La victoire de l’exception par Vincent de Bernardi*

C’est assez rare que l’on parle de victoire ou de succès dans un pays qui accumule les défaites depuis des mois. Aux défaites sportives s’ajoutent les défaites de la pensée, les abandons de promesses, les renoncements à conduire les réformes indispensables au redressement économique. Pourtant, et c’est bien là une spécificité française, dès qu’il s’agit de culture, nous sommes capables de nous battre et de gagner, unis derrière la même cause, celle de l’exception culturelle.
Pour une fois, nous avons fait preuve de détermination dans les discussions sur l’accord de libre échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis en obtenant l’exclusion du secteur de l’audiovisuel du mandat de négociations commerciales.
En brandissant la menace d’un véto, la France soutenue par quelques uns de ses partenaires européens a tenu tête au géant américain, craignant que celui-ci, cherche à rendre caducs les quotas de diffusion sur les chaînes de télévision, les subventions ou les réglementations discriminatoires selon la nationalité des sociétés ou des capitaux.
Paris redoutait également que les Etats-Unis veuillent obtenir des règles spécifiques pour les « nouveaux services audiovisuels » (vidéo à la demande, télévision de rattrapage). Dans ce bras de fer, elle a même obtenu le soutien d’artistes prestigieux, de Costa-Gavras à Steven Spielberg.
Pression américaine
Faut-il voir dans la pression américaine, une première manifestation d’inquiétude après la prédiction de Spielberg, devant les étudiants en cinéma de l’USC School ok Cinematics Arts de Los Angeles il y quelques jours ? Avec son complice Georges Lucas, il y soulignait la prochaine implosion de l’industrie cinématographique américaine. «Il y aura une implosion le jour où trois, quatre, voire une demi-douzaine des blockbusters au budget démesuré se crasheront au box-office. Le modèle que l’on a aujourd’hui va changer.»
L’avenir du septième art, selon Lucas, réside dans la télévision et même la vidéo sur Internet. Serait-ce donc la mort du mainstream tel qu’on le connaît aujourd’hui ? Pourtant lorsque l’on sait que 85% du produit de la vente de places de cinéma dans le monde proviennent des films américains, on comprend mieux la nécessité de protéger les productions européennes.
Acquise depuis dix ans, l’exception culturelle a permis aux Etats de subventionner le théâtre ou le cinéma, d’imposer des quotas de diffusion de films ou de musique d’une langue ou d’un pays, imposer des financements à la création aux chaînes de télévisions, accorder des allégements fiscaux à ceux qui font don d’un tableau à un musée, édicter des lois et règlements pour protéger les monuments historiques ou empêcher la sortie des chefs-d’œuvre du patrimoine.
Exception culturelle
Toutes choses qu’on ne peut pas faire pour protéger ses industrie ou ses services.
Pour une fois, l’Europe a résisté aux GAFAS (Google, Apple, Facebook, Amazon et Samsung) qui militaient pour l’inclusion dans le mandat des négociations commerciales, de l’audiovisuel afin de décider librement du taux de rémunération des œuvres culturelles.
Mais est-ce véritablement une victoire ? C’était en tous les cas un préalable indispensable. Désormais, c’est un autre combat qu’il faut mener en s’attaquant à l’optimisation fiscale, pour ne pas dire l’évasion organisée par ces groupes. Selon la Fédération Française des Télécoms, ils n’ont payé que 37,5 millions d’euros d’impôts en 2011 grâce à leur ingénieux système de détournement, consistant à s’implanter dans les pays européens les moins gourmands en matière fiscale — comme Facebook en Irlande par exemple. Si leurs activités de production étaient localisées et taxées en France, ils auraient payé plus de 800 millions d’euros, soit 22 fois plus que ce qu’ils ont déboursé…
Continuer le combat

Face à un tel système, l’exception culturelle peut apparaître comme un combat bien anecdotique. Pourtant, il est essentiel à la préservation d’une identité. Et pour la Corse, la défense de sa culture est bien au cœur de ce débat.
Ne voyons pas là une attitude bêtement « anti » mais plutôt une volonté de faire vivre la diversité culturelle, d’un vieux peuple vivant sur un vieux continent qui a un idéal à partager, une vision du monde à exprimer, des talents à promouvoir. C’est vrai pour l’Europe, c’est vrai pour la Corse qui, avec son histoire, a encore tant d’histoires à raconter, à produire pour éclairer l’avenir. C’est l’avenir d’une exception.

*Ex-conseiller en cabinet ministériels
Exergue « Si les activités de production étaient localisées et taxées en France, ils auraient payé plus de huit cents millions d’euros. Soit vingt deux fois plus que ce qu’ils ont déboursé. Voilà deux chiffres qui valent mieux que longs discours. »

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