Edito – Octobre 2013

Le sang des justes

Le temps polit les évènements. La mémoire devient sélective. L’exaltation, au parfum d’épopée, trie entre ombre et lumière le halo de l’histoire.  Les intenses cérémonies de la  libération de la Corse   n’échappèrent  nullement au prisme, nécessairement déformant, qui distinguent le réel et  sa perception.

Ainsi, un mois durant,  les héros furent  célébrés, leur action  magnifiée. Sacrifices suprêmes, engagement sans faille. Honneur,  liberté. Pourtant, dans ce concert de louanges, fut partiellement occultée l’âme de ces combattants de l’ombre.  Dans le feu de l’action, ils voulaient  déjà que la fin de l’occupation   fut l’avènement d’un socle politique.  Bâti d’humanisme et pétri de progrès partagé.  L’avenir ?couché noir sur blanc par le Conseil national de la résistance.

Le programme visionnaire prônait  l’instauration de la Sécurité sociale, les nationalisations, la liberté de presse,  un syndicalisme indépendant, les comités d’entreprises,  l’éviction des féodalités économiques et financières. La primauté de l’intérêt général. L’Etat de droit.  Une révolution, traçant des  sillons d’équité,  qui trouva  chez nous  de fervents partisans.

Dans nos maquis,  entre deux opérations,  ces êtres vêtus de  courageuse dignité œuvraient  à d’autres  lendemains pour notre île.  « Je meurs pour la Corse et mon parti », écrivit  un martyr. Voilà soixante dix ans, il était  la voix  d’un particularisme assumé et d’un engagement altruiste.

L’alliance que scellèrent  les courants gaullistes, socialistes et communistes  renvoyait au triptyque  liberté égalité fraternité qui fonde la  société.  Davantage  qu’un repère  ce pacte  de solidarité citoyenne  prend   aujourd’hui chez nous rang de message.

Notre île fracturée, qui ne cesse  panser ses blessures, enveloppée de suaire et en  proie aux   dérives, devrait méditer  les préceptes  voulus par les hôtes des maquis.

En ces temps de campagne électorale, tels  seraient bien inspirés de  relire cette doctrine, plutôt que de verser dans les quolibets, jouer les marchands d’illusions. Ou les hommes providentiels.

Ici, plus qu’ailleurs un héritage  nous oblige.  Face à la déliquescence de notre société, en  proie aux individualismes, des  voix  d’outre- tombent, semblent lui dire qu’elle fait fausse route.  Nicoli,  Scamaroni, Giusti, Mondoloni, Giovoni, Casanova  et tant  d’autres  délivrent  une recommandation posthume.  Déposer des gerbes, se souvenir est nécessaire mais nullement  suffisant. Il faut aussi et peut-être surtout entendre ce qu’ils accomplirent de noble et de beau au nom des générations  futures.  Qu’avons-nous fait de ce  legs,   écrit en lettres du sang des justes ?

La mémoire  ne doit nullement être figée. Elle doit  irriguer le présent. Notre ile danse une  maléfique sarabande, elle s’approche du point de non retour.  Le pire n’est pas sûr, il est cependant à craindre.  A l’heure où certains leaders nationaux   tentent de détricoter le pacte social  en créant de fâcheux amalgames, a des fins bassement électoralistes.  Tandis,  qu’ici et là,  on  veut assimiler  le rose et le brun, écoutons   l’illustre résistant  Stephan Hessel s’indigner et  nous  rappeler que créer c’est résister et résister c’est créer.

                                        Jean  Poletti

 

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