ARCHITECTURE : NOURRIR L’IMAGINAIRE

Dans un monde en mutation, la Corse se trouve à la croisée des chemins. Entre préservation et adaptation, l’architecture devient un outil puissant pour penser autrement notre cadre de vie. À la tête de la Maison de l’Architecture de Corse, Michèle Barbé* porte une vision résolument engagée : faire de l’architecture un langage accessible à tous, capable de traduire les enjeux écologiques et sociaux contemporains. En 2025, plusieurs actions concrètes sont menées pour rapprocher citoyens, professionnels et institutions autour de cette ambition commune. Entretien.

Par Caroline Ettori

Pourquoi l’architecture est-elle un levier essentiel pour répondre aux différents défis auxquels la Corse est confrontée ?

Quand je parle architecture, je parle d’architecture au sens large, c’est-à-dire l’aménagement du territoire qui va de l’urbanisme au paysage. Et dans ce cadre, l’architecture a un rôle sociétal fondamental. Elle définit finalement comment on organise le cadre de vie de la société et les liens qu’on peut avoir les uns avec les autres. Par exemple, quand on aménage des espaces publics ou des équipements de qualité, on favorise l’émergence de lieux de rencontre agréables à vivre et on pense simultanément à la mobilité à travers l’articulation des divers lieux.

Cette année encore vous organisez une résidence d’architecture à Marana Golo. Quel est l’objectif principal de cette résidence ?

Nous avons commencé à Bonifacio avec une première résidence sur le tourisme qui relève d’une problématique mondiale. Nous avons continué en Balagne, dans le Giussani, à Lama, dans l’Alta-Rocca puis dans la Plaine orientale. Des lieux très différents qui nous ont permis de mieux comprendre la réalité de chaque région, d’engager le dialogue avec les acteurs du territoire ainsi qu’avec les représentants de l’ATC et du Cesec. Ces rendez-vous ont été et sont autant d’amorces pour réfléchir à de nouvelles solutions, de nourrir le territoire avec un nouvel imaginaire. J’aime bien cette expression qui implique que chacun se questionne différemment et qui rassemble les gens. Il ne suffit plus de demander aux habitants leur avis sur un projet qui a déjà été arrêté par un bureau d’études. Je pense que la démocratie dans l’avenir, ça va être plutôt de construire le projet avec eux. Cela fait pratiquement dix ans qu’on fait cela avec la Maison de l’Architecture de Corse et cette année ce sera à la Marana Golo avec Movimondu.

Pourquoi rapprocher artistes et architectes ?

De tout temps, les artistes ont anticipé le monde dans lequel on vit par leurs actions. Avec leurs productions, ils donnent des solutions. Par exemple, quand le photographe Martin Parr capture le sur-tourisme, on n’a pas besoin d’ajouter grand-chose. C’est assez parlant. Si l’architecture est l’expression de la culture, dans les faits, ce n’est pas intégré par le citoyen. Ça reste quelque chose de très élitiste. Et aujourd’hui, on voit bien que le monde des élites s’est coupé de la base et qu’il faut revenir avec des espaces de conversation et de réflexion ouverts entre la population habitante et les architectes. Donc là, on ouvre, on explore de nouvelles pistes par le biais de l’art. Cette année, le duo qui a été choisi réunit un architecte qui a enseigné à l’école de Nantes et un sérigraphe.

Par ailleurs, l’idée est de découvrir le territoire à travers des artistes et des ateliers de sérigraphie. Nous souhaitons entamer un dialogue avec des artistes locaux pour voir ce qu’ils font et comment ils le font. Nous sommes en contact avec différents créateurs comme Urban Sketchers et Anne Papalia qui exposent notamment au musée de Lucciana. Ces artistes et les habitants mettront en couleurs le territoire de Marana Golo avec la participation des scolaires. Chacun choisira sa couleur pour les différentes strates du territoire de l’étang de Biguglia jusqu’au piémont. Nous essaierons aussi de mettre en couleur le changement climatique par les habitants d’un territoire.

