L’archéologie du désir : Le coup de foudre

DÉCLENCHEMENT SUBIT DE L’ÉTAT AMOUREUX GÉNÉRALEMENT À LA PREMIÈRE RENCONTRE, LE PHÉNOMÈNE DU COUP DE FOUDRE SOLLICITE LE RAPPORT QUE NOUS AVONS À NOTRE PROPRE IMAGE, MAIS AUSSI RÉACTUALISE DES ÉLÉMENTS DE NOTRE SAVOIR INCONSCIENT EN RELATION AVEC DES EXPÉRIENCES RELATIONNELLES TRÈS ANCIENNES, ENFIN RÉVÈLE COMMENT S’EST CONSTRUIT L’OBJET QUI CAUSE NOTRE DÉSIR. 

Par Charles Marcellesi, Médecin 

L’IMAGE DU CORPS ET LE «JE»
La rencontre avec l’être qui sera brusquement aimé passe par le support offert par les images du corps de chacun des protagonistes mis en présence, de celui ou celle chez qui advient « le coup de foudre », et dans les cas favorables chez les deux: c’est un fonctionnement « en miroir » ; qu’y retrouve- t-on? Essentiellement une des propriétés qu’a remplie l’image au tout début de notre développement personnel lorsque nous nous sommes reconnus la première fois dans le miroir: en ce temps-là (6 à 18 mois), où nous tenions à peine sur nos jambes, la perception que nous avions alors de notre corps était morcelée; devant le miroir, en étant soutenu le plus souvent par notre mère, nous avons avec surprise repéré devant nous son image alors que sa voix nous parvenait en arrière. C’est là que nous avons pour la première fois compris que l’autre image dans le miroir était la nôtre, nous nous sommes alors tournés vers notre mère qui nous a dit: «oui c’est toi». Tous les très jeunes enfants ont à ce moment-là un comportement caractéristique: ils s’approchent du miroir et le frappent en jubilant. Se forme ainsi une instance psychique : le « moi- idéal », partie du moi qui donne le sentiment de toute-puissance, car il unifie la perception que nous avons de nous-même grâce à l’image reflétée dans le miroir par contraste avec le vécu de morcellement du corps qui prévalait avant. Toute la vie il existera un écart entre ce «moi-idéal» omnipotent, investi d’énergie psychique pour constituer le narcissisme, et qui fait que d’un côté nous nous voyons comme totalité achevée en même temps que nous constatons, par ailleurs, que la réalité est moins satisfaisante. Dans le coup de foudre, nous retrouvons dans l’image de l’autre un reflet de notre moi- idéal: le narcissisme en cause disait Freud peut être accentué chez certaines personnes, comme les homosexuels, «qui ne choisissent pas leur objet d’amour ultérieur sur le modèle de la mère, mais bien sur celui de leur propre personne ». Freud considérait que ce choix d’amour «de type narcissique» était également très présent chez de nombreuses femmes qui, plutôt, qu’un choix par étayage sur le modèle de « la mère qui nourrit » ou du «père qui protège», mettaient comme condition à ce qu’un homme leur plaise le sentiment d’en être aimées plus qu’elles ne l’aimaient elles- mêmes. Mais cette spécialisation de l’image de soi sous forme de moi-idéal entraîne une autre division dans l’usage du pronom personnel «je»; si le je par lequel nous assumons ce que dit notre énoncé conscient (dans le cartésien: «je pense donc je suis»), un autre «je» est lié à l’énonciation inconsciente, un réseau de traces de nos expériences passées constituant un savoir et qui s’avère déterminant dans la survenue du coup de foudre. 

LE « TRAIT UNAIRE » 

Dans l’expérience précédemment rappelée de la découverte de l’image de soi dans le miroir, l’authentification de cette reconnaissance par le «c’est bien toi » de la mère, fonctionne comme une façon de pouvoir se compter «un» et de compter ses «objets, un “trait unaire”» dont Lacan donnera la définition en citant l’exemple d’une côte d’animal préhistorique exposée dans un musée sur laquelle il suppose qu’un chasseur a représenté au fil du temps son tableau de chasse, chaque trait représentant une bête tuée, qu’il s’agisse d’un mammouth, d’un lièvre ou d’un oiseau, proie réduite par un trait au- delà de son apparence sensible, accédant ainsi au registre du symbole qui ne se fonde plus sur la seule apparence mais sur une «écriture»: il s’agit d’un comptage des objets permettant à l’auteur du tableau de chasse de se compter ainsi lui-même. Ce « trait unaire » est un mécanisme  fondamental d’identification et dans le coup de foudre se présente sous les yeux d’un sujet une autre personne porteuse d’un des traits qu’il a autrefois identifié sur quelqu’un d’important pour lui, à quelque titre que ce soit, généralement durant l’enfance: un timbre de voix, une couleur de cheveux, une fossette, un trait esthétique ou une malformation. Par exemple un sujet tombe amoureux d’une femme boiteuse pour réaliser qu’autrefois sa grand-mère s’était cassé la jambe pour le protéger lors d’une chute alors qu’elle le portait dans ses bras. 

D’ AMOUR CAUSE DU DÉSIR
Enfin dans la rencontre entre êtres parlants et désirants dont l’un au moins ressent un coup de foudre pour l’autre, joue l’attrait sexuel : l’image de l’autre recouvre cet objet né dès le premier âge dans cet au-delà de la demande de la satisfaction d’un besoin comme le sein, intraduisible et irreprésentable et auquel les problématiques de la découverte des passions enfantines pour les personnes des parents également durant la prime enfance va conférer une brillance qui a un «éclat de perte ». À cette place de l’objet perdu qui cause le désir est en quelque sorte convoqué un objet de substitution incarné. 

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