Après le succès de Mafiosa, Pierre Leccia revient en force sur CANAL+ à partir du 26 mai avec une nouvelle création originale : Plaine orientale, co-écrite avec Aurélie Teisseire, et produite par Nicole Collet pour Image & Compagnie/Mediawan. Ancré dans une Corse contemporaine en crise, ce récit qui nous plonge au cœur de la mafia insulaire, donne vie à des personnages blessés, porteurs d’une mémoire collective fracturée, où le crime sert de toile de fond à une quête de sens, de justice… et de réconciliation. Il ne s’agit plus ici seulement de grand banditisme, mais d’un affrontement symbolique entre héritage, identité et loyauté.
Par Karine Casalta

Un polar, oui, mais pas que
Plaine orientale ne se contente pas de recycler les codes du polar mafieux. Elle les transcende. Au centre de l’intrigue : l’alliance improbable entre Reda, ancien détenu, et Inès, sa demi-sœur magistrate, pour tenter de faire tomber César Carlotti, un parrain froid et impitoyable. Mais là où d’autres thrillers misent sur la violence gratuite, Pierre Leccia s’engage avec Plaine orientale dans une démarche plus profonde, explorant les liens complexes qui lient les personnages. Deux personnalités que tout oppose, deux communautés qui se percutent, c’était un bon moyen d’aller plus loin.
Le dilemme identitaire, la puissance des liens du sang, deviennent ainsi le socle du personnage Reda incarné par Raphaël Acloque, un personnage à la fois tendre et tragique, complexe et bouleversant.
Une tragédie contemporaine
Dans une scène centrale, Inès demande à Reda : « Tu es plus corse ou plus arabe ? » Il répond : « Je suis trop arabe pour les Corses, trop corse pour les Arabes. » Une phrase qui cristallise toute la complexité du personnage – et de son interprète.
« Ce n’est pas un voyou ordinaire. Il est un homme brisé, tiraillé entre deux héritages. C’était un bon moyen d’aller plus loin en parlant de ce personnage qui étant à cheval sur deux communautés se retrouve rejeté par l’une et par l’autre pour des raisons identiques : trop arabe pour les Corses, trop corse pour les Arabes, pas assez pour chacun… C’est toujours intéressant un personnage qui a du mal à trouver sa place »,expose Pierre Leccia. « C’était déjà un peu ça dans Mafiosa d’ailleurs, l’histoire d’une femme qui avait du mal à trouver sa place dans cette famille. Et la particularité de Reda c’est qu’il a du mal à trouver sa place au sein de deux familles. Donc comme il a du mal à trouver sa place, il va devoir se la faire… »
C’est précisément ce qui a séduit Raphaël Acloque :« Reda n’est pas un méchant. C’est un gentil qui a mal tourné, par accident, motivé par des décisions assez justes de son point de vue. Quand j’ai demandé à Pierre comment il voyait ce personnage, il m’a parlé de Spartacus, et ça a ouvert mille portes pour moi en me donnant accès à tout son imaginaire : il va se ranger du côté des plus faibles et il va partir dans cette quête, dans cette mission, pour essayer de ramener de l’équilibre. »
Reda, un Spartacus moderne
Et Pierre de préciser :« Reda agit pour les autres. Il combat une injustice qui l’a dépassé. Et comme tout héros tragique, pour réparer, il est amené à commettre d’autres injustices. C’est une espèce de fuite en avant et c’est là que le personnage est intéressant. »
« Ce n’est pas un type intéressé par le pouvoir ou l’argent. Il agit pour réparer deux choses : l’injustice faite à son père, et la violence qui gangrène son entourage. Il devient violent parce que les circonstances le poussent à l’être. » analyse Raphaël.
Pierre Leccia appuie :« Je ne voulais pas qu’on voie d’emblée la violence chez lui. Il fallait qu’on s’attache. Reda est intelligent, empathique, déterminé. C’est un personnage tragique ! »
Le réalisateur et l’interprète nous livrent effectivement tous deux une œuvre brute, tendue, profondément habitée, qui résonne autant avec leur parcours professionnel qu’avec leur identité personnelle.
