UNE VOIE POUR L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES DÉTENUS

À quoi doit servir la prison ? La réponse est inscrite dans notre droit : la sanction pénale doit permettre de réinsérer les condamnés dans la société. C’est de cette question et de ce début de réponse, que Frédéric Masia, président de la commission formation professionnelle au sein de la Chambre de Métiers et de l’Artisanat de la Corse-du-Sud, souhaite développer un projet qui privilégie en particulier la réinsertion des jeunes détenus.

Par Anne-Catherine Mendez

Frédéric Masia est chef d’entreprise, à la tête d’un garage automobile àAjaccio.Ilyadeuxans,ila souhaité s’investir dans la forma- tion professionnelle à travers son mandat d’élu au sein de la compa- gnie consulaire, depuis il n’a de cesse de faire la promotion de l’alternance auprès des jeunes collégiens et lycéens mais également de se tour- ner vers ceux qui se trouvent dans des situations
plus douloureuses comme l’incarcération.
Frédéric Masia, quelle a été votre moti- vation pour mener à terme ce projet ? Tout détenu, qui entre en prison, sera amené un jour, à en sortir. L’incarcération pour moi n’est pas seulement punitive, elle est aussi un sas entre une condamnation et une sortie. Tout doit donc être mis en œuvre pour que cette dernière soit anticipée et réussie. Il est dans l’intérêt de la société qu’il ne récidive pas et qu’il puisse se réinsérer, notamment par le logement et par l’emploi.
Moi-même, à l’adolescence, j’aurai pu plonger maintes fois dans la délinquance, voire même par la case prison. Je suis resté sur le droit chemin grâce à la formation professionnelle, au travail et au sport. Nouvellement élu à la Chambre de Métiers, responsable de la commission formation, j’ai souhaité m’intéresser à ces jeunes, qui, pour une peine bien souvent mineure se retrouve à la sortie, complétement exclu du système de formation et rechute souvent dans le délit.
Concrètement, que souhaitez-vous vous proposer aux détenus ? Dans la prise en charge que souhaite organiser la Chambre de Métiers de la Corse-du-Sud, que ce soit en vue de la réinsertion de personnes libérées ou pour un changement des mentalités de manière générale, il est essentiel de remettre l’humain au centre, de recréer des liens, de tisser du relationnel. La notion de projet est prépondérante dans le processus de réinsertion. Si personne ne conteste la nécessité d’assurer un accompagnement social aux sortants de prison pour prévenir la récidive, la discussion porte très souvent sur la mise en œuvre et la gestion de ces individus demeure souvent dans
des « zones grises ». Il est donc important pour nous que la préparation à la sortie se déroule au cours du processus carcéral. L’insertion par l’activité économique doit être comme une opportunité de créer un quotidien que l’incarcération a rompu. Nous avons donc contacté l’administration pénitentiaire, qui s’est prononcée favorablement sur cette démarche. Celle-ci suppose dès lors, l’existence d’un référent identifié. Cette approche doit être accompagnée par un suivi global, avec une personne qui oriente, rassure, soutient, et évalue mais également d’une adhésion suffisante de la personne concernée. Il sera dès lors, élaboré un programme d’action défini en commun ainsi qu’une capacité à le faire évoluer au fur et à mesure de sa mise en œuvre. Cet accompagne- ment doit permettre le rétablissement de la situa- tion administrative et de la capacité à reprendre un emploi ou une formation professionnelle. Il doit permettre la prise en charge de la santé, la recherche de conditions de logement auto- nomes, la reconstruction des liens sociaux et familiaux, le renforcement de la confiance en soi et la maitrise de sa propre vie. »

Quels sont les partenaires de ce programme ?

La réussite d’une telle action ne peut se mettre en œuvre qu’à la condition que l’ensemble des parties prenantes d’un territoire se mettent en synergie. Aussi, nous nous proposons de mobiliser tous les partenaires institutionnels de la Chambre de Métiers de la Corse-du-Sud à l’instar de la Mission locale, Pôle emploi, l’Agefip ou encore les institutions judi- ciaires. Depuis le 1er janvier 2015, les régions sont chargées de la formation professionnelle des détenus, je suis sûr que la Collectivité de Corse s’engagera dans ce projet avec enthousiasme.

