Intercommunalités

L’enjeu oublié des municipales

Les joutes s’amplifient pour gagner ou conserver les écharpes de maires. Éternel recommencement. Elles se doublent du scrutin dévolu au renouvellement des conseillers communautaires qui gèreront les dix-neuf intercommunalités. Pourtant, malgré leurs missions essentielles pour la structuration et l’activité des territoires, elles s’apparentent au non-événement.

Par Jean Poletti

L’île aux trois cent soixante communes. Certaines s’apparentent au désert démographique. Un déséquilibre croissant entre littoral et intérieur. L’exode rural, la concentration de populations attirées par les lumières de la ville. Constat édifiant. Illustré par un chiffre éloquent : les régions bastiaise et ajaccienne regroupent désormais, à elles seules, plus de la moitié des habitants ! Chez nous, sans doute plus qu’ailleurs le regroupement communal s’avérait être, en théorie du moins, un salutaire palliatif à l’agonie des villages de haute solitude. D’autant qu’en incidence à la récente loi NOTRe, la création d’une collectivité unie, inhérente à la suppression des départements, confère aux intercommunalités un rôle, pour ne pas dire une mission, de gouvernance locale. Le paradoxe n’est qu’apparent. Car au-delà des imperfections, ces regroupements facilitent l’élaboration de projets partagés. La mise en sommeil de l’esprit campaniliste. Et en filigrane, l’avènement d’un pacte de solidarité dans le cadre d’une péréquation entre localités riches et pauvres. Mais pour fonctionner avec une efficacité sans faille la mutualisation doit occulter la politique politicienne à profit du strict intérêt général. Est-ce toujours le cas ? La réponse coule de source. En coulisses des maires et leaders de formations s’activent pour conquérir ou préserver les sièges de présidents. Loin du halo médiatique, presque en secret, luttes d’influence, tractations, rencontres discrètes se multiplient en marge des municipales pour accéder au titre envié de « roi » intercommunal. Rien que de plus normal, sauf à ne plus confondre ces mandats électifs avec la célèbre pièce de Labiche : Embrassons-nous, Folleville ! Et ne plus jouer comme cela est souvent le cas à « passez-moi la rhubarbe, je vous passerai le séné ». Bref nouer des alliances de circonstance et du prêté pour un rendu, qui servent uniquement la volonté de lauriers des impétrants. Et n’ont qu’une lointaine parenté avec le cahier des charges consistant à l’essor des microrégions par des projets bénéfiques à l’ensemble des citoyens.

Révolution de palais

Car ces structures, à fiscalité propres, sont nanties de larges prérogatives. Sans verser dans l’énumération exhaustive, disons qu’elles ont dans leurs escarcelles la collecte et le traitement des déchets, qui sont aujourd’hui sous les feux de l’actualité. Mais aussi l’essor économique, l’implantation de zones commerciales ou industrielles, en passant par le logement social et l’accès aux services publics. Sur leurs bureaux figurent également les dossiers urbanistiques au premier rang desquels l’élaboration des fameux schémas de cohérence territoriale applicables au Padduc.

Ces quelques digressions suffisent à rafraîchir les mémoires et camper le rôle d’envergure de ces organisations. Mais dans les rangs des actuels acteurs et responsables, tous ne disent pas que la mariée est trop belle. Tant s’en faut. Pour mener à bien ce panel d’opérations ponctuelles ou structurelles, ils revendiquent l’accroissement des espèces sonnantes et trébuchantes. Dotations de l’État et taxes locales constituent l’essentiel des budgets. Et pour certains le compte n’y est pas. Par ailleurs, des voix se font entendre pour réclamer un nouvel élan de l’intercommunalité. Comment ? En sortant de ce consensus mou qui frôle parfois la compromission. Un postulat. Le remède ? L’avènement de la clarification des responsabilités. Le moyen ? L’élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires. La méthode ? Contraindre les candidats à présenter leurs programmes et les grandes orientations qu’ils entendent privilégier sur leurs territoires. Aujourd’hui, chacun admettra aisément que tel n’est pas le cas. Ce rendez-vous, quasiment mis sous l’éteignoir par l’électeur, est une sorte de blanc-seing donné aux postulants. Tel est le sentiment perceptible aussi bien dans l’au-delà que l’en deçà des monts. Parmi les voix qui réclament sans atermoiement une nouvelle donne et un sérieux toilettage, font écho celles de Lionel Mortini, président de L’Île-Rousse-Balagne, de son homologue de Castagniccia-Casinca Antoine Poggi.

Effets pervers

D’autres ne mettent véritablement pas les pieds dans le plat, mais murmurent que cette architecture ploie sous le poids d’intérêts parfois antagonistes, ou de réalisations qui en épilogue rejaillissent exclusivement sur la commune de celui qui a également la casquette de « patron » de l’interco. Autre grief, en incidence, la création de chaque entité doit théoriquement recenser au moins compter quinze mille résidents, avec une dérogation à cinq mille pour la Corse, classée à juste titre territoire montagneux. Malgré cette souplesse administrative, le découpage aboutit parfois à des situations ubuesques. Ainsi des villages excentrés sont jumelés avec des lieux du bord de mer qui accaparent une large partie des moyens financiers, laissant au rural les miettes du festin. Ici la part du lion, là celle du pauvre. Comment en effet concilier les besoins d’une petite mairie qui se bat pour sa survie et celle bordée de sable fin, en pleine expansion, qui pioche allègrement dans le porte-monnaie collectif. D’où l’expression d’un édile dépité :U techju ùn crede u famidu.