Pierre Leccia, l’architecte des marges
Originaire de Haute-Corse, Pierre Leccia a toujours été fasciné par les failles humaines et les zones grises de la société corse. Cette série est une manière de témoigner, sans complaisance. « La Corse va mal, confie-t-il, alors autant en faire une série plutôt qu’en parler à un psy. »C’est ainsi qu’il dévoile une île fracturée et complexe. Mais l’auteur se défend de toute généralisation : « Je n’ai pas la prétention de parler des Corses, je parle des Corses qui prennent ces chemins de traverse, des Corses marginaux. La Corse, ce n’est pas ni Mafiosa ni Plaine orientale, mais c’est aussi malheureusement ça, et c’est ça qui prend plus de place que le reste finalement, parce que c’est de ça dont on parle beaucoup. Alors évidemment, je connais assez bien les gens dont je parle, mais je les observe comme un anthropologue. Je n’ai pas de fascination, car je sais à quel point tout cela est destructeur, négatif, il n’en sort que des larmes et du sang ! »

Un personnage à contre-courant
Une violence à l’opposé du personnage de Reda. « Reda, c’est un mec que j’aimerais bien connaître. Il peut franchir une ligne, mais ce n’est pas ce qui le définit. Il a des motivations qui ne sont pas du tout personnelles et effectivement comme c’est un type qui est seul et qui n’est pas puissant, il doit faire preuve de beaucoup plus de stratégie que les autres. » Ainsi le choix de Raphaël Acloque pour incarner Reda n’est pas anodin. Pierre Leccia a immédiatement été séduit par ce qui émane de l’acteur « Il ne dégage pas de violence, mais de la détermination, de l’intelligence et de l’empathie, qui permet de s’attacher au personnage. Une série, ce sont des personnages qu’on a envie de retrouver. Et Reda est de ceux-là ! »
De l’empathie, Raphaël en a aussi pour son rôle. Pour lui, Reda n’est pas défini par ses erreurs passées, mais par sa volonté de réparer, sans haine ni ambition de pouvoir. « C’était important pour moi qu’on ne le voit pas comme un voyou, insiste Raphaël, mais comme un homme brisé, qui a commis une erreur dix ans plus tôt et qui fait ce qu’il peut avec ce qu’il a. Il devient un voyou parce que les circonstances l’y poussent ! Ce qui m’a séduit chez lui, c’est qu’il garde son jeu d’échecs en sortant de prison. Il aurait pu garder mille autres choses mais il garde son jeu d’échecs ! C’est un détail, mais pour moi, ça dit tout. Il est extrêmement intelligent. Il a appris à avoir un coup d’avance sur les autres parce que c’est sa seule façon de survivre, notamment parce qu’il est à cheval entre deux communautés. Pour le coup, c’est quelque chose qui résonne en moi ! »
Raphaël Acloque, un acteur entre deux rives
Fils d’un père corse et d’une mère algérienne, Raphaël a grandi à Paris. La Corse, il y venait avec son père, retrouvait sa grand-mère, ses racines, deux ou trois mois par an, quelques semaines à Bastia, puis au village en famille. Comme Reda, il porte en lui deux cultures.
