Pierre Marcellesi

Impliqué en politique depuis plus de 20 ans, Pierre Marcelli fait partie de ces hommes politiques qui se font rares dans les médias. Pour Paroles de Corse, il a accepté de se dévoiler. 

Portrait

Par Jérôme Paoli

Maire de Zoza et président de la communauté de communes de l’Alta Rocca depuis presque 15 ans pour votre mandat communal, vous êtes un élu plutôt discret pour quelle raison ? 

La meilleure des communications, c’est de concrétiser des actions et des projets à leur service. Pour moi. Il n’y a pas de meilleure communication que la proximité, la main sur l’épaule et l’ancrage territorial. 

Pour autant, faire savoir ce qui est fait au bénéfice de la chose publique ou faire connaître sa vision de l’organisation des choses peut être aussi considéré comme un impératif démocratique. C’est en cela que personnellement, je m’efforce de doser.

Vous n’avez jamais siégé à la Région, vous auriez pu, pourquoi avoir toujours refusé ? 

Il est vrai que j’ai eu quelques sollicitations et quelques tentations. Mais j’ai toujours privilégié ma commune, mon territoire, l’engagement total dans mes mandats de maire et de président d’intercommunalité.

Étant entendu que pour le second, j’ai toujours eu à cœur de fédérer les élus du territoire et consolider le fait intercommunal en dépassant les considérations partisanes ou politiques. J’ai toujours considéré qu’une candidature de ma part à d’autres scrutins pouvait nuire à cet objectif et nuire ainsi à une forme de cohésion ou d’équilibre territorial.

Parlons politique, comment jugez-vous l’action du président de l’exécutif ? 

De manière très pratique, il y a d’abord un ressenti, celui qui transparaît au détour des échanges quotidiens avec nos concitoyens : un décalage entre la volonté du président du Conseil exécutif, les attentes suscitées et le résultat ou en tout cas avec la perception que l’on peut voir de celui-ci au plus près du terrain.

Il y a ensuite un état de fait : beaucoup de problématiques du quotidien en suspens… « una strada tamanta » reste à parcourir…

Le président de l’Exécutif consacre une grande partie de son énergie pour obtenir l’autonomie de la Corse. C’est aussi une priorité pour vous ? 

Pour moi les priorités sont ailleurs. Je ne trouve pas de réponse claire à la question de savoir : l’autonomie pourquoi faire et comment ?

Quand je constate les déficits en infrastructures, l’absence de vision à long terme ou que tout logiquement nous ne tirons aucunement profit en quoi que ce soit de la position de notre île en Méditerranée je me dis que cela n’est pas exclusivement dû à un statut inadapté ou des outils juridiques, administratifs ou institutionnels inappropriés ! Mettons-nous collectivement en cause !

Nous sommes très loin d’avoir utilisé à bon escient les compétences qui sont dévolues à nos Collectivités

La première difficulté n’est ni financière, ni institutionnelle, ça fait près de 40 ans que nous sommes dans la fuite en avant.

En revanche, il me parait essentiel de fédérer nos énergies pour prioritairement construire un projet de société, définir la nature et la destination des terres pour décliner ce projet. Le Padduc peut en être le support.

Réapproprions-nous ce qui a toujours constitué l’essentiel de notre identité et de notre âme profonde : nos valeurs, nos croyances, nos modes de vie et de comportement. Être corse, n’est pas seulement parler ou chanter corse.

Combattons collectivement certains fléaux qui sapent les fondements de notre société, la drogue et les phénomènes d’addiction, l’argent facile et le culte du rapport de force pour ne pas dire de la violence.

L’autonomie ne se décrète pas, ne se commande pas, ne se négocie pas, elle se pratique et se construit. Elle s’impose d’elle-même.

À droit constant, nous avons les moyens de la faire vivre. Le principe de libre administration des Collectivités qui est constitutionnellement reconnu est-il déjà pleinement exprimé sur nos territoires ? Je ne le pense pas.

Par nos divisions et notre absence de vision sur les essentiels, on réussit le tour de force de laisser l’État prendre la main trop souvent.

Le service public de la Justice, comme dans les domaines les plus stratégiques que ce soit celui de l’urbanisme, de l’environnement, de la santé est démuni. L’Etat dans ses compétences régaliennes en est amené à paraître fort avec le plus faible et se retrouve faible face aux forts.

Du côté du gouvernement, on a l’impression que Gérald Darmanin n’est pas très clair sur le sujet. Il a notamment dit qu’il était disposé à discuter d’autonomie de la Corse, sans pour autant la désirer. On a souvent l’impression qu’il souffle le chaud et le froid. Qu’en pensez- vous ? 

Le ministre de l’Intérieur dit ce qu’il doit dire dans la position qu’il occupe à des interlocuteurs souvent conditionnés, dans un contexte donné.

L’autonomie ne se décrète pas, ne se commande pas, ne se négocie pas, elle se pratique et se construit. Elle s’impose d’elle-même.

