AUTONOMIE

CHICHE, UN RÉFÉRENDUM ICI ET MAINTENANT ! 

L’autonomie est une longue marche. Les étapes sont encore longues et semées d’embûches. La population est reléguée au rang de témoin, attentive ou indifférente. Certes, elle sera consultée dans un cadre consultatif en fin de parcours, si tant est que le processus arrive à son terme. Ce serait en toute hypothèse inutile car les dés seraient jetés. Roulant d’un côté ou de l’autre. Ne serait-il pas plus logique que les citoyens donnent leur avis dès à présent? La clarification y gagnerait. La démocratie aussi. 

Par Jean Poletti 

Le peuple a toujours raison. L’adage va comme un gant à l’actuel processus. Ici et là, il évoque au gré de discussions informelles son sentiment. Mais en contrepoint de ces propos l’impression d’être relégué au rang de témoin passif prévaut. Les insulaires suivirent avec acuité ou d’un œil distrait les étapes qui aboutirent à l’accord de Beauvau. Inutile d’insister, il ne s’agit que d’un pacte scellé entre la délégation d’édiles et un ministre habillé en « Monsieur Corse ». Certes, l’avancée est réelle. Bien sûr Gilles Simeoni et Nanette Maupertuis, dont nul n’ignore l’expertise économique et politique, enrichirent le projet de Gérald Darmanin que ce dernier accepta lors de la rencontre pompeusement appelée de la dernière chance. Pour autant, au-delà des applaudissements de la majorité des convives, les réserves de certain ou la constante hostilité du duo Panunzi Mondoloni, chacun sait que le projet part pour un périple incertain risquant à tout le moins passer sous les fourches caudines du Sénat. Sans préjuger du verdict des parlementaires réunis en Congrès à Versailles qui doivent valider le texte à hauteur des trois cinquièmes, ou le reléguer dans le tiroir aux oubliettes. Voilà l’enjeu. Tel est le défi. Il s’apparente à un théâtre d’ombres que seules peuvent éclairer les diseuses de bonne aventures et ceux qui lisent dans le marc de café. Dans l’intervalle les partisans de la réforme auront à cœur de prendre leurs bâtons de pèlerins pour tenter de lever les hostilités qui se manifestent au palais Bourbon ou celui du Luxembourg. Les pessimistes apparentent cette démarche aux douze travaux d’Hercule. Les lucides affirment que le jeu en vaut la chandelle. Enfin, les optimistes martèlent que la foi peut vaincre les montagnes. Et d’adopter l’adage outre- tombe de Napoléon disant que les seules batailles perdues sont celles qu’on ne livre pas.

Rendre le message audible

Dans cet épilogue incertain se mêlent espoirs et illusions perdues. Cela est d’autant plus pénible que l’avenir d’une île échappe désormais à ses habitants, qui sont sans conteste les premiers concernés. Et cela leur fait une belle jambe d’être appelés à donner leur agrément ou veto en bout de course si d’aventure le cycle institutionnel était accepté. Quelle serait la signification de cet avis venant trop tard? Une inutile cerise sur le gâteau, indigeste dans le cadre d’un dessert suranné. Voilà ce qui est pourtant prévu. Soyons réalistes, demandons l’impossible. Osons afficher que soit inversé

le canevas adopté. Réclamons qu’un référendum soit programmé dans les plus brefs délais. Avant en tout cas que députés et sénateurs soient saisis. Évidemment, les suffrages n’auraient pas force de loi. Mais en cas de d’adhésion majoritaire, il donnerait à n’en point douter plus de force et de vigueur à ceux qui dans la sphère nationaliste, comme chez bon nombre de libéraux, aspirent à une nouvelle donne pour l’île. Qui peut objecter que les élus de la nation ne seraient pas conditionnés par une franche acceptation citoyenne? N’auraient-ils pas scrupule à déjuger, sans autre forme de procès, la volonté d’une communauté avide d’embrasser un autre destin ? Pourraient- ils décemment faire l’impasse, en leur âme et conscience, au désir qu’une région tout à la fois semblable et différente des autres emprunte la voie de l’autonomie? Auraient-ils les coudées franches pour ressasser l’antienne de l’unité étatique ou la dislocation de la République quand un petit peuple sans rompre les amarres souhaite des prérogatives qui se fondent dans l’histoire et l’insularité? A contrario si l’électorat du Cap à Bonifacio, de l’intérieur et du littoral se prononçait sans ambages pour le statu- quo, nos dirigeants ne pourraient pas l’écarter d’une pichenette. Même investis par la certitude que le concept décentralisateur est le remède idoine, ils devraient convoquer l’adage stipulant que l’on ne rend pas un peuple heureux malgré lui.

