Mon Président, Ma Gloire, Ma Beauté

Par Christophe Di Caro / Philosophe

personnalite_culture-entreprise_cultural-fit_selection-du-personell_careerplus_01Qui n’a jamais rêvé d’être un bon père de famille, une mère que l’on n’oubliera pas, un professeur pérenne dans la mémoire de ses élèves, un brillant orateur dont le verbe bien frappé fait encore résonner le marbre de sa Chambre? Qui n’a jamais voulu être celui ou celle vers lequel l’on se tourne lorsqu’il s’agit de prendre une décision importante, d’être reconnu dans sa rue, dans sa ville, dans son emploi, d’avoir une gloire pour son œuvre ou son héritage ? Être cette Dame ou ce Monsieur qui, à un moment donné de sa vie, fait référence dans un domaine ou dans un autre. Être ce phare dans la nuit de quelqu’un, cet élément indispensable à la vie des uns ou des autres, à tel point que l’on s’en croirait important. Fini alors l’humilité du travail accompli simplement avant de vaquer à autre chose. L’Autre nous fait exister par l’importance qu’il nous donne, si bien que l’on croirait soi-même être ce que l’autre fait de nous. Un tel ou une telle est président de telle association qui a pignon sur rue ? Mon Dieu que cette personne doit être importante ! Un tel ou une telle a une charge en politique ? Mon Dieu que cette personne doit être importante ! Celui-ci est rédacteur en chef d’un magazine ? Celle-là a reçu un prix pour l’ensemble de son œuvre ? Remis par qui et pourquoi ? Nous n’en savons rien mais mon Dieu que cette personne doit être importante ! Comme si, à l’instar de ce qui anime les hommes, quelque chose se passait transformant l’action juste et authentique du départ en une quête d’existence nous faisant passer du sweat-shirt à la chemise, des Stan Smith aux mocassins, par le biais de ces quelques projections narcissiques qui finalement ont fait du «simple» une notion désuète et presque abjecte.
Jeux de rôles
L’Autre, la multitude, se met à m’aimer pour ce que je représente, du moins c’est ce que je pense. À tel point que je vais aller jusqu’à me transformer pour être autant que possible en adéquation avec ce qu’à priori je représente. Les gens semblent m’aimer pour ça, alors je m’exécute et deviens cet autre qui n’est plus tout à fait le même mais au fond pas si différent. Au départ, ce qui présidait à ma mise en action était l’humilité, l’authenticité. Le fait d’être «vrai» en quelque sorte. Si tôt ma réussite arrivée et les ouailles qui m’adulent, me voilà investi d’une mission quasiment divine. Je suis celui que le Monde attendait pour le sauver ! Ce Gladiator des temps modernes, ce Bioman multicolore, ce Super- Président qui apportera le Salut à son pays. Je suis né de la terre et j’y retournerai, à ce détail près qu’entre ces deux extrêmes, je me suis pris pour un autre, pour celui que j’ai cru être, pour celui qui a oublié qu’il est né à côté des fougères. Tel pourrait être le lot de ces hommes et de ces femmes qui, du jour où ils reçoivent une quelconque investiture se «transforment» au regard des autres, se «transforment» dans la manière dont ils se voient, et croient qu’ils sont de l’or alors qu’ils n’ont fait qu’un travail qui aurait réussi, qu’ils ne sont que des passeurs…
L’imagination au pouvoir
Ainsi, en cette période électorale, sommes-nous capables de voir des hommes et une femme dans les présidentiables ? Ou imaginons-nous n’être qu’en face d’oiseaux providentiels ? Autrement dit sommes-nous capables d’imaginer Emmanuel titubant après sa soirée étudiante arrosée ? Sommes-nous capables d’imaginer Marine en train de pousser en salle de travail ? Sommes-nous capables d’imaginer le trou que Jean-Luc a à ses chaussettes ? Sommes-nous capables d’imaginer François ou Benoit une feuille de salade entre les dents ? Et pourtant il est probable que cela soit, sera ou que cela ait été ainsi. Bien peu sont capables de voir les hommes et la femme dans leur réalité, à tel point que les sbires eux-mêmes, les vassaux, ces suivants bien dociles, se transforment à leur tour dans ce jeu des images et croient enfin être quelqu’un. À tel point qu’ils se font la guerre lorsqu’ils se voient, se haïssent et, bien souvent, trahissent leur frère d’un parti, d’une association concurrente, d’une entreprise aux intérêts presque communs.
Alors, soyons sérieux, est-il encore louable de croire en ces différents hommes et femmes providentiels alors qu’il suffit de tendre la main pour trouver Cité ? Est-il encore louable de croire que ces hommes et ces femmes nés et bientôt morts dans la poussière sont dignes de l’image qu’ils véhiculent ? Est-il encore raisonnable de croire que l’urne à enveloppe détient la clef de la liberté ?
Pour ma part, en bon Citoyen, je continuerai à cultiver mon jardin et, lorsque je rencontrerai un de ces supra-Dieux héraut de tous les savoirs je lui dirai, à l’image de cet homme dont je ne suis pas digne de déchausser les souliers car il n’en avait pas, Diogène, «Ôte-toi de mon Soleil ». Mais avant cela, je vais me raser.

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