LA CORSE : un territoire unique, une collectivité sui generis

De par ses nombreux particularismes, la Corse se distingue des autres territoires métropolitains. Sur le plan institutionnel, elle a toujours été un laboratoire qui en fait une collectivité territoriale unique en son genre (sui generis).

Par Maître Celli/Avocat au barreau d’Ajaccio

On expérimente en Corse et on applique sur le continent : ce mécanisme a prévalu pour la création de l’établissement public régional (1982) et de la Collectivité territoriale de Corse (CTC-1991 et 2002) dont les statuts ont été définis par le législateur en application de l’article 72 de la Constitution. La création de la Collectivité de Corse confirme ce statut de territoire expérimental. Toutefois la méthode utilisée est originale : le recours à l’article 38 de la Constitution conférant au Gouvernement la faculté d’intervenir dans un domaine réservé au législateur, sur autorisation du Parlement, pour exécuter son programme par ordonnances. Ainsi, trois ordonnances du 21 novembre 2016, ratifiées le 7 mars 2017, définissent le régime juridique de cette Collectivité qui entrera en fonction au 1er janvier 2018. Usuellement appelée « collectivité unique » en raison de la fusion des deux collectivités départementales avec la CTC, cette qualification est erronée sur le plan juridique car conduit à nier l’existence des autres collectivités territoriales qui ont un statut constitutionnel auquel la loi ne peut toucher : les communes. Or, bien qu’unique en son genre, il est impensable que la Corse accepte toute négation du fait communal dont l’apparition remonterait au XIVe siècle. Il aurait été surprenant que le gouvernement s’engage dans une voie « recentralisatrice » alors que les nouvelles régions métropolitaines de droit commun réclament plus de responsabilités. Une telle démarche, que certains auraient qualifiée de jacobinisme régional, aurait remis en cause le processus décentralisateur entamé il y a plus de 35 ans qui anime aujourd’hui une majorité d’élus insulaires. Sur ce point peu d’inquiétude à avoir car depuis la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 l’organisation de la République « est décentralisée ». La République des territoires est donc en marche. Pourtant, à l’heure où les populations régionales réclament plus de proximité décisionnelle, où certaines régions européennes aspirent à plus d’autonomie de gestion, ce mouvement centrifuge interpelle.

Urgence relative ?
On peut se demander si certains rendez-vous n’auraient pas été sacrifiés sur l’autel d’une urgence relative? Un premier aurait pu conduire à l’octroi de compétences législatives à la nouvelle collectivité, dans des domaines limités, au titre de la subsidiarité, à l’instar de celles dévolues aux régions italiennes ordinaires où le pouvoir législatif est réparti concurremment avec l’État « dans le respect de la constitution (…) ». Cette proposition, très difficile à mettre en œuvre (réforme constitutionnelle), permettrait notamment de clarifier des compétences dans des domaines où la règle de droit est floue, donc illisible, peu comprise, pas acceptée est en définitive inefficace. Autre rendez-vous manqué : l’intercommunalité. Aujourd’hui, 19 structures gèrent au plus près des citoyens les services de proximité les plus complexes. Ce rendez-vous aurait pu permettre de les ériger au rang de nouvelle catégorie de collectivité territoriale avec des compétences accrues et des moyens suffisants et de ramener leur nombre à 8 ou 9 dans un premier temps. L’État œuvrera certainement en ce sens à l’occasion d’une nouvelle rationalisation de périmètres intercommunaux suite aux prochaines élections municipales. L’octroi d’un tel statut novateur aurait non seulement permis à ces structures intercommunales de proposer elles-mêmes l’architecture de leurs futurs périmètres mais aussi de répondre aux besoins de proxi- mité et d’accompagnement exprimés par des élus et populations du rural. L’intercommunalité est un échelon intermédiaire en devenir qui s’affirmera et s’émancipera en tant qu’autorité représentative et décisionnelle. Inéluctablement, le législateur créera, à court terme (2021/2027) cette nouvelle catégorie de collectivité.

Et les communes ?
Certains s’interrogeront sur le devenir des communes ? Composantes essentielles du maillage territorial, elles doivent être maintenues car indispensables à la connaissance du terrain, incontournables en termes d’aménagement et de protection de l’espace, seules à pouvoir garantir certains services de proximité. Territoires fertiles, elles sont le creuset de la démocratie et l’expression vivante de la décentralisation. Leurs pouvoirs et leurs moyens ont été réduits comme peau de chagrin. Leur survie impose de les redéfinir dans le cadre d’une organisation territoriale équilibrée.
La création de la Collectivité de Corse est une étape supplémentaire du processus décentralisateur engagée au début des années 80. Elle reste cependant inachevée. Cette œuvre se poursuivra. Dans un premier temps par une réorganisation des services déconcentrés de l’État. Dans un second temps par de nouveaux transferts de compétences de l’État en direction des autorités décentralisées. Pour réussir, cette réforme devra nécessairement opérer une redistribution pertinente des compétences et des moyens entre la Collectivité de Corse, les communes et l’échelon intermédiaire que seront les futures collectivités intercommunales. Cette « étape locale » est indispensable à l’obtention d’un équilibre aujourd’hui rompu entre territoires urbains et ruraux. Car pour être acceptés les futurs développements institutionnels devront nécessairement s’inspirer davantage des erreurs du passé pour combattre tout déséquilibre territorial, phénomène malheureusement présent sur le plan européen et que Jean-François Gravier appelait en son temps « Paris et le désert français ».

 

Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.