Dessiner pour ne pas oublier

La bande dessinée sert de support à l’histoire. C’est le principe du concours académique « Bulles de mémoire ». En 2022, ce sont les élèves du collège de Moltifao qui ont été distingués à l’échelon régional. Auparavant, ils ont planché sur la jeunesse dans la guerre.

Par véronique Emmanuelli

À l’initiative de leurs professeurs, les élèves de troisième du collège de Moltifao ont participé à l’édition 2021-2022 du concours « Bulles de mémoire » organisé chaque année par l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) en partenariat avec le musée de l’Ordre de la Libération et avec le soutien de l’Œuvre Nationale du Bleuet de France et du ministère de l’Éducation nationale. Ils se sont emparés du projet de manière très créative et engagée. Ils ont laissé leur imagination et leur sensibilité s’exprimer tout en prenant appui sur de solides références. La méthode de travail a fonctionné et leurs propositions ont été distinguées. Ainsi, le premier prix régional de l’édition 2021/2022 de « Bulles de mémoire » a récompensé les travaux de Cleya Broutin, Zahra Gherraert, Angelina Poletti et Lyna Marie, en classe de troisième au collège de Moltifao. Le jury a également attribué le second prix régional en individuel à Lilia Lopes. Deux autres groupes de collégiens constitués respectivement par Léa Bec, Pierre-Jean Garelli, Guillaume Piggioni, Alessandro Reis, Lili Sanchis puis par Carla Maria Bardon, Louise Carmona, Maria Santa Carta, Chiara Eck, rafleront chacun un prix de la participation. 

Arts plastiques

Le jury a été séduit par la diversité des thématiques traitées, la qualité graphique des productions, la richesse des dialogues et au-delà, l’originalité de l’œuvre. « Cette action éducative invite les élèves à réfléchir sur l’héritage pour la société d’aujourd’hui des grands conflits du xxe siècle tels que les guerres mondiales, conflits liés à la décolonisation, et aux opérations extérieures. Ainsi, les participants doivent créer intégralement une bande dessinée dont le thème se rapporte aux souvenirs de combattants et victimes ordinaires et anonymes », résume Jean-Étienne Cardi, principal de l’établissement. La majorité d’entre eux sont en dernière année de collège, « pour une raison toute naturelle. « Bulles de mémoire » a trait à la Seconde Guerre mondiale qui figure au programme d’histoire en troisième. Il s’agit d’une approche pluridisciplinaire qui va faire appel aux arts plastiques. Dans les classes, des petits groupes de travail vont se constituer », complète-t-il. 

Mais d’autres possibles sont ouverts, car, la notion de plaisir est présente. Et, dès lors, les bonnes volontés individuelles permettent de contourner cet esprit de classe. « Des élèves d’autres niveaux ont voulu rejoindre la démarche. Parce que le sujet les intéressait, ainsi que la manière de l’aborder. À travers ce concours, nous changeons un petit peu du contexte habituel du cours. Cela dit, nos élèves ont l’habitude d’utiliser les nouvelles technologies, fonctionner par groupe très hétérogènes dans lesquels se côtoient des élèves qui ont 18 ou 10 de moyenne générale. Ils avancent ensemble, s’entraident », poursuit le principal. 

La formule favorise les synergies pédagogiques. Très souvent, Silviu Guidoni professeur d’arts plastiques et Dominique Aiello professeur d’histoire se retrouvent ensemble devant les élèves. L’un se concentre sur la mise en image et la façon de faire vivre le récit à coups de crayon, l’autre met en avant les faits historiques. Lors des séances, on parle beaucoup de Résistance, de courage, de fraternité. Peu à peu, les planches, l’équivalent d’une page d’un album, prennent forme. Elles mettent en scène de jeunes héros pris dans la tourmente. Le parti pris narratif est conforme à la thématique de l’édition 2021/2022 ; « La jeunesse face à la guerre ». 

Les organisateurs du concours ont fourni les premières pistes de réflexion. « Les candidats peuvent construire leur histoire, en faisant référence, par exemple, aux jeunes engagés volontairement ou par la contrainte dans un conflit armé ; aux jeunes victimes de déplacements de population, d’isolement, de violences, de déportation, d’extermination en raison de conflits armés », indique-t-on. Parmi les autres sources d’inspiration proposées figurent « les jeunes victimes de traumatismes en lien avec un conflit armé, un acte terroriste, les orphelins de guerre, les pupilles de la nation.

