A la une – Avril 2015

L’extrême-droite et  la laïcité         

Par Vincent de Bernardi

 

Les attentats du mois de janvier et la menace que fait peser sur le pays l’islamisme radical ont conduit les Français à manifester un regain d’attachement à la laïcité mais aussi à redonner de la vigueur au débat sur l’identité.

De nombreuses enquêtes ont montré le retour en « grâce » d’un concept  longtemps considéré comme secondaire dans le classement des valeurs républicaines.

Dans un récent sondage réalisé par l’IFOP, les Français placent désormais très largement en tête cette notion de laïcité (46%), loin devant le suffrage universel (36%), la liberté d’association (8%) ou la libre constitution des partis politiques ou la liberté syndicale (5% chacune). Depuis mars 2008, date à laquelle avait eu lieu le débat sur la « laïcité positive »,  les choses ont profondément évolué à tel point que la hiérarchie des réponses s’est inversée. La laïcité a gagné 16 points par rapport à cette époque. Cette progression est particulièrement nette dans l’électorat UMP, qui place désormais cette notion devant le suffrage universel alors qu’en 2008 cet item surclassait très largement la laïcité dans l’électorat de droite (53% contre 26%). Cet intérêt porté à la laïcité s’exprime avec moins de force dans l’électorat socialiste (+9 points) mais ce dernier s’affichait déjà à l’époque comme plus attaché à cette valeur que l’électorat UMP (36% contre 26%). Porté par un contexte de menaces terroristes, ce sujet ressurgit en s’imprégnant des inquiétudes des communautés religieuses. Ainsi, le concept même de laïcité s’apprécie selon une nouvelle grille de représentation.

 

La perception  intégriste

Dans la même enquête de l’IFOP, 51% des Français considèrent que la laïcité est d’abord perçue comme « la possibilité laissée à chaque citoyen de pratiquer sa religion » (-5 par rapport à 2008). Pour 25%d’entre eux, c’est avant tout « l’interdiction de manifester son appartenance religieuse dans les services publics » quand 14% (+ 6 points) y voient le «refus de toute forme de communautarisme » et 10% seulement (-2 points) « l’absence de participation de l’Etat dans l’édification des lieux de culte ». Si la définition d’une laïcité « positive » prévaut encore aujourd’hui, de profonds clivages apparaissent selon les sensibilités politiques des Français.

La « possibilité laissée à chaque citoyen de pratiquer sa religion » est nettement plébiscitée dans l’électorat socialiste (57%) mais moins à l’UMP (47%) et au FN (35%). A l’inverse « l’interdiction de manifester son appartenance religieuse dans les services publics » fait beaucoup plus recette au FN (38%), qu’à l’UMP (29%) ou au PS (19% seulement). Revalorisée sur l’échelle des valeurs républicaines, la laïcité se heurte désormais aux représentations des Français sur l’islam. Si une très grande majorité affirme que les Français musulmans sont des Français comme les autres, (68%), si 64% refusent les amalgames en estimant que les islamistes radicaux ne représentent qu’une petite minorité des musulmans de France, 56% voient dans l’islam une menace pour la République. (Baromètre de la confiance politique – Opinion Way pour le Cevipof, février 2015).

 

L’étendard  change de camp

Sur cette dernière question, rien d’étonnant à ce que des écarts importants existent entre l’extrême droite, la droite et la gauche mais l’impact des attentats a vraisemblablement joué en sens contraire dans les trois familles politiques. Et c’est désormais un débat entre laïcité ouverte et laïcité de combat qui se dessine.

D’un côté, la liberté pour les croyants de pratiquer leur religion et d’assumer leur identité religieuse, y compris dans la sphère publique, avec le moins d’entraves possible, et de l’autre une laïcité brandie face à la montée du fondamentalisme, de la radicalisation d’une partie de la communauté musulmane, à la menace d’attaques terroristes, objet de récupération politique. Longtemps bannière de la gauche et de l’extrême-gauche au début du XXème siècle, la laïcité devient un étendard de l’extrême droite et d’une partie de la droite conservatrice, au nom d’un combat contre l’islam.

 

 Le credo de L’extrême droite

Dans une société devenue multiculturelle, elle apparaît, pour les mouvements populistes comme la réponse, radicale et salutaire, à la montée du communautarisme et à la menace de division du pays. En somme, pour eux, c’est un combat pour l’identité qui se joue, un combat non plus dirigé contre l’église catholique comme en 1905 mais contre l’islam intégriste entraînant dans son sillagede profonds mouvements de rejet. Et la fin des accommodements raisonnables permettant aux musulmans de pratiquer simplement leur religion.

En réalité, l’extrême droite opère un détournement de la notion même de laïcité, exploitée, instrumentalisée pour en faire l’outil de la préservation de l’identité nationale.

Cela est sans doute un risque. Car la laïcité se trouve de fait politisée. Elle n’est plus le concept du vivre ensemble  dans une société  qui se veut neutre au regard de la religiosité. Mais devient à l’évidence l’’un des instruments  propice à la conquête du pouvoir.  Ce paradoxe puise, faut-il le rappeler dans la tiédeur voire le manque de courage des partis traditionnels, et notamment de  gauche,  lorsque la laïcité était attaquée. On se souvient du lamentable cas  du voile à l’école, ou Lionel Jospin, alors premier ministre, botta en touche en demandant au Conseil d’Etat de  trancher. Alors qu’il suffisait de rappeler simplement  les termes  de notre constitution.   A force de compromissions, nous sommes aujourd’hui confrontés à un paradoxe : La droite extrême à l’apanage de la société laïque !

Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.