Quand l’avenir fait bonne chaire

Imaginer le futur. Dessiner à partir des évolutions actuelles la Corse de demain. Telle est la mission de la nouvelle chaire universitaire baptisée Mutations et innovations territoriales. Spécialistes insulaires et étrangers conjugueront leurs compétences afin d’apporter des réponses concrètes aux multiples défis qui ourlent l’horizon de notre territoire.

Par Jean Poletti

Des changements imperceptibles ou majeurs se fondent et s’alimentent, esquissant un nouveau visage de l’île. Dans tous les domaines ou presque les multiples socles de l’évolution sont perceptibles. Ne pas anticiper cette métamorphose et refuser de s’y préparer serait sans doute source de déconvenues. Écoutons Gramsci nous dire « Le vieux monde se meurt, le nouveau est long à apparaître, et c’est dans ce clair-obscur que surgissent les monstres. » Éviter cet épilogue sociétal ne se satisfera pas de l’incantation. Tout comme le fatalisme, l’attentisme illustrés par le fameux proverbe « in viaghju s’acconcia a soma ».

La nouvelle chaire, placée sous l’autorité de l’ingénieur chercheuse Morgane Millet, est aux antipodes de cet attentisme qui incite à demeurer témoin passif et étranger aux fractures qui s’annoncent. Son slogan pourrait s’apparenter à celui d’un Jaurès voulant partir du réel, certes sans aller jusqu’à l’idéal, mais en donnant à notre société des remèdes pour maîtriser des lendemains collectifs. Et en tirer bénéfice. 

Ce postulat, aussi séduisant soit-il, serait stérile sans la froide étude et la recherche exhaustive. Dans ce droit fil, une dizaine d’enseignants mettront en commun leurs compétences. Durant trois années, au moins, chacun dans sa spécialité contribuera à définir une réponse globale aux problématiques spécifiques. Elles sont à l’évidence d’essence et d’amplitude différentes. 

La réflexion en partage 

Mais toutes se rejoignent dans ce qu’une formule lapidaire qualifierait de fait de société. Le spectre est large. Il inclut bien évidemment l’insularité, ses handicaps et atouts. Sa complexité aussi, qu’Emmanuel Arène qualifiait en raccourci éloquent« d’île entourée d’eau ». Mais également et plus prosaïquement de faiblesse démographique, d’exode rural de populations séduites par les lumières des villes ou du littoral. 

Des constats aux perspectives, cette exploration englobera notamment les nouveaux modèles économiques et autre gouvernance. Bref, chacun perçoit, sans qu’il faille verser dans l’exhaustivité, que ce travail est en résonance avec l’existence des habitants et en incidence leurs regards vers l’horizon, pétris de craintes et d’espoirs.

Les animateurs et responsables de la chaire ont d’emblée su se prévenir d’une sorte d’isolationnisme ou s’enfermer dans quelque tour d’ivoire. Ils ouvrent grand portes et fenêtres permettant l’intrusion de la société civile. Projets pédagogiques, colloques séminaires et autres manifestations seront gage d’échanges et fructueuses confrontations d’idées. Un partage des connaissances théoriques avec la réalité du terrain et les témoignages d’expériences. Voilà qui scellera l’alliance des nécessaires concepts généraux avec le pragmatisme du vécu. 

Révolution de la proximité 

Regards croisés. Expériences décrites. Contributions locales, nationales et internationales. Autant de pistes et d’éclairages qui en épilogue auront vocation à répondre aux attentes et préoccupations. En fin de compte « de quoi demain sera fait ? » est la seule interrogation qui vaille vraiment. 

À l’évidence, à bas bruit souvent, s’élabore une nouvelle carte de la Corse. Celle qui dilue les solidarités locales, délocalise les secteurs d’activité. Souligne l’expansion des bassins ajaccien et bastiais, avec comme revers l’emploi et le logement. Met en exergue le vieillissement de la population avec en corollaire la stratégie de soins et en pointillé la création d’un Centre hospitalier universitaire. 

Tous ces faits et arguments qui vont s’étoffer au gré des consultations délimiteront les contours d’une révolution de la proximité. Elles impacteront, à n’en point douter, la gestion de l’espace, l’économie, le social, l’accès aux soins, le marché du travail, l’urbanisation, ou encore la ruralité. 

Tout est lié. Aussi l’enjeu est-il de prévoir le changement. La recherche, loin d’être neutre ou simplement intellectuelle, devra nécessairement apporter sa pierre à l’édifice afin que la Corse construise un futur collectivement souhaitable. Ou à tout le moins acceptable pour le plus grand nombre. 

Partenaire privilégié

Cette chaire qui convoque le présent pour imaginer demain est non seulement utile mais nécessaire. Plus globalement, sous l’impulsion de son dynamique président, Dominique Federici, l’Università Pasquale Paoli défriche des chemins novateurs. Et se place en partenaire incontournable d’une île qui veut aller de l’avant. 

Avec pragmatisme et volontarisme, elle fait offre sociétale, qui dépasse le strict cadre scolastique pour s’immerger dans les causes et les conséquences d’une évolution incontournable. Préparer le changement pour ne pas le subir. Un défi relevé avec talent. Nul ne s’en plaindra. 

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