La 2e édition du Palmarès d’Architecture organisée par la Maison de l’Architecture de Corse a mis en lumière 92 projets insulaires. Qu’est-ce que cela révèle sur l’évolution de l’architecture sur l’île ?

On peut dire qu’il y a à la fois une très grande qualité, qui est encore un peu cachée, mais aussi une très grande réflexion. Beaucoup de gens ont trouvé qu’il était beaucoup plus riche que le premier palmarès. Pour cette 2e Édition, nous avons essayé d’aborder l’architecture à différentes échelles et de mener de nouvelles réflexions comme par exemple celle sur la citadelle d’Ajaccio pour en faire un espace appropriable à tout le monde.

Comment faites-vous en sorte que ces projets architecturaux, souvent perçus comme techniques, deviennent compréhensibles et accessibles pour les habitants ?

C’est la grande question et c’est le travail que nous essayons de faire avec la Maison de l’Architecture de Corse. Puisque je suis architecte et que j’ai fait des projets, je me suis rendu compte que, comme dans tous les métiers, on a un langage spécifique et incompréhensible pour beaucoup. Il a fallu et il faut encore faire preuve de beaucoup de pédagogie, rendre le discours compréhensible. Au-delà du langage, les plans et les maquettes aident énormément. Certains sont visibles dans nos ateliers hors les murs et leurs concepteurs expliquent leur démarche au public. On essaie aussi de faire des petites vidéos pour montrer les process. Mais effectivement, le rôle de la Maison de l’Architecture, c’est avant tout de rendre accessible à tout le monde quelque chose qui nous concerne tous.

Désormais, le cadre de vie doit prendre en compte le changement climatique et la perte de la biodiversité. C’est une urgence et c’est pour ça aussi qu’on travaille avec des jeunes qui comprennent qu’il n’y a plus de temps à perdre. Je pense qu’ils sont plus en capacité de gérer les déchets ou d’économiser leur eau. C’est par les nouvelles générations que tout va se passer.

L’action pédagogique avec les étudiants en architecture joue un rôle clé. Quels liens souhaitez-vous créer entre la jeunesse, le territoire et les institutions ?

Il faut créer des nouvelles dynamiques. On parle beaucoup d’intervenir de manière transversale mais ce changement de paradigme va être long à prendre en compte. Nous avons organisé quatre ateliers hors les murs en Corse, trois avec l’école de Nantes, un avec l’école de Clermont-Ferrand et un autre est en préparation. Nous faisons venir des étudiants qui apportent un regard neuf dans une logique de prestation. Ce sont des jeunes en formation que les gens écoutent avec bienveillance. Ces rendez-vous se déroulent au plus près des habitants et des élus locaux. Et quand les étudiants les questionnent, les acteurs locaux répondent présents à cette capacité d’écoute. Ces jeunes de 23, 24 ans, arrivent avec des réponses audacieuses et originales. Par exemple, à L’île-Rousse, un des étudiants a présenté un parking à étages. Je ne pense pas que cela se fasse demain mais l’idée de penser autrement va faire son chemin parce qu’on n’a plus de places pour garer les voitures dans les centres des villages. Même chose pour l’atelier de Sainte-Lucie-de-Porto-Vecchio où les étudiants ont intégré le problème de l’eau dès la conception des projets privés, comme les piscines, ou dans l’agriculture. Toutes ces problématiques qu’on voit surgir et qu’on voudrait régler en 2050, ils les ont déjà pensées dans leurs projets. Nous sommes très fiers de porter ce type d’actions.

Le rôle de la Maison de l’Architecture, c’est justement de choisir le territoire qui sera concerné. Ce sont souvent des territoires ruraux, parce qu’ils ont un défaut d’ingénierie. Après s’être beaucoup attachés aux métropoles, la question de la ruralité revient et pas seulement en Corse. On pensait qu’on ne pourrait pas vivre en dehors des villes et le Covid est venu tout bouleverser.

Les ateliers, les tables rondes, la présence dans les festivals… En quoi ces événements enrichissent-ils la relation entre les citoyens et leur cadre de vie ?

