Langue coupée 

Parler corse, c’est niet. Dans l’hémicycle insulaire seule la langue de Voltaire est admise. Drôle de veto teinté de juridisme exacerbé, aux accents d’injustice. À Rennes, en effet, le parlement régional utilise à loisir le breton sans que personne ne lui en fasse grief. 

Par Jean Poletti 

Vérité au-delà des monts, erreur en deçà. La formule prend ici tout son sens. Dans un scénario proche de la rancœur, l’ancien préfet Lelarge saisit le tribunal administratif pour bannir de l’Assemblée territoriale l’usage du corse. In quattru e trè sette, ce fut chose faite. L’argumentaire s’oppose à une disposition de règlement intérieur et renvoie finalement à la notion d’indivisibilité de la République et de son corollaire la langue française. 

Nous ferons grâce des attendus employés pour déférer devant les juges, dans le cadre du contrôle de légalité. Retenons toutefois que celui qui représenta l’État fait du légalisme à la petite semaine. Et certains ne peuvent s’empêcher de déceler derrière les réquisitions une attaque aux relents de rancœur. Nul n’ignore qu’en diverses circonstances, l’hôte du Palais Lantivy montra une animosité certaine à l’endroit du pouvoir nationaliste. Était-ce son rôle ? La fonction pour ne pas dire le devoir d’un préfet n’est-elle pas d’observer une neutralité, sinon réelle à tout le moins feinte ? 

Allons plus loin. Il est vrai comme il le souligne à l’envi que le Conseil constitutionnel en son temps avait retoqué l’article premier du statut Joxe qui stipulait « Le peuple corse composante du peuple français. » Pour autant la vérité commande à dire que Robert Badinter, qui siégeait dans cette institution dérogea à la règle en commentant cette décision. 

Sans doute le fit-il à la demande de François Mitterrand. En toute hypothèse, le brillant avocat sut argumenter qu’au-delà de la constitutionnalité d’un texte figure parfois une réalité politique. Qu’en termes élégants, ces choses-là furent dites, soulignant la dichotomie entre deux vérités. 

De Papeete à Rennes 

Mais le préfet, qui avait sans doute des loisirs, alla jusqu’à rechercher un arrêt du Conseil d’État datant d’environ deux décennies, relatif à l’Assemblée de la Polynésie. Et de souligner que la décision sommait cette instance délibérante d’utiliser exclusivement le français. À la trappe le tahitien, le rapa, et autre marquisien, l’austral ou le mangarévien. 

Dans une sorte de droit comparé, le procédurier affirmait que ce qui était vrai en Outre-mer, ne pouvait que l’être dans la plus proche des îles lointaines. Élémentaire mon cher Watson. 

Étrangement le requérant feignait d’oublier au passage que notre fameux Plan d’aménagement et de développement durable, qui ne date pas d’hier, fait explicitement référence au peuple corse. Et que le législateur l’approuva sans réserve ni remarque, en bannissant l’esquisse de l’ombre du veto. 

L’esprit curieux aura en corollaire beau jeu de dire et relever que du côté de la Bretagne, l’Assemblée régionale a opté depuis belle lurette l’emploi de la langue locale. Et nul de Quimper à Saint-Malo n’eut à connaître l’ire des autorités préfectorales ou étatiques. Tonnerre de Brest. Fermez le ban. À la prochaine ou comme on dit là-bas kenavo. 

Descartes réveille-toi !

Nous revoilà plongés dans les méandres d’une dualité entre l’esprit et la loi. Ou plus prosaïquement d’un flagrant contre-exemple du bon sens. Chose du monde que Descartes affirme pourtant être la chose du monde la mieux partagée. 

Certes, cette décision fut accueillie ici par une volée de bois vert et des propos stigmatisant ce défi à l’entendement, qui dénote un profond mépris culturel. Attestant par ailleurs d’une élémentaire méconnaissance de cet estru corsu, qui défie la fuite du temps. Et demeure intangible dans la société tout entière. 

Le partisan à tout crin de l’unité linguistique, dans sa forme la plus réactionnaire, pour ne pas dire surannée, se croyait-il en terre de mission jacobine ? Fut-il guidé par d’autres considérations, marquant une aversion politique des vainqueurs du suffrage universel ? N’allons pas disséquer à grand renfort de psychologie de comptoir cette ténacité, frisant la lubie d’un haut fonctionnaire qui n’eut de cesse que de boucler ce dossier. À ses yeux prioritaires entre tous, et à maints égards au détriment de bien d’autres. 

Propos partiaux reflétant l’opinion générale du Cap à Bonifacio ? Récriminations isolées et confinées à l’île ? Nullement. Il n’est qu’à écouter le propos de Fernand de Varennes pour en être édifiés. Le rapporteur spécial des Nations Unies sur les minorités ne fait pas dans l’euphémisme et la langue de bois. 

La Namibie en référence

Lors d’une intervention devant l’Assemblée de Corse il déclara notamment « Aucun pays au monde n’exige l’utilisation exclusive d’une langue dans la vie publique. » Et d’ajouter un brin caustique : « Sauf peut-être la Namibie dans les années quatre-vingt-dix. »

Voilà sentence n’émanant pas d’un corsiste patenté mais d’une personnalité qui ne doit pas arpenter nos villes et villages à longueur de temps. Son sentiment n’en est que plus éloquent. Dans un résumé explicite, on peut percevoir en creux le célèbre adage « les faits ont toujours précédé le droit ». 

Et les disciples de ce genre d’intempérances, quelles que soient leurs fonctions, devraient s’imprégner de la maxime : « Tout ce qui est excessif est insignifiant. » Parole de Talleyrand !

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