Corinne Versini

La part du colibri

 crédit photo: Gilles Bader

Elle est de ces femmes entreprenantes et déterminées à vivre leurs rêves. Des femmes audacieuses qui font face quels que soient les obstacles. D’une énergie à toute épreuve, Corinne Versini est à la tête de la société Genes’Ink, une entreprise spécialisée dans la conception, la production et la commercialisation d’encres innovantes pour l’impression 3D, qu’elle a fondée en 2010. Distinguée par de nombreux prix et récompenses, comme le prix « Femme entrepreneure de l’année » en 2018, ou encore le prix « 10 000 startups pour changer le monde » en 2021, cette startupeuse passionnée que rien ne semble jamais arrêter, est tout autant impliquée pour un développement plus éthique de projets liés à la transformation numérique, que dans la lutte contre l’inégalité entre les hommes et les femmes, portée depuis toujours par le désir de changer le monde.

Par Karine Casalta

Chimiste de formation, diplômée de l’école Centrale Méditerranée, dont elle est la fière marraine de promotion cette année, elle débute sa carrière dans le domaine informatique chez Rhône-Poulenc. Passée chez IBM, où travaillant en usine de production, elle commence réellement à s’intéresser à l’électronique, elle rejoint par la suite STMicroelectronics, spécialisée dans la fabrication de composants électroniques. Au fil de son parcours, elle occupe différents postes de management en recherche-développement qui lui permettent d’acquérir une solide expérience dans la mise au point de procédés de production, et de prendre conscience de l’ampleur des besoins en termes de composants électroniques nécessaires pour répondre aux évolutions technologiques de cette industrie.

Engagée en faveur de l’entrepreneuriat et de l’innovation…

Décidée à devenir sa propre patronne, son expérience l’amène ainsi à créer en 2010 la société Genes’Ink, qui invente de nouveaux produits conducteurs pour microprocesseurs, appelés « encres ». Issues de technologies innovantes, à base de nanoparticules hybrides développées sous forme humide, elles permettent tout à la fois de rendre l’industrie plus propre et plus performante. Des « encres » mises au point avec une équipe de chercheurs qui font état à ce jour de douze innovations représentant cent trente-huit brevets déposés à travers le monde. Fabriquées à basse température, donc faiblement énergivores, sans solvants toxiques, elles présentent l’avantage d’être utilisables pour la fabrication de matériaux selon un procédé additif qui n’utilise que la matière nécessaire, exigeant ainsi beaucoup moins de minerais pour un moindre impact écologique. Une technologie qui a aussi pour bénéfice de permettre de limiter la dépendance vis-à-vis de pays d’où ces terres sont issues. 

…et contre les inégalités entre hommes et femmes

Classée par le magazine Forbes dans la liste des entreprises les plus innovantes au monde en 2018 et 21edes 100 startups les plus inventives de la French Tech en 2019, la société basée à Rousset, près d’Aix-en-Provence, emploie aujourd’hui une vingtaine de personnes, dont une majorité de femmes. « Des reconnaissances non genrées qui me tiennent particulièrement à cœur ; car si dans certaines disciplines, comme le sport, je comprends que l’on distingue les catégories, là il s’agit de cerveaux, et j’ai le même cerveau qu’un mec ! », dit-elle. En effet, attachée à œuvrer sur le plan environnemental, elle l’est tout autant sur le plan social, attentive à lutter contre l’inégalité entre les hommes et les femmes, convaincue aussi, au regard de son propre parcours que l’émancipation des femmes passe par le travail. « Je voudrais que les hommes et les femmes soient promus de la même façon. Chez Genes’Ink, si une femme mérite une augmentation, même si elle part en congé maternité le lendemain, on lui donne cette augmentation. Àcontrario, à elles de se donner les moyens d’investir leur travail et gérer en conséquence les aléas familiaux. Leur travail n’est ni moins important ni moins intéressant que celui de leur conjoint ! Et culturellement, il y a encore du travail à faire. Je trouve scandaleux que l’on demande encore aujourd’hui aux femmes comment elles mènent de front leur vie de famille et leur carrière professionnelle, car cela les pénalise. Une question que l’on ne pose jamais à un homme ! » Une problématique à laquelle elle-même, mère de 3 enfants, a pu être confrontée. « Je me fiche bien qu’on dise chef ou cheffe d’entreprise, mais ça m’énerve qu’on me demande systématiquement comment j’ai fait pour élever mes gosses. J’ai fait comme toutes les mères : mal ! Et pour être sincère, élever des enfants est ce que j’ai trouvé de plus difficile dans ma vie, bien plus que monter une boîte. On se pose en permanence la question de savoir si on fait bien ou si on fait mal ? Ça, ça m’a fait peur ! Avec une boîte, on est bien plus détaché. »