« Quand on m’a dit que Reda avait une mère algérienne et un père corse, j’ai dit à mon agent : “Ce n’est pas possible que je n’aie pas ce rôle !” Je ne sais pas comment je pourrais vivre qu’on ne me le donne pas, tellement de choses faisaient écho ! Ce tiraillement – trop arabe pour les Corses, trop corse pour les Arabes – je l’ai vécu. Quand j’ai commencé à être acteur jamais je me serais dit qu’un jour on m’offrirait un rôle qui a exactement ce même métissage que moi ! Parce que c’est déjà un métissage qui est assez rare pour ma génération, c’est un métissage qui est aussi très déroutant pour les gens. Chez les Corses comme chez les Algériens, cet héritage est fort, et on le porte avec soi au quotidien. Ça fait tellement partie de moi que c’était impossible de ne pas omettre tout ça dès la première lecture du scénario. C’est très marrant parce que je suis un peu un paradoxe vivant : j’ai passé ma vie à essayer de ne pas être essentialisé tout en me rapprochant de mes racines. J’ai eu beaucoup de chance de pouvoir passer du temps avec mes deux grands-mères qui ont largement favorisé mon accès à cet héritage ! Mais comme je le dis souvent, on ne peut pas être 50-50 sinon on sera toujours un peu vide dans la vie. Ce qui est intéressant avec le métissage, c’est que j’ai eu l’occasion de rencontrer des gens métissés qui ont décidé de ne pas du tout avoir de contacts ou d’attaches avec leurs racines parce que c’était plus simple. Et puis j’ai rencontré des gens, qui comme moi ont finalement réussi à être et 100% l’un et 100% l’autre. Il n’y a que comme ça qu’on peut vraiment le vivre. Ainsi je suis corse quand je suis en Corse, je suis algérien quand je suis en Algérie et le reste du temps je suis parisien, le fils de mon père et de ma mère et tout ça à la fois et je l’espère aussi plus que la somme de toutes ces choses ! »
Un duo frère-sœur improbable mais essentiel
Une complexion qui nourrit sans nul doute la subtilité de son interprétation. « Reda, c’est un ascenseur émotionnel, il passe par toutes les émotions, il passe par des moments de joie, de colère, de frustration, de haine… »,raconte Raphaël, qui définit la série « comme une histoire d’amour entre un frère et une sœur, comme une histoire de famille, une quête d’identité. » Lors du casting, son duo avec Lina El Arabi, qui joue Inès, la sœur magistrate, a immédiatement fonctionné. Leur alchimie donne au récit une réelle profondeur à l’expression de ce lien du sang qui les lie. Une relation entre Reda et Inès, marquée aussi par les oppositions. Une magistrate et un voyou, et deux visions de la justice. « Quand on écrit des scénarios, on cherche les crises », explique Pierre Leccia. « Si Reda s’allie avec un voyou, c’est attendu. Mais avec une sœur magistrate qu’il ne connaît pas, c’est une alliance improbable. C’est là que ça devient intéressant. » Et de rajouter : « Quand je les ai vus en essai avec Lina, j’ai su tout de suite que ça matchait. Ils avaient des automatismes, c’était vivant. J’avais l’impression qu’ils ressemblaient à leurs personnages : intelligents, charismatiques, prêts à prendre des risques… » Raphaël Acloque confirme : « C’est une quête de justice, mais ils n’utilisent pas les mêmes outils. Reda ne met pas de morale dans son action, alors qu’Inès, par sa fonction, ne peut faire autrement. »
Autour des deux acteurs, Pierre Leccia s’est entouré aussi d’une forte présence d’acteurs corses, qui ont su incarner avec justesse toute la complexité de cette histoire. On retrouve notamment Éric Fraticelli qui campe César Carlotti, en parrain glaçant, froid, psychopathe calculateur, mais aussi Aurélien Gabrielli, Cédric Appietto, Véronique Volta, ou encore la jeune Emiliana Graziani. Et pour compléter ce casting Veerle Baetens dans le rôle de la juge Eva Maertens, Antonia Desplat, Henry-Noël Tabary, mais aussi Julie Ledru, Rachid Guellaz et Adel Bencherif, tous plus formidables les uns que les autres.
À travers Plaine orientale, tous livrent bien plus qu’un polar corse. Ils tissent le portrait d’une île écartelée, d’une famille en rupture, et d’un homme en quête de paix intérieure. Et déjà, alors que la première page de cette tragédie moderne n’est pas encore refermée, on est impatient de retrouver Reda, Inès, et tous les acteurs de cette Plaine orientale. On espère vivement la suite !
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