La bataille gagnée des agriculteurs

VADINA EST LA SEULE COOPÉRATIVE CÉRÉALIÈRE DE L’ÎLE. ELLE RISQUAIT DE FERMER SES PORTES. LA RAISON ÉTAIT COCASSE SI ELLE N’AVAIT PAS MIS EN DANGER LA FILIÈRE AGRICOLE. EN EFFET, LES RESPONSABLES DU DOMAINE PÉNITENCIER DE CASABIANDA, PRINCIPAL FOURNISSEUR DE LA STRUCTURE, DÉCIDÈRENT UNILATÉRALEMENT DE NE PLUS LIVRER LES CÉRÉALES. IL SE RAVISA SOUS LA PRESSION. PLAIDANT POUR UN RÈGLEMENT AMIABLE DE CE LITIGE. SANS DOUTE PEU DÉSIREUX DE VOIR S’OUVRIR UN FRONT REVENDICATIF SUPPLÉMENTAIRE.

Par Jean Poletti

Autonomie alimentaire. Réhabilitation d’un secteur malmené. Rengaine sur la consommation locale. Circuits courts. Autant de belles résolutions qui risquaient de se briser cette fois sur le mur d’une résolution administrative s’apparentant à une rupture de contrat. La coopérative implantée à Ghisonaccia ouvrit ses portes voilà soixante-cinq ans. Si son existence ne fut pas toujours un long fleuve tranquille, elle sut malgré tout faire éclore une relative réussite. Dans une sorte de Germinal sans cesse recommencé. Le bon grain s’imposa à l’ivraie. Et actuellement, elle parvenait malgré tout à commercialiser annuellement deux mille tonnes de céréales. Pas la panacée, diront certains. Sans doute. Mais cela était plus qu’un palliatif pour des éleveurs qui pouvaient se ravitailler au juste prix. Cet équilibre, sans doute précaire, qui avait l’insigne mérite d’exister, fut brutalement rompu. Les gestionnaires du centre de détention à ciel ouvert, d’une superficie de cent soixante hectares, prirent la décision unilatérale de ne plus fournir. L’argumentation? Le non règlement d’une transaction commerciale. La mesure eut été anecdotique si elle n’impactait pas lourdement le fonctionnement de Vadina dont elle était le fournisseur quasi exclusif. La coopérative innocente prisonnière économique de la conséquence d’un diktat de surveillants de geôliers ? Voilà qui ne manque pas de sel, au point d’en faire la grimace. D’aucuns évoqueront le coup de pied de l’âne, d’autres que l’affari so in francese. Plus prosaïquement, le président Philippe Ponteri et les administrateurs réunis sous l’étendard de l’urgence affirmèrent que cette fois ils menaient le combat ultime. Ils en sortirent gagnants. La copie fut revue et corrigée. Dès lors s’éloigna l’ombre portée de la fermeture de ce « garde-manger animalier ».

Le front du refus

Mettre la clé sous la porte? Joseph Colombani et la corporation ne pouvaient l’accepter. On sait le dynamisme et la pugnacité du président la Chambre d’agriculture de Haute- Corse. Aussi imaginer l’espace d’un instant qu’il rendrait les armes sans combattre serait vue de l’esprit. Lui qui a mené tant de luttes pour une profession et au-delà pour la résurgence du dynamisme rurale n’abdiqua pas en rase campagne. Ce qui se jouait à ses yeux n’était rien d’autre que la mort de la filière céréalière balbutiante. Dans ces professions que l’ont dit forgées par les individualismes, l’union se fit pourtant entre l’ensemble des acteurs afin d’aboutir à des plantations céréalières sur quelque sept mille hectares.

Une restructuration à moyen terme qui aurait annihilé la fermeture de Vadina. Rien d’utopique dans cette évolution tant cette culture peu gourmande en eau répond pleinement aux alertes sur le changement climatique qui incite à changer radicalement les méthodes de production. La Sardaigne voisine l’a d’ores et déjà intégré en plantant cent mille hectares de céréales. On l’aura compris, sans coopérative qui en est le cœur battant, une stratégie ambitieuse mais réaliste n’aurait pas pu éclore. Dès lors, nul besoin d’être grand visionnaire pour déceler que la problématique transcendait allègrement la simple existence d’une structure pour rejaillir sur la survie des propriétaires de cheptels. Et en incidence sur le concept même de ruralité.

Les germes de l’injustice

Sauf à être imperméable aux évidences et réfractaire au bon sens, pourtant chose du monde la mieux partagée, selon Descartes, tout indique que pérenniser contre vents et marées, Vadina relevait du défi sociétal. En effet, plaider pour l’autonomie alimentaire, vanter à carne corsa, déplorer la désertification de l’intérieur et se croiser les bras quand ceux qui en sont les principaux acteurs sont mis en danger par l’arbitraire, relève à tout le moins de la forfaiture. Sans dresser ici de procès d’intention, disons simplement que le foisonnement de belles déclarations médiatiques de chantres patentés se mua en

assourdissant silence dans le dossier pourtant emblématique de Vadina. Vous avez dit subterfuge ? Trêve de philippique. Oublions même que Casabianda est, ironie du sort, la propriété du ministère de la Justice, qui en l’occurrence ne versa pas dans l’équité. Mais s’inspira plutôt du fait du prince. Saint Louis sous son chêne, le retour! Revenons à l’essentiel. Le couperet s’est éloigné. Plutôt que tirer des plans sur la comète ou fustiger à l’envi les responsables d’une plausible pénurie céréalière annoncée, des solutions s’esquissaient pour parer au plus pressé. L’infatigable Joseph Colombani les concrétisa. L’une d’elles fut déjà éprouvée en son temps. Elle consistait à acheminer depuis la Bourgogne par voie fluviale. Une cargaison de mille-cinq-cents tonnes à bord d’une péniche qui descendrait la Saône puis le Rhône, pour terminer son périple sur le port de Porto-Vecchio. Pour cela, il fallait débourser quatre-cent- cinquante-mille euros. Un prix sinon modique à tout le moins qui n’a pas d’équivalent. Seule ombre au tableau, nul paiement différé n’était possible. Il fallait régler en espèces sonnantes et trébuchantes à la réception de la marchandise. Comme cela est d’usage les organismes financiers auraient accepté d’avancer la somme mais réclamaient en contrepartie des garanties. Les administrateurs de Vadina n’avaient vraisemblablement pas les fonds propres suffisants pour honorer cette contrainte.

La clé des champs Dans ce droit fil, auraient été installés en divers points

des silos où les exploitants se seraient approvisionnés. Une méthode rendant possible la livraison en vrac, moins onéreuse que celle en sacs conditionnés. Concrètement cette nouvelle chaîne de distribution eut permis à l’éleveur une économie de quelque cent euros la tonne, tout en donnant à la coopérative le moyen de faire face à ses charges fixes.

La suite de cet article est à retrouver dans Paroles de Corse #116 du mois de décembre 2022 en vente ici

Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.