La conquête du ciel

Par Jean Poletti 

Une société forgée dans le libéralisme économique a comme corollaire la concurrence commerciale. Nul n’en disconvient. Elle s’illustre essentiellement dans des domaines propices aux bénéfices. Car jusqu’à plus ample informé les postulants aux appels d’offre ne sont pas des philantophes. 

Le dossier, qui alimente actuellement les futures liaisons aériennes entre l’île et le continent, se veut un cas d’école qui suscite l’interrogation. Nul n’ignore qu’elles sont intrinsèquement déficitaires ayant le vital besoin des subsides octroyés dans le cadre de l’enveloppe dite de continuité territoriale. Ce dispositif financier fut initié en son temps par l’ancien préfet Jean-Étienne Riolacci, permettant l’avènement sous l’égide de l’Assemblée territoriale de la Compagnie Corse Méditerranée, devenue par la suite Air Corsica. Au-delà des appellations la finalité confinant à une doctrine demeura sans turbulences notables. Depuis Philippe Ceccaldi, le premier président de l’instance, elle conserva le précepte d’établir un véritable pont aérien au service des habitants insulaires. Initialement limitées à Nice et Marseille pour concrétiser le bord à bord, les rotations quotidiennes s’amplifièrent au fil des ans avec ses deux escales. Pour ensuite s’ouvrir à d’autres destinations hexagonales ou étrangères. Àl’image du Maroc, ligne récemment inaugurée. 

Mais dans l’inconscient collectif cette structure, employant essentiellement des insulaires, paraphe une signalée réalisation qui permet entre autres de participer à la maîtrise des transports, répondant à maints égards aux besoins de la population. Ainsi évoque-t-on « les avions du médecin » pour qualifier ceux qui transportent le matin nombre de patients vers les centres hospitaliers, leur permettant de subir les examens nécessaires et de rentrer chez eux le soir. 

Enracinement insulaire

Cette facette du service public est devenue la norme tant elle est passée dans les habitudes. Mais d’aucuns ont en mémoire que cela ne fut nullement le cas sous le règne d’Air Inter, qui fusionna ensuite avec sa grande sœur Air France. 

Voilà quelque temps un puissant groupe privé déclara sa candidature. Se positionnant en concurrent éventuel. Nul ne contestera cette opportunité de ravir un marché sans conteste captif et spécifique. Au risque d’insister disons qu’il est non rentable et ne peut survivre qu’avec la manne financière étatique pour les raisons que l’on sait. Certes par le passé des compagnies à l’image par exemple d’Air Littoral tentèrent de s’imposer. Elles furent déboutées sans autre forme de procès par la commission dédiée. Qu’en sera-t-il cette fois ? Sans jouer les augures la postulante aura-t-elle la même philosophie que celle que sut enraciner une équipe vivant sur place et n’ayant d’autre ambition que de servir sa région, participant sans exclusive à son essor, tout en répondant aux souhaits d’une clientèle locale ? Bien sûr le regard des instances européennes scrutera cette bataille du ciel. Assurément la marge de manœuvre des examinateurs s’avèrera ténue. Nul doute qu’une telle confrontation à laquelle doit faire face Air Corsica entre en résonance avec la liberté d’entreprendre. 

Inquiétudes sociales

Pour autant en contrepoint de ces considérations désincarnées doivent-elles clouer au sol celles qui irriguent le terreau humain ? Celui qui ne sacrifie pas la proximité efficiente et unanimement saluée sur l’autel d’une plausible marchandisation ? 

En incidence, et sans préjuger de l’épilogue, qu’adviendra-t-il des salariés si d’aventure un nouveau venu raflait la mise ? Cette interrogation transcende la simple hypothèse d’école. Elle suscite déjà des inquiétudes larvées au sein des personnels qui pour l’heure veulent croire l’adage stipulant que le pire n’est jamais sûr. 

Il est certes prématuré de tirer des plans sur la comète. Mais seuls les fatalistes et autres inconséquents accréditeront l’idée que ceux qui auront la tâche de délivrer le fameux sésame n’ont pas une lourde responsabilité dans leur choix. Ils devront à l’évidence analyser les meilleures candidatures sans toutefois les amputer de considérations globales, parfois uniquement perceptibles en filigrane, quand elles ne sont pas étrangères au cahier des charges. Dans ce panel nul ne disconviendra que palpite l’aspect social et dans ce droit fil le risque de perte d’emplois pour des centaines de salariés. Être convaincus que les appareils décolleront fussent-ils quasiment sans passagers relève également des inconnues qui devront être levées, à l’instar de la permanence des vols d’un bout de l’année à l’autre. 

La proie et l’ombre 

Toutes ces obligations sont dûment remplies par la compagnie actuelle au point de passer pour banales. Un sentiment qui renvoie à l’implication salariale dont les mouvements de grève se comptent depuis de longues années sur les doigts d’une main. De nombreuses voix s’élèvent dans la société civile incitant à ne pas lâcher la proie pour l’ombre. Auront-ils voix au chapitre dans le verdict final ?

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