BLUE MONDAY

Billet d’humeur

Par Nathalie Coulon

C’était donc cela, cette impression de froid et de baisse de tonus. C’était donc ça, nous étions au cœur de l’hiver. C’était la réflexion matinale, le long de la promenade du boulevard Pascal-Rossini dans cette ville impériale, il faisait ce froid humide et pénétrant, un temps d’hiver, une mer houleuse et ses vagues blanches d’écume qui se cassaient avant même de finir sur le sable. Elle avait tant rêvé l’hiver, elle lui avait apporté sa dose de sensualité : s’emmitoufler dans un manteau en alpaga, mettre des gants de cuir souple et une écharpe en cachemire. Elle avait fantasmé sur les soirées au coin du feu, figatellu, brocciu et pulenda. Et elle se retrouvait là, grelottante, prise de panique priant le ciel et ses dieux de lui apporter deux rayons de soleil cuisant. La Corse avait essuyé une tempête d’une intensité remarquable avec des pointes dépassant les 200 km/heure au cap Corse et extrémités de l’île. La tempête Eleanor s’était violemment installée et le comble: après un été sec et caniculaire, les terres agricoles desséchées, assoiffées, la tempête, en plus de son lot de dégâts, avait provoqué des incendies terribles en plaine, le feu attisé par la violence des vents brûlera terres et maisons. Laissant dans le désarroi les villageois. Une solidarité énorme se mettra en place pour aider les plus touchés. « Des feux en hiver » voilà la réflexion collective face au fléau ! La terre décidément ne tourne plus bien rond. Elle continuait sa promenade absorbée par la beauté des paysages, les montagnes enneigées et la mer pour s’y refléter. La mer avait délaissé ses tons de turquoise pour laisser s’imposer un gris sombre dominant. C’était donc cela qui la minait. Elle qui ne rêvait que de blue note, la fameuse note bleue utilisée dans les compositions de jazz. Ah! Blue note. Elle avait entendu parler du « Blue Monday », un terme inventé par nos voisins british pour qualifier le jour le plus déprimant de l’année. Un lundi de blues en hiver. Blue Monday so terrible. Alors pour ne pas se laisser happer par la sinistrose, la voilà à rêver à d’autres flots. Venise. Rêver Venise et relire Sartre qui lui-même s’était laissé aller à la folie devant la beauté des lieux (Venise de ma fenêtre, situation IV, 1964). Alors, se rappelant les paysages envoûtants et bucoliques d’une Venise maritime, elle se laisse porter par ses rêves d’eau. Prendre un vaporetto et quitter Murano, l’île des souffleurs de verre. Quitter Murano sous les brumes pour un voyage dans le temps. Celui qui passe. S’installer à Murano, vivre de café italien, de l’air du temps et de spaghetti alle vongole. Embarquer une veste en fourrure, un vison abattu dans un autre temps mais qui tient si chaud aux couennes de vieille rombière. Lire, picoler du vin italien qui réchauffe l’âme et fait bouillir les gosiers. N’avoir besoin de rien. Si, d’une petite musique de chambre qui accompagne les vieux jours et de la douceur du temps qui passe sans bruit de moteur automobile et d’hystérie collective. Che dolce vita. Un jour, il faudra vivre en théorie. Avant, on brûlera un cierge pour passer au travers de la grippe et ses vilains virus. Le propre de l’homme étant cette insatisfaction permanente face aux éléments naturels et une planète qui exulte. Froid, cyclones, tempêtes et inondations. Alors, on se réchauffera le corps et l’âme en attendant le printemps et son lot de rhinites et pollens ambiants.
Salute, pace è grogs bouillants.

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