Haut fonctionnaire, figure française de la finance, collectionneur d’art, Charles-Henri Filippi est aussi un fervent humaniste qui appelle de ses vœux le retour d’un capitalisme philanthropique au service du plus grand nombre.
Par Karine Casalta
Originaire de Vescovato, où sa famille est implantée depuis la fin du xvie siècle, Charles-Henri Filippi est par son père issu d’une famille corse de la diaspora. Son arrière-grand-père avait en effet quitté l’île dans les années 1830 pour s’engager dans l’armée. Dès lors la famille est restée au service de la République : son grand-père était diplomate et son père inspecteur des Finances, élu par ailleurs conseiller général du canton de Vescovato et sénateur de la région Corse, ancré à gauche. C’est ce dernier qui en quelque sorte (ré)attachera la famille à la Corse, grâce à la politique. Corse de cœur, sa mère, d’origine gasconne, sera elle-même fortement impliquée dans la vie du village de Vescovato, où durant trente ans, elle a été élue maire.
Une lignée de hauts fonctionnaires
« Je suis un pur produit de la République qui, à travers elle, a permis à tant de Corses de se déployer et de prospérer. » Ainsi bien que né à Boulogne-Billancourt, Charles-Henri Filippi a toujours été fortement marqué par cet ancrage insulaire, autant que par l’engagement familial pour le service public. C’est donc assez naturellement qu’après son bac puis des études à Sciences Po, il entre à l’ENA d’où il sortira major de sa promo. Devenu haut fonctionnaire à son tour, il passe alors deux ans à la commission des finances avant de rejoindre très rapidement le cabinet ministériel de Jacques Delors à l’Économie en 1983, puis celui de Georgina Dufoix aux Affaires sociales un an plus tard, avant d’entrer au Comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri) au ministère des Finances en 1985. Sur les traces de ses parents, il débute en parallèle une carrière politique en Corse, où, en 1982, il est élu conseiller de la première Assemblée dont il est alors le benjamin. L’expérience sera néanmoins de courte durée. « J’étais un technocrate sans doute un peu trop rigide pour m’adapter aux compromis attendus dans ce domaine. De plus haut fonctionnaire ! Si le titre était un « plus » à l’époque de mon père, il devenait nettement un « moins » à ce moment-là, où l’on me jugeait « à la solde » de l’État. J’ai donc fait le choix délibéré de ne pas me représenter. » Durant cette période, il opère aussi un tournant dans sa carrière, choisissant de rejoindre le secteur privé, s’orientant naturellement de par sa formation vers le secteur bancaire.
Du service de l’État à celui de la banque
À l’époque, Pierre Bérégovoy, alors ministre des Finances s’attache à libéraliser les marchés financiers. « C’est le moment où l’économie est devenue véritablement dirigée par les banques. Jusqu’aux années 80, dans le domaine économique, l’État dirige la manœuvre en toute chose. À partir des années 80, il y a un mouvement de balancier et l’économie est passée dans les mains du privé. »
Embauché tout d’abord à la banque Stern, son parcours le conduira à réaliser une brillante carrière dans le secteur bancaire. Il rejoint le CCF bientôt racheté par le groupe britannique HSBC, dont il deviendra en 2004 le président-directeur général en France. Il en part en 2008 et fonde Alfina, une société de conseil en investissement et gestion d’actifs. Il rejoint par la suite la banque américaine Citigroup avant de revenir en tant qu’associé gérant vers la banque française Lazard.
Son expérience du monde de la finance et son engagement politique l’ont conduit suite à la crise financière de 2008 à nourrir sa réflexion sur le rôle de l’argent et son pouvoir dans la société.
Après son départ d’HSBC, il a ainsi consacré deux ouvrages, en 2009 et 2012, à la finance et à la crise, L’Argent sans maître puis Les 7 péchés du capital, dans lesquels il soulève différentes questions éthiques sur le sujet, à l’aune de sa philosophie de vie et de ses convictions.
Faire passer les hommes avant les profits
« La crise financière de 2008 a mis en évidence la dérive de l’argent et du capitalisme. Auparavant, le capitalisme créait des emplois et était bénéfique à la communauté. Aujourd’hui, l’argent gagné par les uns ne crée plus de bénéfice pour les autres. Et le pouvoir de l’argent a remplacé peu à peu le statut social qui s’obtenait par le service de l’État. Il est devenu décisionnel, au point de concurrencer le pouvoir de l’État. Ceci ajouté au manque de projet collectif d’avenir est en partie responsable de la crise actuelle !
C’est d’ailleurs la chance de la Corse d’avoir de bons fondements sociaux et des valeurs fortes qui permettent de ne pas mettre l’argent au centre de tout ! Il faut remettre l’argent à sa place.L’élite économique et culturelle a une responsabilité sociale et doit prendre sa part dans ce rétablissement, pour recréer un intérêt commun entre les dirigeants économiques et les populations, notamment en France ! » Figure du monde français de la finance, le banquier est aussi un amateur d’art et d’opéra averti, très impliqué dans la vie culturelle. Mécène du festival international d’Aix-en-Provence, administrateur du Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou, membre des amis de l’opéra, il est aussi à l’origine du festival lyrique de Vescovato et Erbalunga.
Altruiste passionné et passionnant, Charles-Henri Filippi recèle décidément de multiples facettes.
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