On expose pour que finalement, ça intègre l’inconscient malgré nous, pour aller à la rencontre des citoyens. Le public a l’occasion de voir certaines choses inédites et se dit : « Tiens, ça, c’est pas mal, ça, moins bien ». Et ne pas s’arrêter à la seule maison individuelle.

L’idée étant de nourrir toujours l’imaginaire autrement. Parce qu’au début, pour moi qui travaillais sur le territoire, quand on avait une réflexion sur l’aménagement du territoire à organiser et que nous recevions par exemple les commerçants, nous leur posions la question : « Qu’est-ce que vous voulez faire ? » Tous répondaient la même chose, le même type de commerce. Ce n’est pas durable ou viable économiquement. On se heurtait aux limites de l’imaginaire. Et du côté des élus ce n’est pas simple non plus. C’est très lourd. Ils ont plus à régler des problèmes du quotidien et ont moins de temps pour se nourrir autrement. Donc voilà, mon ambition, c’est de créer de nouvelles dynamiques sur le territoire aux côtés des institutions.

D’une manière générale, quel accueil recevez-vous de la part à la fois des élus locaux et des habitants ?

Il faudrait le demander à celles et ceux qui nous reçoivent ! Je crois qu’il y a de véritables échanges avec les élus comme Tony Ceccaldi de la Chambre des territoires, Nicolas Cucchi à Zonza, Angèle Bastiani de l’ATC, avec des artistes comme Robin Renucci ou des acteurs du monde associatif, comme Corse Japon, prouvent notre volonté de nous ouvrir vers tous les publics. Je suis très intéressée par la création de liens, de réseaux, de démarches citoyennes. Et je travaille aujourd’hui pour aller porter cette parole qui est très riche et qui est assez méconnue quand on ne fait pas partie de l’Ordre des architectes et des CAUE qui font également un travail important. En outre, cette ouverture permet au-delà de présenter nos actions, de poser la question de notre financement. En tant qu’association Loi 1901 nous avons des budgets à trouver. Il faut que notre démarche séduise, convainque nos partenaires et nos investisseurs. À défaut, nous ne pouvons pas mener à bien notre mission.

Si vous deviez résumer en quelques mots, votre ambition pour 2025, pour la Maison de l’Architecture, pour l’architecture en général, quels seraient-ils ?

Ouvrir le regard de chacun, que ça soit les élus, que ça soit les citoyens, les habitants de manière à ce qu’ils soient en capacité et qu’ils aient l’envie de fabriquer le territoire de demain avec des actes politiques. Chacun à son échelle.

*Michèle Barbé est architecte, présidente de la Maison de l’Architecture de Corse, membre de l’Académie d’architecture et membre du CESEC.

Les rendez-vous de l’été

Exposition itinérante du 2e Palmarès dArchitecture de Corse
Juillet 2025 : Le Stalo à Lama, pendant le Festival du Film
Août 2025 : Pioggiola, lors des Rencontres Internationales de Théâtre de l’ARIA

Novembre 2025 : en partenariat avec le CAUE de Corse, sur les grilles de la Mairie de Bastia

Temps forts et événements
Avril 2025 : Table ronde à la Festa di l’Oliu Novu

Juin 2025: Table ronde au Festival Corse Japon

Juillet 2025 : Conférence lors du Festival du Film à Lama
Août 2025 : Échanges culturels aux Rencontres de Théâtre de l’ARIA

Septembre 2025 : Une résidence d’architecture, en partenariat avec la commune de Biguglia, la Communauté de communes Marana Golo et le CAUE

Octobre 2025 : Un atelier Hors les Murs avec l’École d’architecture de Clermont-Ferrand sur le territoire de la Pieve d’Ornano (partenariat en cours de construction)

16 au 19 octobre 2025: Journées Nationales de l’Architecture

– Une résidence d’architecture sur le thème du recul du trait de côte à Biguglia

– Table ronde en partenariat avec la ville d’Ajaccio

Focus jeunes publics
Interventions en milieu scolaire en partenariat avec RUGA, au collège Arthur Giovoni

Toutes les informations sur

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