D’une nature tenace 

Et si la cheffe d’entreprise a su trouver sa place et s’imposer sur un secteur d’activité longtemps resté l’apanage des hommes, il lui a fallu, dès le départ, se battre pour y arriver. Fille d’un père chef d’entreprise, et d’une mère commerçante, ses parents lui ont sans doute donné le goût d’entreprendre. Pourtant son père ne voulait pas qu’elle fasse d’études. « Pour mon père, une femme devait se marier et faire des enfants. Mais moi, je voulais faire des études, donc j’ai choisi de partir ! »

Bien décidée à tracer sa route, et encore lycéenne, elle va donc quitter la Corse et Ajaccio où elle a grandi, laissant derrière elle famille et amis. « J’avais 16 ans, je me suis retrouvée seule en terminale à Marseille, complètement isolée. Ça a été un vrai choc culturel ! » En rupture avec sa famille, hébergée dans un foyer pour jeune fille, elle cumule alors les petits boulots pour subvenir à ses besoins : « Je rentrais en Corse l’été pour faire les saisons, parce que ça payait bien, et la plupart du temps je faisais les nuits parce que ça payait encore mieux ! »

Convaincue aujourd’hui qu’avoir bougé et su s’adapter à un autre environnement l’a aidée par la suite : « Je suis partie, j’ai quitté mon port, et je me suis retrouvée réellement seule. Je pense lorsqu’on est insulaire – j’ai retrouvé ça au Japon ou en Grande-Bretagne notamment – quand on quitte son île, on coupe les amarres, on est seul. À partir de là, on n’a plus rien à perdre. Je pense que ça m’a donné la force, plus tard, d’affronter la solitude du chef d’entreprise, car celle-ci existe, ce n’est pas une légende. Maintenant, j’ai l’habitude, mais au début ça a été dur ! »

La part du colibri

C’est encore portée par sa volonté de faire bouger les lignes qu’elle se lance un temps en politique, faisant campagne pour Emmanuel Macron en 2016. Sa candidature dissidente aux législatives en 2022 dans la 14ecirconscription des Bouches-du-Rhône l’éloignera du parti LREM et de la politique, d’autant plus que durant cette même période, elle a une autre épreuve à affronter puisqu’elle se bat contre un cancer du sein diagnostiqué en 2020. « Cette maladie, je l’ai prise dès le début comme un défi : je n’étais pas malade, j’avais quelque chose à chasser. » Sans jamais arrêter de travailler, elle décidera après une chimiothérapie éprouvante pour garder le contrôle et éviter toute récidive, de se faire opérer d’une annexectomie (ovaires et trompes) et d’une double mastectomie prophylactique en janvier 2022. « J’en parle d’autant plus librement aujourd’hui que lorsque j’en ai parlé à l’époque, sur le réseau social où j’avais l’habitude de publier pour justifier mon absence, j’ai eu près de cent dix mille vues, et des messages de femmes que je ne connaissais pas, à qui il arrivait la même chose et se sentaient perdues. Elles souhaitaient me contacter pour en parler car je leur donnais du courage. J’ai ainsi appelé des gens que je ne connaissais pas pour les réconforter. Et par la suite, j’ai fait un livre photos avec le photographe Hugues Charrier, “Histoires de seins, mise en lumière de combattantes” qui montre avec un œil bienveillant des corps de femmes et d’un homme, abimés par cette maladie, dont tous les bénéfices vont à des associations de lutte contre le cancer. »

C’est ainsi que puisant sa force dans les épreuves que la vie a mises sur son chemin, elle est toujours animée de la même volonté d’apporter sa contribution pour améliorer le monde.

« Ma grand-mère disait toujours “Ciò ch’ùn tomba ingrassa” (Ce qui ne tue pas engraisse) ». Et c‘est vrai, j’ai dansé avec la mort. Et je m’en suis sortie ! Que peut-il m’arriver désormais ? Maintenant plus rien ne peut plus m’arrêter. » 

« Histoire de seins » est disponible directement auprès de:

Hugues Charrier, photographe

hugcharrier@gmail.com

Instagram : @hugcharrier

0659548211

Prix 30€ + frais de port de 4,90€ pour la France.

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