Une idée au rebus

Il paraît à maints égards paradoxal que ceux qui ici et sur les bords de la Seine multiplient les déclarations n’aient pas suggérés dans leur dialectique la possibilité de donner la parole aux habitants de nos villes et villages, ici et maintenant. Osons dire toute affaire cessante. Cela serait un révélateur valant finalement tous les argumentaires, laudatifs ou réfractaires, de ceux qui après tout ne sont que les mandataires délégués dans la démocratie, aux antipodes du rien par le peuple. Ne soyons pas manichéens lors d’échanges informels d’aucuns affirment qu’une consultation à priori ne serait pas idée saugrenue. Mais cela est dit mezzo voce,sans atteindre le stade d’une revendication officielle. La théorie avait pourtant été peu ou prou évoquée dans diverses mouvances politiques insulaires voilà plus d’un an. Et même esquissée dans les sphères gouvernementales alors que les négociations étaient figées. Mais ces opportunités demeurèrent lettre morte, sans doute faute de constance et les antagonismes qui faisaient rage alors entre Paris et la Corse. L’eau a coulé sous les ponts. Un consensus a été paraphé. Tels affirment que l’essentiel est préservé. En contrepoint, il en est qui le trouvent fade et un dernier carré forme le front du refus. Qu’importe, à partir d’un tel document, rien ne s’oppose à donner la parole aux citoyens, sans plus tarder ni attendre l’adoubement ou le couperet des parlementaires. Cela s’avère non seulement possible mais tout autant souhaitable.

Des voix étouffées

Nul ne doit en l’occurrence craindre le syndrome Sarkozy. Il prévoyait, on s’en souvient de supprimer les départements en fusionnant les deux conseils généraux au sein d’une collectivité unique. Aussi dans une démarche volontariste avait-il convié la population à s’exprimer. Il fut déjugé par une courte majorité des votants. Pourtant, le bouillonnement continua, aboutissant une décennie plus tard à l’avènement de la loi NotRe, portant nouvelle organisation territoriale. Aujourd’hui, nul besoin d’être grands exégètes pour attester que rares sont ceux qui claironnent que la période d’alors est similaire celle d’aujourd’hui. Une nouvelle avancée ne fait plus figure d’épouvantail. Un terreau est irrigué. Inutile de verser dans les redites pour faire œuvre d’explication. Pour autant et au risque d’insister plus que de raison, osons pourfendre cette étrange propension, diffuse ou affirmée, de ne pas se tourner dès à présent vers l’électorat pour qu’il matérialise son choix, conditionne un avenir collectif. Le député Michel Castellani, pilier du siméonisme, ne 

faisait nullement dans l’euphémisme l’année écoulée. Avec un franc-parler et une lucidité qui le caractérisent, il martelait notamment «Un référendum a l’intérêt de permettre la neutralisation du congrès dont le vote à la majorité des trois cinquièmes est nécessaire pour modifier la Constitution.» Et d’ajouter pragmatique « Encore faut-il que nous trouvions en amont un accord politique sur le fond.» Le scénario n’était pas pour déplaire au président du Conseil exécutif qui martèle que nul ne doit craindre la démocratie. Pour autant, et en toute logique lui aussi réitère que «proposer au peuple de valider la solution politique qui devrait ressortir de ce processus fait sens. À condition toutefois que la question se situe à la hauteur d’une réponse qui se veut historique.» Et comme en écho, Jean-Baptiste Arena, siégeant dans l’hémicycle sur les bancs de Core in Fronte, de marteler alors «Le parlement ne pourra pas aller contre l’avis du peuple s’il se prononce en faveur de l’autonomie. La précédente majorité progressiste de gauche y était elle-même favorable.»

Tutti inseme

Pour des raisons diamétralement opposées, le leader insulaire du Parti communiste à l’image de ses camarades est partisan d’une concertation citoyenne immédiate. Michel Stéfani refuse cette autonomie libérale, où une minorité capte l’essentiel des dispositifs fiscaux de la solidarité nationale au préjudice de l’amélioration du pouvoir d’achat. Voulant croire au bon sens populaire qui ferait barrage au projet, il milite pour la consultation des Corses tant l’évolution est importante. Ils doivent impérativement l’être « À la fois sur la révision constitutionnelle mais également sur la loi organique ce qui actuellement n’est pas prévu.» Et d’asséner en péroraison que «le seul vote de l’Assemblée de Corse ne peut suffire à valider cette inscription». Tous ces souhaits pressants pour l’heure disparates, pourront-ils se fédérer et parler à l’unisson? Voilà qui pourrait en saine logique réactiver l’idée un temps caressée dans les allées du pouvoir. 

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