PASSAGE de flambeau

Frédéric n’avait pas programmé de devenir chef d’entreprise, cependant après la mort prématurée de son patron, il n’a pu se résoudre à laisser la société s’effondrer et surtout
être le spectateur inerte du licenciement d’une quinzaine de salariés.
Parcours d’une transmission réussie.

Propos recueillis par Anne-Catherine Mendez

Lorsque j’arrive sur le site de l’entreprise Ajaccio Béton, un univers nouveau, pour la citadine que je suis s’offre à moi, des silos de plus de 10 mètres de haut, des citernes, un va- et-vient permanent de camions énormes, une bétonnière géante… C’est étrange comme impression, on sent la matière qui se transforme, mais ce n’est pas si bruyant et poussiéreux, que j’aurai pu l’imaginer, j’ai hâte de poursuivre la visite, en compagnie des deux nouveaux responsables de cette unité qui s’avancent vers moi tout sourire, Frédéric Scanu et Jean-Marc Bonelli.

Frédéric, racontez-nous cette aventure quelque peu inattendue pour vous ?

Ah oui, plus qu’inattendue, quand j’intègre l’entreprise Ajaccio Béton, je n’ai pas du tout dans l’idée que quinze ans plus tard, j’en
deviendrai le patron, mais parfois la vie vous donne des opportunités qu’il faut savoir saisir. Ajaccio Béton a été créé en 1978 par Roger Reinaudo, qui après avoir bâti plusieurs centrales à béton sur le continent, décide de s’installer en Corse et de gérer directement celle qu’il venait de créer sur Ajaccio. C’est une des premières unités modernes à voir le jour sur l’île et immédiatement elle acquiert une réputation de sérieux et de compétence. Je suis embauché dans la société dans les années 2000, comme chauffeur poids lourds, nous étions une vingtaine de salariés à l’époque. En 2012, monsieur Reinaudo tombe malade, il ne veut pas brader l’entreprise à n’importe qui, il s’adresse alors à un groupe de salariés qui se porte alors acquéreurs, je n’en fais pas partie. Voyant que je ne me décide pas à intégrer les acheteurs, il retire son offre, et me donne alors de plus en plus de responsabilités, comme s’il souhaitait me former à la direction de l’entre- prise. Il meurt un an plus tard. Madame Reinaudo qui est dans les mêmes dispositions que son mari, me demande de l’accompagner pour gérer l’entreprise. Nous sommes alors confrontés à de multiples difficultés, la concurrence exacerbée, la baisse des commandes publiques, la hausse du prix des matières premières… En 2015, elle me propose de racheter la centrale. Tout seul, cela me paraît insurmontable, je me rapproche donc de mon ami, Jean-Marc Bonelli qui accepte de me suivre dans cette aventure.

Quelles ont été vos premières décisions communes en tant que chefs d’entreprise ?

Alors que certains auraient pu être effrayés par un ralentissement d’activité, nous avons cru fermement à la réputation de l’entreprise, à son sérieux. Nous avons dû dans un premier temps procéder à quelques licenciements, nous sommes aujourd’hui 15 salariés. Ce n’était pas une décision facile, mais l’avenir de la société en dépendait. Nous avons également voulu rajeunir l’image de l’entreprise, en créant un nouveau logo, un site Internet. Notre entreprise poursuit également la logique de certification mise en place depuis 2006, renouvelée en 2016. Nous avons également investi dans du nouveau matériel, des nouveaux véhicules, et surtout nous avons su garder notre clientèle, qui nous fait confiance depuis le début. La filière béton est une filière dure, sans compromis mais qui, comme le secteur du bâtiment en général, peut s’avérer très solidaire.

Quelle est l’action dans l’entreprise dont vous êtes les plus fiers ?

Nous sommes fiers tous les deux d’avoir sauvé les 15 emplois de l’entreprise, nous sommes fiers d’avoir su maintenir l’activité, nous sommes fiers d’avoir, à notre niveau, permis à l’entreprise créée par Roger Reinaudo de perdurer après sa disparition. Nous ressentons également une certaine fierté à être les
premiers à avoir mis en place dans notre centrale, la maîtrise des rejets. En effet, nous avons investi dans un système de recyclage qui nous permet de récupérer les excédents de béton frais dans les camions particulièrement, d’en extraire les granulats qui après lavage peuvent resservir. Les eaux chargées en laitance sont également recueillies et réinjectées dans le circuit de fabrication. C’est notre contribution écologique à une activité réputée polluante.

Quels sont les projets de l’entreprise ?

Nous sommes déjà dans la diversification des activités de l’entreprise. L’expérience de nos années de salariat, nous conseille de proposer d’autres types de produits. Depuis environ un an, nous réalisons des bétons décoratifs d’en- vironnement extérieurs, qui s’intègrent au sein d’aménagements paysagers ou urbains, comme par exemple des accès de maison, des tours de piscine, des places publiques… C’est fou ce que le béton peut offrir de solutions pérennes, esthétiques et avantageuses financièrement, il peut se transformer en parquet, en pavé, en carrelage… Nous avons déjà assuré la formation d’une dizaine d’artisans de la région à partir de nos produits, nous devons maintenant en faire la promotion auprès des archis, des collectivités. Nous voilà partis pour être commerciaux, une nouvelle facette de la vie du chef d’entreprise !

Quel premier bilan tirez-vous de ces deux dernières années ?

Beaucoup de travail et d’investissement personnel, mais en hommage au fondateur d’Ajaccio Béton, qui a su nous faire confiance, nous avons pu maintenir l’activité en Corse et conserver les emplois. Aujourd’hui l’entreprise a un avenir, elle est saine et contribue également au développement d’autres entre- prises du secteur. Nous avons su reprendre le flambeau.

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