Est-ce que les entreprises ont-elles été faciles à convaincre ?

La Chambre de Métiers de la Corse-du- Sud a mis en place un dispositif pour faciliter la mise en relation des futurs stagiaires et des entreprises de la région d’Ajaccio. Notre institution a décidé de lever les freins qui font que seulement très peu d’entreprises de la région du grand Ajaccio s’engagent dans le recrutement d’anciens détenus. Ainsi, depuis plusieurs mois nous travaillons auprès de nos ressortissants pour qu’ils s’engagent dans ce dispositif d’intégration. Aujourd’hui, je suis fier que nous ayons réussi à convaincre 15 entreprises qui seront parties prenantes dans le projet que nous portons, et qui offriront pour chacune d’entre elles un parcours de formation et par la suite si toutes les conditions sont réunies un contrat de travail de type CDD ou CDI.

Avec ce type d’accompagnement, pouvez-vous garantir une réinsertion réussie ?

Nous ne devons pas sous-estimer la difficulté qu’éprouvent les personnes détenues à faire simultanément l’effort de s’adapter à leur situation et de se préparer à la libération. L’individu se retrouve au cœur d’un processus complexe. Il dit en effet qu’assumer à la fois la situation
d’une personne privée de liberté et parvenir à se projeter dans l’avenir comme une personne qui retrouvera la liberté est difficile. Cette acceptation est souvent un préalable à toute démarche active de réinsertion sociale visant à préparer la sortie. Le processus de réinsertion implique l’acceptation d’une certaine dose de risque. La réinsertion ne pourra être garantie à cent pour cent, elle suppose des allers retours, et la possibilité de rechutes. Nous avons prévu d’accueil- lir, 8 personnes que nous allons intégrer dans des dispositifs déjà existants tels que le contrat d’apprentissage ou le contrat de professionnalisation. Si le projet professionnel d’un individu ne correspondait pas à l’offre de formation existante, nous nous proposons d’ajouter quatre parcours individualisés pour répondre à ses besoins.
Nous ne pouvons rien garantir mais nous pouvons leur offrir un avenir.

DES DÉTENUS TRÈS PEU QUALIFIÉS
Selon le rapport publié très récemment par l’institut Montaigne, en collaboration avec la fondation M6, 75% des détenus ont un niveau inférieur ou égal au CAP. Pire, un détenu sur 2 n’a aucun diplôme. Et très peu d’entre eux ont accès à la formation. « En 2014, seules 2300 personnes en ont bénéficié, [pourtant] investir dans les programmes de formation en prison est efficace : pour 1 € investi, le coût global de l’incarcération est réduit de 4 à 5 € dans les trois années suivant la libération », indique l’Institut. Il préconise aux établissements de développer des formations au niveau local, en concertation avec les régions, pour que la validation des Acquis de l’Expérience (VAE) par diplôme, titre ou certification, puisse être accessible aussi aux longues peines. Au-delà du recours largement insuffisant aux actions de formation professionnelle en prison, le constat qui domine est celui d’une discontinuité fréquente entre les formations suivies à l’intérieur et les projets professionnels poursuivis à l’extérieur. De fait, la continuité entre les actions pré-qualifiantes menées en prison et l’accès à différentes formations certifiantes dehors, dans le même secteur professionnel, ne sont pas assurés. Cette absence de lien entre dedans et dehors au niveau de la formation professionnelle se traduit par des conséquences profondément négatives en accroissant la probabilité de rupture sociale, facteur de récidive. L’institut propose, à l’instar du projet porté par la Chambre de Métiers et de l’Artisanat de la Corse-du- Sud, des solutions concrètes pour accompagner au mieux le détenu dans la préparation de sa sortie, pour faciliter l’engagement des entreprises œuvrant en milieu pénitentiaire et pour améliorer la gouvernance du travail pénitentiaire.

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