournelle uniquement dévolue à charmer les vacanciers. Mais à l’inverse redevienne reflet d’une activité qui n’aurait jamais dû essuyer une tempête si destructrice. Initiée depuis des bureaux lambrissés où siègent des théoriciens qui bannissent les évidences. Même les plus limpides comme l’eau de roche.

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