Les hommes plus méchants que les femmes ?

Psychologie

La méchanceté est une variante mineure de la haine primordiale, tendance native de l’homme à l’agression, à la destruction et à la cruauté. Elle peut prendre des formes socialisées, autrefois inventives à coup d’épigrammes ou de certains mots d’esprit, aujourd’hui plus inquiétantes avec les fake news via les médias et les réseaux sociaux.

Par Charles Marcellesi / Médecin

Du point de vue du fonctionnement psychique, la haine se situe dans les parages de l’angoisse et plus particulièrement de l’angoisse de mort défléchie vers l’autre en démasquant un vœu de mort : ainsi
Lacan cite-t-il comme exemple dans son séminaire le commentaire accueillant la réapparition dans les salons d’une vieille aristocrate anglaise ayant échappé à une épidémie de grippe meurtrière pour sa «classe d’âge» : «Cette chère Lady X…, cette fois-ci la faux lui sera encore passée au-dessus… » La haine primordiale et jalouse est illustrée par cet autre exemple tiré de saint Augustin, montrant une jeune femme allaitant deux nourrissons lorsque l’un s’arrête de téter pour observer haineusement l’image de son frère de lait jouissant du sein de la nourrice : l’objet «sein» est pour lui comme perdu et c’est l’autre enfant, son double, qui en jouit, archétype donc de la situation de jalousie. Quand elle est verbalisée, la méchanceté prend souvent la forme du mot d’esprit agressif ou cynique : c’est comme si un représentant de l’Autre du langage était pris à témoin en la personne d’un tiers destinataire du mot d’esprit, énoncé inattendu qui procure une satisfaction et fait rire par un mécanisme de levée du refoulement, cela en s’exerçant au détriment d’une «victime» qu’il s’agit de faire déchoir dans l’opprobre, le ridicule ou le dégoût ; les objets primordiaux (sein, regard, excrément, voix) sont alors sollicités et même le plus souvent couplés deux à deux.

De Mauriac à Coluche

Par exemple excrément/regard : citons le très méchant François Mauriac dénigrant une des «reines» les plus « en vue » des salons littéraires de son époque, Marie-Laure de Noailles : « La comtesse de Noailles, c’est de la chiasse, mais il y a quelques éléments solides. » Ou alors couplage objet sein/objet voix vecteur de désir; une aristocrate vendéenne quelque peu cacochyme louait une ferme à Clemenceau et lors du règlement du terme annuel l’accablait de recommandations, notamment quant à l’intérêt qu’il aurait à élever une vache : « Je suis sûre qu’il y a des années que vous n’avez pas eu de lait frais » ; Clemenceau fixa longuement la poitrine flétrie de la vieille dame, en la questionnant : «Et vous?»
Parfois la méchanceté vise l’image d’une personne en tant qu’image sexuée, soit rouler les mécaniques chez les hommes (le « comique masculin ») ou la « mascarade féminine » chez les femmes. Ainsi Coluche épinglant la chanteuse Régine : « Je viens de la croiser qui revenait de l’institut de beauté. À mon avis, c’était fermé. » Ou encore, pendant la guerre 39-45, Churchill répondant à de Gaulle qui lui trouvait une mise voyante digne d’un « carnaval de Londres » : « Que voulez- vous, tout le monde ne peut pas se déguiser en soldat inconnu.» La relation de couple donne en permanence des exemples de réflexions méchantes, comme Jouhandeau assistant sans émotion à l’agonie de celle qui était sa compagne depuis plus de 42 ans : « C’est affreux, elle ne souffre même plus. » Sinon il s’agit des sempiternels reproches d’avidité sexuelle faits à l’épouse et de manque de tenue phallique imputé à son partenaire masculin ; Sacha Guitry prédisait à Yvonne Printemps que l’on graverait sur sa pierre tombale l’épitaphe « Enfin froide ! », et se vit rétorquer que serait l’épitaphe « Enfin raide ! ».

La Corse des «poussettes»

La méchanceté a toujours fait partie des campagnes de dénigrement, sous forme d’épi- grammes (par exemple les Mazarinades lors de la Fronde). En Corse prévaut plus modestement le bouche-à-oreille des «poussettes» (rumeurs, instrumentalisation). Le monde contemporain connaît grâce aux médias et aux réseaux sociaux, et cela à un niveau de diffusion nationale et internationale, les fake news, les nouvelles fausses et truquées, ingrédient désormais obligé des campagnes électorales, avatar donc de la diffusion de la rumeur calomnieuse déjà épinglée en son temps par Beaumarchais.
Ce phénomène est indissociable de celui, imaginaire, de la mentalité, qui dissocie un dit de l’image consistante de celui qui l’énonce pour se perdre dans le flux immatériel et néanmoins existant des médias, aux fins de véhiculer des émotions et des émois pour accabler d’un mépris confinant au vœu de mort sociale voire de mort réelle, telle personne lorsque ce n’est pas une catégorie sociale tout entière. Les Corses eux-mêmes en ont souvent fait les frais.
Remarque : dans Le bouquin des méchancetés de François Xavier Testu, 85% des auteurs de méchanceté sont des hommes. Alors, les hommes plus méchants que les femmes ?

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