Aux marches du palais

A

Par Jean Poletti

On connaissait la magistrature de siège ou de parquet. Voilà celle de la plume et du commentaire. A l’aune d’un livre signé par notre excellent confrère  Jean-Michel Verne, plusieurs juges ayant exercé en Corse se mettent à table. Les récits diffèrent, mais leur diagnostic se fond dans la difficulté d’œuvrer ici. En liberté surveillé. Prisonniers d’un climat. Menottés par la crainte ou la lassitude. Voilà leur verdict. Sans appel ?  

Dura lex sed lex serait-donc une maxime ne parvenant que rarement dans les prétoires ? Dans ces plaidoyers, justifiant l’échec relatif de leurs missions, s’égrènent la mafiosisation de la société, la porosité ou les complicités tacites. Bref une antienne égrenée au fil de l’actualité par des professionnels de la loi. Mais pas seulement. Depuis la capitale des personnalités politiques entament aussi ce couplet, au gré des opportunités. Se faisant à vil prix les chantres de l’ordre républicain.

Les témoignages de ces juges est recevable et transpirent d’un vécu que nul ne peut contester.  En corollaire, il eut été plus équitable de souligner que ces dysfonctionnements ne sont pas l’apanage d’une sorte de complicité ambiante, mais d’abord et avant tout de stratégies changeantes des gouvernements successifs. D’une période, l’autre, nous eûmes les vives recommandations aux parquets de cibler, d’abord et avant tout les mouvements clandestins. Une priorité qui excluait de fait les exactions liées au banditisme.  Puis ce fut le slogan étatique « dialogue fermeté », avec en point d’orgue la surréaliste conférence de presse dans le maquis de Tralonca. Curieux hasard  dès le lendemain matin, le ministre de l’intérieur d’alors en déplacement dans l’ile  répondit dans le détail aux revendications des cagoulés. Dans un euphémisme diplomatique qui suscitera vraisemblablement un réel scepticisme, nous mettrons ce chiama e risondi sur le compte d’un étrange don  de télépathie.  

Faut-il évoquer ce secret de polichinelle d’un ancien  délégué à la sécurité dinant avec des personnes supposées être en cavale ? Doit-on redire l’effacement du fichier du grand banditisme d’une dizaine de grands voyous par l’un des patrons de la police judiciaire ?

Ces quelques digressions ne s’apparentent nullement à se muer en avocat du diable concernant l’ouvrage récemment publié.  Elles apportent leur modeste pierre à l’édifice pour dédouaner l’écrasante majorité de la population insulaire injustement mise à l’index dans le fiasco judiciaire. Mieux, en incidence, elles font des magistrats les victimes de ces doctrines souvent  floues, parfois contradictoires, décidées en haut-lieu. A l’image de la note interne de cet ancien procureur général suggérant  d’agir avec prudence et circonspection dans certaines affaires !

Mais de grâce que l’on ne nous rebatte plus les oreilles avec le concept d’omerta, mis à toutes les sauces pour justifier la stérilité des enquêtes. Et bannir à jamais cette indigne accusation de responsabilité collective ou familiale, atteignant  son paroxysme lors de l’assassinat de Claude Erignac. Qui a oublié  que depuis la capitale  des voix immondes   qualifièrent les corses de préfeticides ? Tous coupables. Sacrifiés sur l’autel de la discrimination. Pour ne pas dire du racisme. Une sémantique renvoyant aux sombres heures de la collaboration, ou une communauté fut vouée aux gémonies.  Valls ne laissa pas passer son tour dans ce jeu malsain. Et de proclamer que la violence était enracinée dans la culture corse !

Cette dialectique, juridiquement irrecevable, et moralement inacceptable entre en résonnance avec  des assertions perfides  d’un certain Poniatowski : « Les Corses ont un chromosome supplémentaire, celui du crime. » Vous avez dit justice ?

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