GUERRE CULTURELLE : LE WOKISME

Le mot woke désigne à l’origine l’attitude d’«éveil» des Afro-Américains victimes de stigmatisation sociale et politique. De nos jours, il se réfère à des « guerres culturelles » au niveau de ces « foyers de savoir-pouvoir » que sont les facultés de sciences humaines et les médias, entre des « maîtres » de la politique et de l’économie qui veulent définir des normes et tous ceux que ces normes excluent, chaque discours régressant dans une surenchère de nature idéologique.

Par Charles Marcellesi, médecin 

RACISME, ÉCONOMIE, SEXUATION

La théorisation du racisme, de la notion de races et de leur hiérarchie supposée, qui ôte à certains individus à peau noire toute dignité de sujet, est venue de la pratique esclavagiste et de la traite négrière, après que le modèle mis en œuvre dans les plantations à sucre de Sao Tomé au large de l’Afrique ait été exporté de l’autre côté de l’Atlantique au Brésil et dans les Caraïbes, puis adapté à l’industrie cotonnière des USA. Le nazisme va promouvoir le « racisme contre l’ennemi de l’intérieur », appelé par Foucault « biosécuritaire », dans la visée d’unir une population dans un ensemble « d’identité nationale » contre des exclus et indésirables divers, mêlant dans la terrible expérience des camps de concentration, opposants politiques, personnes d’origine juive ou minorités comme les tziganes, homosexuels et malades mentaux. Les tensions survenues dans le système capitaliste, dans le double contexte de la mondialisation et de la décolonisation, vont s’exprimer dans un antagonisme entre marchés des capitaux et marché du travail qui n’est pas sans effet sur la perception de la différence sexuée du fait d’une interférence entre économie réelle et économie psychique : ainsi selon Hervé Delfavard dans son essai Les non-dits du marché, la construction d’un ordre masculin patriarcal et guerrier avait soumis de longue date le corps et la liberté des femmes à la volonté d’un père ou d’un mari, soit l’inscription dans une logique symbolique et phallique, pour que l’ensemble des hommes fasse Un. Ensemble qui logiquement ne pouvait se constituer qu’avec une exception qui prendra dans la civilisation, avant celle du patriarche ou du mari, les formes les plus anciennes du père totémique puis du « Dieu le Père » des religions monothéistes. 

TRUMP ET LES ÉVANGÉLISTES

Ce type de pouvoir connaît actuellement politiquement un renouveau aux USA avec Trump et les influentes églises évangéliques, relayées par la Cour Suprême à la main du Parti Républicain et sa modification récente de la loi sur l’avortement. Ce marché des capitaux ne relève plus d’une logique symbolique, mais d’une logique numérique ou « informationnelle », désubjectivante, « où chacun fait 1+1+1 dans une recherche du profit sans autre limite que le réel de la science », ici celle des outils informatiques.

Le côté féminin a bénéficié lors de la mondialisation des effets de la décolonisation et de la liberté du commerce, avec d’un point de vue géopolitique, l’émergence économique d’anciens pays colonisés notamment en Asie orientale, et d’un point de vue sociétal, dans les pays occidentaux, l’émancipation des femmes accédant de façon plus ou moins égalitaire au marché du travail et au droit à l’avortement. 

Ce marché du travail obéit à une logique qui n’est « pas toute phallique », mais qui reste symbolique, c’est-à-dire en compatibilité avec une humanité dans le lien social tolérant la différence et organisé par les lois du langage, qui est donc celle d’une totalité ouverte où chacun est à la fois avec et en concurrence avec tous les autres…

GUERRE CULTURELLE

Mais différentes crises, celle sanitaire de la Covid-19, celle de la fin du recours aux énergies fossiles (autre que l’uranium), celle migratoire et les guerres régionales, ont cristallisé ces antagonismes en les coulant dans le moule d’une guerre culturelle très idéologique (La Panique woke d’Alex Mahoudeau) qui se donnait cours depuis des décennies dans ces deux foyers de « savoir-pouvoir », selon la terminologie de Foucault, que sont les universités de Lettres et de sciences humaines d’une part, les médias d’autre part, entre d’un côté les tenants d’un ordre conservateur, d’obédience masculine au plan politique et économique et se réclamant de la préservation d’une « identité », et d’un autre côté ceux que l’on veut exclure de façon « biosécuritaire », à savoir féministes, « LGBT et + », révoltés sociaux comme les « gilets jaunes », différents sujets touchés par les crises migratoires. 

Tout cela accompagne un infléchissement du discours à l’Université et dans les médias : invocation du « neutre », comme chez Roland Barthes ou les théoriciens du « genre », pour abolir la différence réputée oppressive et « binaire » connotée par des termes langagiers venus de l’anatomie phallique et de sa symbolique des armes, ou encore le « patriarcat », l’évolution des pratiques de la conception et de la parentalité, l’instauration de tribunaux médiatiques des « infractions » sexuelles imputées à telle personnalité.

 Chaque camp pousse l’autre dans une surenchère idéologique et plutôt régressive aboutissant non seulement à une hystérisation généralisée du discours, mais finalement de façon inattendue à une entreprise de re-nomination des phénomènes sociétaux et économiques pour les réduire à un impératif de consommation et de production exponentielles.

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