RENCONTRES CULTURELLES D’ALTALEGHJE – La philosophie décomplexée

Philosophe et romancier, Charles Pépin est l’auteur d’une dizaine de livres traduits dans plus de trente pays. Il n’a pas son pareil pour rendre la philosophie accessible à travers ses chroniques, romans, essais ou bandes-dessinées. Avec le dessinateur Jul, il signe chez Dargaud le 4e tome de 50 nuances de Grecs, une version modernisée et irrésistiblement drôle de la mythologie grecque. Le duo sera d’ailleurs présent au festival littéraire d’AltaLeghje qui aura lieu du 19 au 22 juillet prochains à Altagène, inspiré cette année par la Grèce et la montagne.

Par Caroline Ettori

Qu’est-ce qui vous a décidé à répondre présent à l’invitation des Rencontres d’AltaLeghje ?

Tout simplement parce que la présidente du festival Christine Siméone me l’a demandé! J’ai souvent collaboré avec elle et j’avais remarqué sa façon de travailler, sa curiosité. Quand elle m’a présenté ces Rencontres entre sciences humaines et convivialité, parrainées par Jérôme Ferrari, un écrivain que j’admire beaucoup, je n’ai pas hésité. De plus, l’idée de réfléchir à la Grèce en Corse me semble amusante surtout que j’y retrou- verai mon dessinateur et ami, Jul. Finalement, mon cœur étant autant dans la littérature que dans la philosophie, tout semblait s’harmoniser autour de ce rendez-vous.

Vous allez débattre avec Jul et la philosophe Barbara Cassin récemment élue à l’Académie française sur l’omniprésence des mythes grecs. Qu’attendez-vous de ces échanges ?
Je ne connais pas Barbara Cassin personnellement mais j’apprécie son travail. J’espère que nos discussions permettront de mieux appréhender ce miracle grec. Ce moment, assez court dans l’Histoire, durant lequel tant de choses ont émergé. L’idée aussi est de mieux comprendre qu’elle a été ma propre démarche pour ce 4e album. Souvent, on fait des choses qui nous surprennent nous-mêmes, on en saisit la portée qu’après coup. C’est intéressant de se revoir pour en reparler avec Jul mais aussi avec le public. C’est souvent de ces rencontres que germent les idées de livres futurs. Elles ont une vraie place dans l’évolution de mon travail.
Ce festival sera également l’occasion de retrouver la Corse qui vous a déjà inspiré pour deux ouvrages Quand la beauté nous sauve aux éditions Robert Laffont et le dernier La confiance en soi, une philosophie aux éditions Allary… J’ai passé beaucoup de temps de mon enfance en Corse. Je me souviens d’avoir tenu la barre du bateau familial pour entrer dans le port de Bonifacio, je devais avoir 12 ou 13 ans, et je m’imaginais en marin revenant de très loin dans le soleil couchant alors que, disons-le, je n’avais pas fait grand-chose. Ou plus tard, vers 15 ans où nous avions passé l’été à faire du camping sauvage avec mes cousins. Je retiens de tout cela une liberté, assez belle. Plus tard, j’y ai vécu deux expériences mystiques dans cette lumière particulière. Je suis persuadé que la beauté du monde peut nous sauver. Et cela rejoint la confiance en soi. La beauté de l’île m’a fait comprendre que les deux étaient étroitement liées. Se promener dans la nature, la musique, un livre, un tableau et trouver ça beau suffit à nous donner confiance. La confiance en soi n’est pas qu’en soi justement. Autour de nous, en nous, rien a changé et pourtant, il suffit d’accueillir cette beauté, de la laisser entrer pour rencontrer le monde.

Peut-on avoir une approche philosophique de la Corse ?
Pour moi, il n’y a pas de sujet non philosophique. En Corse, l’identité est un vrai thème de philosophie. Quand l’identité est une crispation, elle devient une prison. Je suis militant d’une identité multiple, en mouvement, que l’on retrouve d’ailleurs chez Homère et dans la mythologie en général où beaucoup de dieux changent d’apparence ou de visage. Partout où les gens sont fiers de leur identité, il peut y avoir des débats mais quand on l’essentialise, nous faisons une erreur. C’est peut-être aussi le mot qui pose problème. Il manque de douceur et de souplesse.

Comment la philosophie qui représente le questionnement peut aider à comprendre le monde d’aujourd’hui caractérisé par l’immédiateté et l’instantanéité ?

À l’heure des réseaux sociaux et de cette fascination pour le présent, nous avons plus que jamais besoin de la philosophie. On a besoin de remises en question, de perspectives, de gestes sceptiques. La vraie philosophie pour moi, c’est le scepticisme éclairé. Je reste sur le fil du doute sans jamais tomber dans la certitude. Encore une fois, on peut rapprocher le scepticisme lumineux et la beauté du monde. Nous n’avons pas besoin de connaître la vérité pour apprécier la beauté ou expérimenter la beauté. Nous devrions pouvoir nous en contenter. Une terre de beauté comme la Corse devrait se prêter à cela mais ce n’est pas vraiment le cas…

La philosophie peut-elle être accessible, légère, ouverte ?
Évidemment ! Mais ça ne veut pas dire qu’elle est moins précise ou moins puissante. De plus, le jargon technique est souvent là pour masquer le fait qu’on n’a pas grand-chose à dire. La vocation de la philosophie est la transversalité, explorer tous les champs. On peut dire des choses très profondes avec légèreté ou des choses très complexes simplement. Cela demande une méthode, c’est un vrai travail, et j’adore ça. La philosophie en Grèce était pensée comme un mode de vie, accessible à beaucoup de monde. C’est ce que j’essaie de proposer et c’est ce qui m’intéresse

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