Ici, il n’est pas opposé à parler d’émancipation sous forme d’autonomie, là il évoque une autre étape décentralisatrice, là-bas on est disposé à discuter de tout, bref j’ai bien l’impression que le sujet Corse est encore une fois un hochet dans les mains du Gouvernement.

Il semble conditionner la concrétisation d’une réforme à des propositions venues de l’île. Sachant pertinemment que pour des raisons autant politiques que sociologiques cela sera compliqué à formaliser.

En outre, il s’inscrit dans un temps court. Ce qui est insupportable et rappelle le calamiteux « chiche » sur la Collectivité unique prononcé par la ministre de la Décentralisation de l’époque, Marylise Lebranchu et dont on mesure le résultat aujourd’hui. 

S’il y a une vraie volonté, c’est au Gouvernement de donner le tempo et de fixer la ligne d’horizon. Or, il ne semble pas y avoir de véritable vision stratégique du développement de l’île, de la place de celle-ci au sein de l’ensemble méditerranéen, de sa spécificité insulaire.

Gérald Darmanin a pris soin de dialoguer également avec les maires. Selon vous, c’est une bonne chose ou une simple tactique politique pour ne pas uniquement discuter avec l’exécutif de la Région ? 

Les deux. Tactiquement cela ouvre au Gouvernement le champ à la diversité des points de vue et donc à la division. Cela rétrécit la portée de la parole de la majorité territoriale.

Symboliquement, il peut difficilement lui en être fait reproche – même si ses interlocuteurs semblent avoir été triés – l’élu municipal reste ici comme ailleurs le premier maillon de la représentation démocratique. Il a toute sa légitimité et donc toute sa place dans le champ des discussions en cours.

Pour autant, l’exercice est compliqué voire faussé car nul ne peut ignorer qu’il règne actuellement dans le débat public, une sorte de tyrannie de la pensée.

Consulté ou pas dans le cadre de ces réflexions évolutionnistes, peut-on véritablement dire les choses sans être taxé de conservateur voire de traître à la Corse ? Peut-on aujourd’hui dans le débat public exprimer des convictions, un ressenti, porter une contradiction ou simplement modérer ce qui est posé – y compris par vous média – comme un postulat ?

Pourtant, nul n’a le monopole de la corsitude, nul n’a de vérité révélée.

Seule certitude, il faut apporter des solutions aux préoccupations qui sont le quotidien de nos concitoyens, se départir des dogmes, arrêter de s’éloigner des fondamentaux, des valeurs de notre société.

Autre sujet, dix ans après Madame Taubira, le ministre de la Justice, Eric Dupond Moretti a dévoilé une nouvelle circulaire pénale propre à la Corse pour lutter contre le crime organisé. Votre regard sur les propositions du ministre ? 

Là encore, rien d’exceptionnel.

Cette circulaire a vocation à définir ici comme ailleurs, pour mieux les décliner, les priorités d’une politique pénale. 

Le professionnel du droit que je suis constate au quotidien qu’il y a un décalage entre les annonces et les actes.

L’homme politique que je suis, le père de famille, le citoyen constate que le quotidien de notre société est toujours davantage miné par les phénomènes d’addiction, par l’influence de l’argent, la transgression de nos règles sociales les plus élémentaires.

Comment revendiquer la défense d’une identité si au quotidien plus personne ne la pratique. Autre contradiction.

Un pouvoir judiciaire qui a les moyens, une justice qui se recentre sur des priorités pour envoyer des signaux forts à une population est pourtant un gage d’une société émancipée.

Parlons avenir, selon vous, pour les prochaines élections territoriales, la droite a-t-elle ses chances ?

L’expression démocratique en Corse est défaillante. Trop de nos concitoyens restent en retrait et se détachent du débat public. La nature ayant horreur du vide, une forme de monopole de la pensée s’est constituée. Ceci au détriment du pluralisme et de la richesse des débats. Beaucoup exercent des responsabilités par défaut. La chute des partis traditionnels a été pour moi une perte démocratique. Ce n’est pas sain. La famille libérale en a fait les frais.

Il faut la reconstruire, sur des fondements clairs et avec un projet pour la Corse qui donne une perspective ambitieuse et concrète.

Il y a véritablement une place pour une force alternative de femmes et d’hommes autour d’idées d’abord pragmatiques. Les prochains scrutins doivent mobiliser autour de ces objectifs.

Je crois en l’émergence de forces politiques renouvelées et de victoires portées par d’autres considérations que celles étriquées des bases militantes, de mouvements corporatistes et de tous les mouvements prisonniers de leurs dogmes.

Vous en serez ?

Il est du propre d’un élu de penser aux scrutins… En tout état de cause, sauf à être en contradiction avec le constat que je dresse, l’attachement profond à notre territoire, les attentes de nos concitoyens et l’esprit constructif qui est le mien, je souhaite participer, voire peser dans le débat public.




 « una strada tamanta » reste à parcourir…

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