Après moi le déluge

Billet d’humeur

Numéro53 WEB Humeur N.Coulon

Par Nathalie Coulon

« Après moi le déluge » avait-elle clamé en quittant le stand de poisson à la criée, où elle venait de s’acheter quatre belles langoustes. Qu’est-ce que j’avais aimé cette femme complètement vivante et intempestive. La soixantaine ni rugissante ni brinquebalante, elle était arrivée avec sa petite voiture de sport en jean’s et basket, une chemise blanche très chic. Elle s’était garée là tout près de l’étalage du poissonnier sur ce parking des quais, le long du bord de mer à l’entrée de la ville. Il était tôt ce matin- là, le soleil tapait déjà. Je m’étais levée d’humeur gourmande me disant que j’allais cuisiner de la lotte, du chapon, je ne savais pas encore. Le poissonnier avait déjà ses bacs bien remplis et les pêcheurs de
la famille déballaient leur pêche locale, j’attendais mon tour lorsque je la vis partir. «Après moi le déluge » et j’en fis ma devise ce jour d’été, il y a 10 ans. Après tout et pourquoi pas, de passage sur cette belle planète pourquoi ne pas céder aux péchés capitaux ?
Il convient bien entendu d’apprécier les péchés selon leur gravité. Mon court passage dans les salles poussiéreuses du presbytère et sur les bancs des catéchistes m’aura valu de savoir d’ailleurs et en premier qu’ils existaient des péchés mortels aussi : Ô grand Dieu !
Le poids de l’héritage insulaire entre superstition et bondieuserie mêlant amour des siens et angoisses morbides donnant une signification mystique à chaque acte accompli au quotidien n’allégeant en rien la culpabilité. Une grand-mère paternelle à qui je dois aussi un solennel hommage. Santa, confite en dévotion, élevée au couvent des sœurs d’Erbalunga au temps béni des colonies où leurs parents s’embarquant pour des terres lointaines confiaient leurs enfants à l’Église pour parfaire leur éducation, essayait de me convertir tendrement à son amour du père éternel, à ses croyances et ses prières. Entre «occhjiu», magie et grigri rapportés d’Indochine, mon karma était alors tout tracé. Se détacher alors des liens du sang pour emprunter son propre chemin sereinement sans pour autant piétiner la Voie lactée allait être périlleux : devrions-nous un jour nous résigner à ne pas subir la tentation sous peine d’une quelconque sentence moralisatrice ou religieuse ? Un dilemme permanent nous infligeant de rentrer dans les rangs souvent étroits de la société.
La gourmandise, les mensonges pieux, l’intempérance et les blasphèmes. « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre.» Le bon ton sociétal est à la franchise, à l’aveu, à la psychanalyse qui voudrait tout disséquer. L’époque nous voudrait parfaitement perfect, aseptisé. L’heure est au no vice pour les novices sans doute… Terrible est l’époque dans laquelle nous avançons, robotisés. Ne succombant presque plus à la tentation, à l’exception de quelques retors ventripotents qui ne se refusent pas grand-chose et comme ils ont raison. Les péchés capitaux ou l’évolution en temps réel: la gourmandise soit sans gluten, sans lactose et sans viande sinon c’est péché. Se convertir au lait de brebis, la vache cet animal sacré devenu diabolique… Et les femmes jugées, pointées du doigt: trop vieilles, trop grosses, trop maigres. À quel péché se seraient-elles données pour en arriver là? Le couple Macron. Oh! Sacrilège! Et les réseaux sociaux, la cellule de veille déversant sa bile fielleuse : Brigitte, la pécheresse ! Le rétro- pédalage ambiant puant, sans aura, très peu pour moi.
Je me laisserais bien délicatement céder au péché, voyez-vous et en toute honnêteté sans aucune dissimulation mais mon grand combat au jour le jour est de ne pas céder au désarroi, ne plus avancer et me faire dicter une pseudo morale infâme celle des tout-puissants, des talibans. Eux, à Manchester, quel péché mortel avaient-ils commis pour périr de clous et de sang ?… Ô monde cruel, je veux du beau, du bon. Relire Camus et son mythe de Sisyphe, Dante La Divina Commedia… Inferno Purgatorio e Paradiso. « Après moi le déluge » et cette vie, cette traversée du désert. À vous, à Manchester que la terre vous soit légère. Soupir.

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