Actualité

Les jeunes influencés dans leur développement par une culture de guerre qu’elle soit médiatique ou bien familiale, peuvent servir de déclencheur ». Les collégiens, s’ils le souhaitent, sont invités à se focaliser « sur un événement, une rencontre, un sentiment ou encore un traumatisme. À partir de là, les participants sont libres de réaliser l’histoire de leur choix. Le sens du concours n’est pas tant de dessiner la guerre que de dessiner à propos de la guerre et de ses conséquences. Par le biais d’un support original et populaire qu’est la bande dessinée, ce concours s’attache à valoriser l’histoire racontée, celle d’une réflexion de combattant, victime ou témoin de la guerre », détaillent les concepteurs de « Bulles de Mémoire ».

À Moltifao, les adolescents feront le choix de raconter la grande histoire à travers, entre autres, un jeune orphelin dont le père est mort au combat, un défenseur des opprimés. « Ils ont d’abord étudié la thématique qui leur était proposée, ensuite ils ont travaillé sur leur personnage et sur le contexte dans lequel il devait évoluer puis ils sont passés à la réalisation graphique », reprend le chef d’établissement. Au passage, ils ont pris en compte l’actualité du moment et notamment le conflit en Ukraine. « Ils se sont montrés très sensibles à ces événements qu’ils suivent à la télévision, sur les réseaux sociaux. Ils voient comment ça se passe »,remarque-t-on.

Les bédéistes pour la bonne cause de la mémoire évolue au rythme de documentaires et de films visionnés avec leurs enseignants tels que La liste de Schindler. « Ce qui leur a permis de mettre des images sur des faits qui se sont déroulés il y a plus de soixante-dix ans », relève-t-on. Pour autant, ils ont souvent tendance à penser global en dehors d’une temporalité bien précise. « Dans leur idée, il s’agit d’une population qui résiste face à l’envahisseur qui n’est autre qu’un pays plus puissant. Ils convoquent à la fois leurs livres d’histoire et des faits très actuels », remarque le chef d’établissement. Comme s’ils avaient une responsabilité envers le passé et le présent. 

Tempi fà

Les adolescents, comme tous les autres candidats ont accès, en ligne, à douze fiches pédagogiques depuis le site de l’ONACVG et la page Facebook du concours. La ressource renvoie aussi bien aux grands conflits du xxe siècle qu’au mode de production d’une bande dessinée. Dans le même temps, ils peuvent encore compter sur l’appui de l’association locale, « Tempi Fà », fondée il y a près de deux décennies déjà par Micheline Vesperini, passionnée d’histoire, convaincue aussi de la nécessité de sauvegarder et de transmettre la mémoire du village. 

À deux reprises, ses adhérents viendront au collège évoquer la vie d’autrefois. Une de leurs interventions portera sur la vie quotidienne à Moltifao entre 1939 et 1945. À cette occasion, le récit des acteurs associatifs mettra en scène des « situations de résistance ». Elles font référence, entre autres, à des villageois « qui ont caché soit au village même soit à proximité des personnes opprimées et recherchées », rappelle-t-on. De quoi éveiller une curiosité vive parmi les élèves. « Avec leur professeur d’histoire, ils ont approfondi le sujet, multiplié les recherches. Ce qui les a amenés aussi à réaliser des posters. Le travail s’est étalé sur plusieurs semaines », souligne Jean-Étienne Cardi. 

Au passage, le concours a aidé les jeunes collégiens à réfléchir de façon très concrète sur le sens de grands principes universels, comme l’égalité, la fraternité. Ne serait-ce que pour être sélectionnés, il fallait se montrer à la hauteur des consignes données par les organisateurs. Sera écartée du concours, « toute œuvre à caractère diffamatoire », « incitant à la haine ou à la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes » quelle que soit la raison invoquée.

Il reste à présent aux lauréats régionaux à se mesurer à leurs camarades au plan national. 

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