L’objectivité commande à dire et souligner que malgré toutes ces imperfections et les éventuels détournements d’objectifs, ces alliances communales ont le mérite d’exister. Quel serait sans elles le visage de notre île ? Quelques pôles plus ou moins nantis, et en corollaire un panel de petits villages désertés, n’ayant aucune latitude pour engager des investissements, aussi modestes soient-ils, faute de trésorerie. Pour autant faut-il s’exonérer de tout examen en guise de rapport d’étape ? Non pour critiquer et dénigrer, mais afin d’améliorer ce qui doit l’être et conférer à ces outils voulus par le législateur une philosophie plus équitable. Et pour tout dire privilégiant l’égalitarisme.

Polémiques et blocages

C’est à l’évidence ce que pensent certains maires, qui jusqu’alors ne rêvaient pas chaque matin en se rasant à prendre les rênes intercommunales. Ils ont depuis revu leur jugement. Telle est, parmi d’autres, la position de Jean-Charles Orsucci. Lui qui jurait main sur le cœur ne vouloir s’occuper que de sa bonne ville de Bonifacio s’autorise désormais à lorgner aussi vers le fauteuil de Sud-Corse. Au-delà de ces révoltes qui s’esquissent de manière feutrée ou explicites, une constante demeure. Elle tient en peu de mots. Loin de flétrir l’existence du principe d’intercommunalité, ce sont les incohérences liées au seuil de population requis et en filigrane les plausibles détournements d’objectifs qui sont sur la sellette. Tout comme la ligne de démarcation des compétences. Elles sont, faut-il le rappeler au nom de l’évidence, parfois source de polémique. Comme l’opposition qui se fit jour entre Gilles Simeoni président de l’exécutif territorial et Laurent Marcangeli leader de la Communauté du Pays ajaccien s’agissant de la gestion des logements sociaux.

Pis encore, les limites de l’entente cordiale furent illustrées par les turbulences qui n’en finissent plus de paralyser la Communauté d’agglomération bastiaise. La situation est inédite et fait en sorte jurisprudence. Le président, qui faisait partie de la coalition anti- zuccarelliste, fut élu, on le sait dans la foulée de la victoire de Gilles Simeoni à la mairie de Bastia. Mais quelques mois plus tard, François Tatti et son mouvement ne jouent plus dans la cour de l’union sacrée. Ils se retrouvent marginalisés par la ville de Bastia et ses alliés communautaires. Les réunions, dans une sorte d’inlassables répétitions, se fourvoient dans l’antagonisme et l’invective. L’institution s’en trouve amputée de cette sérénité, indispensable pour matérialiser actions et projets. Tentatives d’évictions et d’OPA s’avérèrent vaines, eu égard notamment aux statuts qui ne peuvent contraindre un président, fut-il désavoué, à être remplacé.

Silence on tourne

Là aussi, tandis que le maire sortant et la dizaine de challengers rechignent consciemment à évoquer le problème, chacun fourbit ses armes. Car sauf à être un éternel béotien, le principe de réalité conduit à dire que la CAB est un atout maître dans la gestion actuelle et future de la ville. Évoquer cette situation, que les candidats s’évertuent à passer sous silence, équivaut à révéler un secret de polichinelle. Et nul besoin d’être grand clerc ou augure de circonstance pour imaginer que Pierre Savelli, si le verdict des urnes tourne à son avantage, veillera à maîtriser personnellement, ou par le truchement d’un édile de sa mouvance, cette institution.

Ce simple tour d’horizon, qui ne fait qu’effleurer l’exhaustivité, remet toutefois en perspective le rôle et les potentialités des intercommunalités. Elles ont vocation à structurer l’espace et optimiser l’activité. La réforme de la loi les fit passer de vingt-sept auparavant à dix-neuf actuellement. Une réduction qui se voulait gage d’efficience accrue, mais qui laisse en maints endroits l’amer goût de décisions bureaucratiques. Peu ou pas en symbiose avec la réalité géographique et les frontières naturelles d’une piève à l’autre. Quoi qu’il en soit, et selon l’adage le mieux est l’ennemi du bien, l’opération union pour le meilleur fit son bonhomme de chemin. Désormais, elle est entrée dans les faits et devient avec la mutation générale de l’organisation insulaire l’échelon de proximité. Celui qui permet d’allier pragmatisme et gestion.

Evviva u mere !

Entonner avec le chœur des pleureuses que tout est négatif relève de la mauvaise foi. À l’inverse jouer la symphonie de l’éclatante réussite s’avère tout autant exagéré. Mais au risque d’insister disons qu’à l’évidence ces jugements et propos sont circonscrits dans un cercle restreint. L’opinion publique, la société civile et le citoyen s’en moquent comme d’une guigne. Dans les cafés et autres derniers salons où l’on cause, les discussions se limitent aux seules supputations municipales. Oublié le vote des intercommunalités. En jachère ces dispositions qui pourtant sont tournées vers la modernité. Dans une sorte de constance électorale, dont nous avons le secret, l’attention est strictement rivée sur A Casa Cumuna, et nulle part ailleurs. Evviva u mere, seul slogan qui vaille. Au détriment des scrutins jumelés, et leurs bulletins glissés dans les enveloppes de l’indifférence. Dommage ? Sans doute. Insolite ? Peut-être. Illogique ? Assurément.

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