Edito – Mai 2016

Danse sur un volcan

Par Jean Poletti

Inutile de remonter aux calendes grecques. Depuis une trentaine d’années la Corse est en quête d’un autre destin. Les différents statuts ne furent que la concrétisation partielle de cet horizon, accessible pour certains, illusoires pour d’autres.  Dans une sorte de sempiternel recommencement, ici comme à Paris, l’avenir d’une ile suscite des clivages majeurs entre progressistes et conservateurs. L’antinomie de Rocard et Valls, renvoie aux antagonismes qu’illustrèrent  chez nous Emile Zuccarelli et  Laurent Croce. Certains aujourd’hui feignent de découvrir ce grand débat, qui agite pourtant le landerneau politique insulaire depuis longtemps. Au point d’avoir fracturé les lignes de démarcation entre la  gauche et la droite.  Le libéral José Rossi ne fut-il pas le rapporteur  du statut Joxe, tandis que le radical Nicolas Alfonsi le pourfendait ?  Chez les bonapartistes, le sénateur Charles Ornano  ne  ferrailla-t-il pas contre toute idée de particularisme, alors que son neveu, ancien maire d’Ajaccio, se trouvait dans  l’autre camp ?

A ces antagonismes des forces cla          ssiques, s’ajoutèrent les  stratégies nationalistes de l’époque. Avec en point d’orgue une déclaration du Flnc : « Il n’y aura pas de troisième voie ».      De la parole aux actes, une centaine d’attentats ponctua la nuit bleue précédant l’installation de la première Assemblée de Corse. Et le quotidien Libération,  jamais avare  d’un  bon mot,  titra  Prosper youp la boum ! En référence au prénom de celui qui devint le premier président de la nouvelle  institution.

Faut- rappeler   la sentence de Giscard, « Il n’y a pas de problème corse, il y a des problèmes en Corse » ? Répéter l’ignominie d’un  Poniatowski, alors ministre de l’intérieur, affublant une communauté d’un chromosome du crime ?

Convient-il de souligner que François Mitterrand, père des deux statuts n’obtint jamais la majorité dans l’ile. Et que Lionel Jospin, qui avait promis dans son programme présidentiel l’autonomie, termina chez nous bon troisième derrière Chirac et Le Pen ?

On nous dit que la fuite du temps a poli les aspérités. Que désormais du Cap à Bonifacio s’édifie une Corse apaisée  pétrie de particularisme.  Sans doute cela est-il  d’une aveuglante clarté dans les salons ou l’on cause. Mais au sein de la population prévaut  souvent l’indifférence, le stoïcisme.  Ou le sentiment que ces débats mettent sous le boisseau des préoccupations quotidiennes, conjuguant  logement, précarité et emploi.

Tout est lié. La Corse danse sur une poudrière. La crise économique majeure que traverse l’ile modèle les réactions individuelles et collectives de la société. Elle aspire légitimement à la fin de cette spirale de la précarité, reléguant de fait au second plan les concepts institutionnels, par essence et définition immatériels. Et qui plus prosaïquement ne font pas bouillir la marmite.

Assiste-t-on à une nouvelle fracture entre  élus et citoyens ?  Cela doit interpeller la gauche, la droite, si elles veulent revenir aux responsabilités. Et dans une moindre mesure les nationalistes. Car désormais eux aussi sont depuis peu  à  l’épreuve des faits. Ils doivent impérativement oublier leur  fonction tribunicienne au profit de résultats patents.     Dans une ile  qui possède tant d’atouts, accepter qu’une personne sur cinq  vive sous le seuil de la misère impliquera  à brève échéance la révolte d’une majorité silencieuse. La désespérance, ici comme ailleurs, peut  rapidement prendre une couleur  bleu marine.

La Corse  n’en a pas fini avec sa longue marche.

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