Tamanta strada

Edmond Simeoni est pour toujours la figure emblématique de notre histoire  contemporaine. Notre consœur de Corse-Matin, Anne Chabanon, nous entraine dans les coulisses d’un être engagé, pétri d’humanisme, riche d’une réelle culture qui offre la hauteur vue.

Par Jean Poletti

L’homme fut de tous les combats pour défendre la justice et l’équité. Le personnage public est entré dans la mémoire collective. Les nombreux entretiens livrent trois cent cinquante pages qui transcendent le qualificatif de mémoires pour atteindre les rivages du romanesque. Au-delà des souvenirs, rehaussés de  faits saillants d’une existence hors du commun, l’auteure  parvint à tracer un fil rouge  tissant l’union sacrée d’une destinée et son ile.  De Lozzi, ceinturé de pic éthérés qui tutoient le ciel à  l’école de Francardo est campée a grand traits une jeunesse. Puis la Fac, sa rencontre avec Lucie, son âme sœur. Le médecin installé à Bastia, déjà le militantisme chez celui qui se rêvait  footballeur. L’indigne projet d’essais nucléaires dans le massif de l’Argentella. La Cave d’Aléria, le scandale des boues rouges, les urnes  bafouées. La liste n’est pas exhaustive mais ce furent autant de révoltes brandies en étendard fédérateur. Nationalisme ? Son épouse n’appréciait pas ce mot, elle le dit sans ambages, dans un sempiternel franc-parler et de confiance mutuelle qui rehaussait et cimenta la vie du couple.  Ainsi s’esquisse  par touches successives, un témoignage et un legs,  que sait excellemment livrer  la journaliste dans un style concis. Privilégiant le récit et les souvenirs d’un acteur majeur de son temps.

Insurgé

Revisiter les périodes  équivaut à évoquer cette soif de justice sociale. Mais aussi le rejet de la corruption et des prébendes.  Fut-ce pour avoir voix au chapitre d’être le premier à  se dresser contre l’Etat et lui reprocher ses errements.

A François Mitterrand qui lui demandait ce qu’il souhaitait pour la Corse, Edmond Simeoni répondit sans ambages ni circonvolutions sémantiques la démocratie. Anecdote significative valant doctrine politique et engagement d’une vie.

L’ouvrage publié aux éditions  Flammarion, c’est tout cela et bien d’autres choses encore. Il dépeint l’unité d’un homme habillé de probité et de certitudes d’airain, mais n’occultant toutefois pas les doutes. Une saga familiale aussi avec son frère Max, inlassable théoricien, Ses fils Marc et Gilles. Celui qui allait accéder bien des années plus tard  à la plus haute fonction élective l’incita à lire les poètes. « Baudelaire, Gérard de Nerval, ça te dit rien ? » En suivant le conseil filial,  s’imprégna-t-il des vers de l’Albatros, et ses ailes de géant qui l’empêchaient de marcher ? Sans doute. Tout autant, du fond de sa geôle il s’imprégna des écrits de  Mandela. Sa longue marche vers la liberté et  d’un banni devenu président.

Moissonneur

Anne Chabanon réussit à relater un riche témoignage sans verser dans l’hagiographie surfaite et le sentimentalisme exacerbé. Dans une sorte d’opération vérité elle parvint par une galerie de portraits à  camper  le cœur et l’esprit de son interlocuteur. En cela l’ouvrage n’en est que plus attractif, pour ne pas dire séduisant. Le lecteur, béotien ou initié perçoit aisément  l’amour d’un moissonneur de son temps pour sa terre et une communauté. Avec comme sillon émancipateur, irrigué par les luttes, la dignité d’un peuple.

Ainsi s’éclairent les sempiternelles interrogations sur la violence du vieux militant à l’épilogue d’un parcours  bordé d’engagements et de regrets. Des sentiments qui s’entrechoquent, mais qui demeurent souvent indissociables, parfois complémentaires, lorsque il s’agit de bousculer prismes déformants et force d’inertie des princes qui nous gouvernent. 

Le fringuant stratège qu’il fut, prit les traits du patriarche. La fouge polie par la fuite des ans laissa place au récit apaisé. « Il m’a raconté une véritable épopée, comme on en trouve dans la mythologie. C’était un homme  soucieux de  savourer chaque instant. »  Comme pour mieux tenter de retenir l’inexorable sablier qui égrène la fuite du temps.  

Intemporel

La mort ? Il ne la craignait pas, regrettant cependant qu’elle l’empêcherait  d’apprendre encore et toujours.  Une quête de la sagesse, symbolisée par le chant A Muntagnera qu’il voulut lors de ses obsèques. Des paroles sculptant  l’existence des bergers, rythmée par l’intemporalité de l’espace et du temps. Celle qui rejoint le destin collectif de la Corse, d’aujourd’hui et de demain. Sans doute l’homme d’action savait-il  avec Malraux   que « dans un univers passablement absurde, il y a quelque chose qui n’est pas absurde, c’est  ce qu’on peut faire pour les autres. »      

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